DANS LE CENTRE LE PLUS PROFOND...

 

Une fois arrivé au fond de soi même par le silence, l'introspection... ou par pure grâce...à l'occasion d'un événement destructeur ou immensément joyeux que trouvons nous ?

Écoutons le Père nous le dire dans ces extraits de texte  de Intériorité et révélation paru aux éditions Présence

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Une fois que l'âme a dépassé le monde où Dieu est connu à la façon d'une idole faite de mains ou d'esprit d'homme ...
et s'est engagée dans l'au-delà...
 ...trois abîmes s'ouvrent devant elle auxquels elle doit plonger successivement....

 Ce sont des mystères où l'on ne saurait pénétrer en même temps.
 
Il faut d'abord, plongeant dans le premier, oublier le
revêtement humain - jusque-là
tant savouré - des autres et et de soi même...
 se dépouiller de toute attache humaine à ces autres,
 avant d'y pouvoir enfin revenir à leur tour....plus tard...(
c'est le retour sur la place du marché)
 
On ne dépasse jamais que ce que l'on a d'abord atteint
 et l'on n'atteint jamais
que ce que l'on a tout d'abord accepté de perdre et d'oublier...
 
Le grain de froment ne germera jamais si d'abord il n'a péri en terre :
 qui amat animam suam perdet eam, « qui aime son âme la perdra » (Sn. 12,25).

Ne pourrait-on désigner ces trois abîmes que successivement découvre en Dieu la créature  ?: 
le mystère de l'Unité ou de l'advaita,
 le mystère de la Trinité ou de l'an-eka (du non-un), 
le mystère de la charité ou bien de la kénose ? .

Il faut en premier, et de toute nécessité, passer par le stade de l'Unité, de l'advaita, de la Rencontre, de la non-distinction,
 nier drastiquement, ou du moins
oublier tout ce que l'on avait cru « savoir » autrefois du Dieu Un et Trine... 
du Dieu que l'on appelait « Amour ». 

Car notre vie  au sein de l'Amour Infini, Créateur et Rédempteur, n'était-elle pas pour beaucoup une belle imagination?...
 une magnifique construction mentale?...
 où l'on « se » projetait soi-même?...
 où l'on s'enchantait de soi-même?...
 en s'appuyant, comme sur un divan agréable, sur la Révélation,
 comprise, interprétée par notre pauvre raison ?

Mais le stade du kevala , de la Nudité  de l'Absolu, de l'Unité de l'acte d'Être une fois atteint...
 l'oeuvre purificatrice qui lui est propre une fois suffisamment avancée...
 l'Esprit de Dieu attire l'âme plus au-dedans encore....

 Le noyau s'ouvre alors, et de « profondeurs » en « profondeurs », l'homme "monte" en ce dedans, ou bien s'y engouffre....

Et voici désormais ce que l'Inde n'a su découvrir,
 ce que les Yogis les plus forts n'ont jamais su réaliser.
 Car seul le Fils qui est au sein du Père a pu révéler le Père....
 
Nul sinon lui n'aurait pu nous enseigner qu'en se connaissant au plus profond de soi,
 on connaît aussi le Père 
- qui videt me, videt et Patrem
qu'en découvrant soi-même, c'est le Père que l'on découvre...

Aux regards éblouis du chrétien advaîtin, c'est la Trinité qui s'entrouvre alors,...
 le Mystère trans-advaitin du Père, du Fils et de l'Esprit, 
le Mystère de Dieu en Soi, 
du Soi de Dieu,
du sat,de l'Être
de l'existant dont la plénitude d'être est super-personnelle,
 tri-personnelle, 
les processions au-dedans du sat
au-dedans de l'Être lui-même.

Comment donc le sat ( l'existant) serait-il multiple ? interrogeront à la fois les Plotiniens et les Védantins. 
Le multiple n'est-il pas la contradictoire du sat, de l'être, de Dieu ?
 
Non certes, le sat n'est point multiple.

 Il est UN...


merveilleusement un, 
essentiellement un, 
uniquement un,
au sens où l'un n'est point une limitation comme  il l'est aux choses de l'univers...
 mais est, par sa définition même,...


 l'Absence...

 
le refus ontologique de toute limitation,
 de toute division par le multiple,
 l'advaita, le mystère du non-duel.

Le sat, l'Être, le Soi, ne peut être qu'il ne se déverse en le Soi, en l'Être, en le sat...,
 et ce double épanchement au-dedans aboutissant à un triple point de fulgurance est essentiel à l'Être, au Soi, au sat.

L'avyakta ( le non manifesté) qui se manifeste  dans le sat, ne peut se manifester...
 et donc atteindre à l'être... que comme sat-cit-ananda (être-conscience-béatitude).
Saccidananda

 Mais cela ne peut vouloir dire « trois étants ». 
Car il n'est rien en « chacun d'eux » qui, commun aux autres, pût les multiplier et les nombrer. 

Le nombre en Dieu a été posé par l'homme.
Et la distinction, l'aneka ,le multiple en Dieu n'est pas à chercher du côté de l'intelligence et de la volonté...

 Car esse, velle, intelligere, ne se distinguent en Dieu qu'en raison de la myopie de l'homme,
 que par rapport à la maya ( illusion) d'ici-bas, 
à la fois principe d'enténèbrement et source de lumière... au moins crépusculaire.

  L'homme pose en Dieu l'intelligence et l'amour, pour à soi-même laisser se manifester l'Être de Dieu.
 
Les noms de Père et de Fils déjà ne sont
que des images...
 celui de l'Esprit aussi
.Ils sont pour nous des aides...
 à la façon dont nous le sont toutes les choses et tous les mots de ce monde...
 
des aides pour remonter jusqu'à Dieu,...
jusqu'au Vrai...
 
Pourquoi donc tant de chrétiens s'emparant de ces mots révélés et mystérieux ne savent-ils s'en faire que des idoles ?...
 
Au soir de la Révélation, Jean, l'Apôtre qui, plus que nul autre avait su pénétrer au-dedans, pour avoir reposé sur le Coeur du Maître, proposa à la méditation de l'Église le Mystère du « Verbe »...
 aboutissant  du Logos hellénique,  de la Sagesse  et de la Parole biblique.

 Cherchant par cette Voie à pénétrer davantage au Mystère suprême, les théologiens et les mystiques chrétiens, à la suite principalement d'Augustin et de Thomas, développèrent et savourèrent ces grandioses conceptions de la génération par voie d'intelligence et de la spiration d'amour....
Et leur disciples émerveillés s'imaginèrent parfois avoir découvert la raison de la Trinité,et la Trinité au bout de leur raison....
  Hélas...
 ils n'eurent  bientôt plus alors entre leurs mains qu'une pâle image, à la mesure de leur faiblesse, du Réel qui s'était évanoui ...
 la Vérité les avait fuis lorsqu'ils avaient pensé l'étreindre....

« Celui-là qui pense « je sais », en vérité celui-là ne sait rien !>> avait déjà dit l'auteur de la Kena Upanishad.

Car intelligence comme volonté ne sont jamais que des chemins...  vers l'Être de Dieu. 

C'est au-dedans du Sat,
 au sein même de l'Être de Dieu, 
que se produit la double "montée",
 à la manière  dont se produisent dans les facultés des créatures pensantes,  l'émergence de l'acte d'être... et les processions d'intelligence et de volonté...

Non pas multiplication du sat,
 non pas division du sat,
Mystère qui dépasse toute sagesse créée .

 Mystère du sur-exister si l'on prend l'homme comme mesure...
 Mystère tout simplement de l'être, si l'on se place dans la Vérité.

 L'Être ne se manifeste pas...
 Il n'est pas « une » personne....
 
Mais le
sat n'est pas... qu'il ne soit Celui qui est l'Origine 
 Celui qui est le Terme 
 Celui, en qui communient et se consomment l'origine et le Terme.

Le créé s'était totalement dissous...
 dans l'éclat et dans la plénitude 
dans la simplicité aussi du shunyata... du vide,...de la vacuité ...de la non substantialité...
dans le vide adamantin du kevala ... de la nudité de l'acte d'être...

 Et il fallait qu'eût lieu cette purification....

Ce qui est chair ne peut entrer au Royaume de Dieu....
 
Il est nécessaire que l'esprit renaisse de l'Esprit pour être capable de voir et de connaître Dieu.

 En la contemplation du mystère Trinitaire... le créé...
 le monde de la distinction... de l'aneka... du plusieurs,...du multiple...
 du non-un ...
a commencé à ressurgir du shunyata, de la vacuité,
où il semblait qu'il eût sombré....

Non pas encore en lui-même sans doute...
 mais dans le Mystère des ascensions et processus intérieurs et essentiels au
sat, de l'être, de l'existant...

En le Fils, l'homme s'est retrouvé comme en son archétype...
 
Il avait renoncé...
 lors de son passage au kevala, à la nudité de l'acte d'être, à sa distinction d'avec Dieu...
 
...du moins à cette distinction que concevait sa pensée à la façon des choses d'ici-bas ...

Il avait fait au Seigneur le suprême holocauste...
 la soumission, l'abandon total de son néant total ...
et de son être total...
 
Il avait renoncé à n'être plus à part...
 donc aussi bien à son être qu'à son néant...
aussi bien à être qu'à ne pas être....
 
Le problème n'avait plus été pour lui : Où est Dieu ? Qui est Dieu ? 
Mais : Où suis-je ? 
Et d'abord Qui suis-je ? 
Que suis-je ? 
Suis-je ? 

Il avait alors goûté les austères et nues voluptés de la vacuité ...
 du  vide( shûnyata), de l'Unique... 
de la nudité de l'Absolu...
 
Il avait alors comme pénétré dans le non manifesté (avyakta) primordial,
celui où non seulement la créature n'est pas encore... 
mais d'où, oserait-on dire, Dieu, le sat, ne s'est pas « encore » manifesté...
 
Car l'avyakta, la non-manifestation du Père, c'est l'avyakta de la Divinité,
 l'avyakta de l'Être (du sat), 
l'avyakta de l'éternité.


Car avant que le Père ne fût, qui avait-il ?
 Et avant que Dieu ne fût ?,
 et avant que l' être ne fût?
, et avant que ne fût l'éternité ?...



Il fallait à l'homme rentrer en cette matrice originelle...
 en cette garbha, cette caverne... 
rentrer en cet ultime racine originelle...
 et refaire en son initiation mystique le chemin mystérieux d'où jaillit le sat,
 l'Être !

 Il lui fallait atteindre au-delà de l'espace et au-delà du temps, 
au-delà même de l'éternité, 
au-delà de l'Être et au-delà du Dieu conçu, 
pour devenir capable d'en « ressurgir » enfin,
 comme de la yoni (du sein) primordiale, dans sa nudité glorieuse de sat éternel.
Le Mystère de la Croix et le Mystère du Tombeau...
Le Mystère de l'initiation baptismale chrétienne...

Et maintenant...
et maintenant comme le sat n'est pas qu'il ne soit le
Père et le Fils
et comme  le non manifesté l'avyakta primordial ne se manifeste pas en son éternité, qu'il ne soit le Père manifesté au Fils et le Fils manifesté au Père...
et l'un et l'autre manifestés à SOI-MÊME...
 à la fois dans l'autre et par l'autre,
 en l'unité de l'Esprit...

 Alors l'homme se réveille du néant purificateur,...
regardant le Père comme fixé constitutivement dans un essentiel ad Patrem 

« Je suis ressuscité et me voici encore avec toi » (Introït de Pâques).
 
Car le Père est tout au Fils,
 et le Fils est tout au Père 
et l'Esprit Saint est ce tout au Père qu'est le Fils et ce tout au Fils qu'est le Père.

En le Verbe, en le Fils, l'homme retrouve alors la possibilité de l'échange d'un TU - tvam -
d'un TU nouveau et mystérieux... 
qui sourd au fond des gouffres de l'AHAM éternel...
d'un TU qui finalement n'est qu'un JE plus profond ...
 son ouverture par le dedans...


« Le Seigneur m'a dit : Tu es mon Fils » (Introït de Noël)



L'homme alors expérimente ce que le Seigneur a enseigné dans l'Évangile...
ce qu'Il a révélé par sa vie comme par ses paroles....

L'unité du Fils et du Père n'empêchent point leur distinction.

Au sein du sat, au sein de l'être
dans la transcendance du sat,
l'a-dvaita et l'an-eka,  la non-dualité et la distinction ne sont point contradictoires.


Le Père et moi nous sommes Un ...
Tout ce qui Lui plaît, je le fais ... 
Selon qu'Il m'ordonne, j'accomplis...
 L'Esprit que j'enverrai de sa part...


C'est le Mystère de la dépendance essentielle du « Fils de l'homme » par rapport au Père
le Mystère de la volonté du Père,
le Mystère de l'obéissance et de la soumission du Fils.

Le Fils ne se connaît - comme homme, mais d'abord comme Dieu -
 ne se voit au fond de Soi ...
que dans la gloire du Père....
 
Le Fils ne peut Se regarder sans découvrir au fond de Soi le Père....

Depuis le temps que je suis avec toi, Philippe, tu ne me connais donc pas encore ? 
Qui me voit, voit le PÈRE (Jn. 14,9).


Car...
 en cet engendrement au sein même de l'être, le noeud ombilical n'a jamais été coupé...

De son père et de sa mère, l'individu se détache. ..
La relation de l'homme à son père et à sa mère de chair se rapporte à un événement qui se passa en un temps qui fut...
 mais ni n'est ni ne sera plus....

Dans le monde du Soi, du sat, de l'Être, il n'est pas de temps. 
L'engendrement est éternel...donc éternellement « étant », 
éternellement présent,
comme le sat, comme l'Être lui-même.

 La relation est aussi essentielle  qu'à l'instant de la conception chez l'homme. 
Car au monde du SOI, l'instant de la conception ne commence ni ne s'achève...
il n'est ni précédé d'un avant,...ni suivi d'un après,
 il ne « dure » pas...

Le regard du Fils sur Soi, c'est la contemplation même de sa Source éternelle...
contemplation du Père, source de la Divinité, source de l'Être !

C'est le passage et le retour essentiel en Sa Source,
 depuis laquelle et en laquelle seulement IL se connaît,
 IL est,
 IL rentre, en Son propre Soi 

Qui pénétrera jamais en ce JE du Fils, s'achevant en un TU qui ne le sort pas de Soi?
 mais l'y engouffre plus profondément...?
 et ne le dépasse que par la fission même du dedans ?

Ainsi se poursuit la pénétration au fond de Soi du chrétien baptisé dans l'eau et le feu, et que l'Esprit a introduit en Son dedans...
 
Cependant... 
Tout en s'expérimentant fils, en le Fils par nature, 
et tout en recommençant à échanger dans son fond avec le Père... ce TU très mystérieux, 
il sent bien qu'il n'a pas encore rejoint les données anciennes de sa conscience de créature, que lui avait confirmées la Révélation de l'Évangile.

Il fallait bien pourtant qu'il en passât par là...
 pour qu'il ne songeât plus jamais désormais à revêtir d'oripeaux sacrilèges le Mystère du Soi qu'il porte au-dedans de lui...
 à user sans respect de ce JE,  comme de ce TU qui révèlent en lui le Mystère divin en son intime.

Que fut-elle toutefois, cette expérience de divine filiation ?
 
Un approfondissement de par le don d'intelligence des données de la foi ?, 
ou bien une expérience immédiate de Sagesse ?,
 comme cela avait été le cas lors de l'entrée au secret du non-deux, (a-dvaita) du kevala ( celui qui atteint la nudité de l'être) ?

L'expérience de l'Esprit, celle de
l'unité, serait-elle donc primordiale, sur cette terre ?

 L'amour précéderait-il de fait la connaissance, bien qu'il en soit l'achèvement ?
 
La volonté a sur l'intelligence cette supériorité de pouvoir passer outre à soi pour atteindre son objet... ou plutôt pour se perdre en lui... 
tandis que l'esprit doit recevoir le sien au-dedans ...et se trouve à jamais limité ici-bas par sa condition même d'incorporé.

 Le Verbe divin auquel s'achève notre connaissance surnaturelle,
ne peut donc jamais être étreint ici-bas
alors que nul obstacle de nature ne saurait s'opposer à ce que l'acte d'amour s'achève en l'Amour Procédant,
toute différence fondamentale étant évanouie entre la Charité de la Voie et la Charité du Terme.
 
Par conséquent la mystérieuse non-identité du Père et du Fils, 
de Soi et de Dieu, 
ne peut jamais être connue directement sur cette terre, sinon per speculum in aenigmate, « dans un miroir,en énigme » (1. Cor. 13,12).

Vient enfin l'heure imprévisible où tout est redonné de ce qui avait été perdu pour Dieu...
 mais transfiguré, passé en Esprit en Dieu. 

A ce moment intervient un anéantissement... une soumission...
 un abandon de soi...
combien plus profonds... 
combien plus déchirants des moelles mêmes de l'Être, que tout ce qui a pu être éprouvé précédemment....
 
Car il ne s'agit plus de se renoncer pour Dieu...
mais de renoncer à Dieu pour Dieu !
 
De renoncer non plus au Dieu de son rêve pour le Dieu réel... 
mais de renoncer au Dieu « éprouvé » pour le Dieu « révélé ». ! 

Après avoir été jeté par l'Esprit au creuset du kevala de la nudité de l'Absolu
après y avoir senti brûler, consumer avec quels déchirements tout ce que l'on était,
tout ce que l'on aimait, 
tout ce que l'on savourait, 
tout ce sur quoi on se reposait...
 
Après y avoir enfin éprouvé la nue Vérité de l'Absolu...

Voici qu'à nouveau il est demandé d'accepter ces formes, ces noms, qui vous ont été arrachés si cruellement, mais qui désormais sont pour vous sans nul attrait ..
Car pour qui un jour a été fasciné par le kevala,
 c'en est à jamais fini de tout ce qui n'est pas le très pur kevala.

Or maintenant, ce qu'il est demandé d'accepter, c'est l'inacceptable révélation d'un Dieu qui crée... 
d'un Dieu qui s'incarne...
 et  qui en s'incarnant consacre le temps, rendant ainsi réel de la réalité du sat, de l'être ,et le temps qui mesure et l' espace qu contient
...et ce qui est mesuré et ce qui est contenu, 
l'asat (non-être) lui-même !.

Il s'agit de passer du sat à l'a-sat,
 du kevala au monde du nom et de la forme ( namarupa),

De passer du Dieu advaita, l'Unique sans second, non seulement au Dieu Trinité... mais au Dieu Créateur, au Dieu Charité, au Dieu kénosé.!
 
Car la charité, l'amour, la liberté créatrice comporte le concept de l'anéantissement, de la kénose, de la mort de Dieu.
Car elle comporte le passage de l'être au non-être. 
Et l'Être c' est Dieu.

La mort de Dieu. 
Le passage du sat à l'a-sat.  de l'être au non être...

La mort sur la Croix du Verbe fait chair n'est que l'aspect le plus manifeste
-du point de vue des hommes - le plus révélateur du plus troublant des Mystères métaphysiques. 

Cette kénose que chante Paul dans l'Épître aux Philippiens


Il s'anéantit
et fut obéissant
jusqu'à la mort,
la mort de la Croix,


n'en est que l'ultime achèvement, le dernier acte.

 L'avant dernier acte c'était celui contenu dans le et homo factus est, « Dieu se fit homme ».
 
Mais la kénose fondamentale, c'est la création, 
la sortie hors de l'Un, diraient les Plotiniens, 
hors de l'Être diraient les Védantins.


 
Deus caritas. 



Cela ne se pourra jamais découvrir au terme des raisonnements de sagesse...

 La Trinité a bien pu, au moins de quelque manière, une fois entendue la Révélation, apparaître à l'esprit humain comme le couronnement merveilleux quoique incompréhensible, du Mystère de l'Être en Soi....
 Les montées au-dedans du sat ne sont pas contradictoires au kevala du sat... à l'atteinte, de la nudité de l'être,
 à son Unité excluant la dualité
 ekam eva advitiyam. un seul et sans second


 Mais la création elle?... n'est-elle pas contradictoire?
 N'est-elle pas contradiction suprême, ? fondamentale? 
 puisqu'elle n'est autre que la sortie
hors du sat ?

 Parmi les solutions de sagesse humaine la théorie shankarienne de maya ( de l'illusion) n'est-elle pas au fond la seule qui donne à l'intelligence quelque satisfaction?

Et la théologie s'est-elle suffisamment essayée au problème la kénose du sat ?

???

 Bien sûr on a fait des élévations... 
on s'est enchanté de belles conceptions sur la kénose du Verbe...
 sur celle aussi parfois du Paraclet...

 mais que rarement l'on a osé aborder le problème fondamental auquel pourtant est suspendu tout le Mystère chrétien,
 la kénose initiale de Dieu en la création.

Un Dieu qui s'engage dans une création,
un Dieu qui décide non nécessairement d'une création et de telle création,
un Dieu qui se choisit et se crée un partenaire qui n'est pas Lui,
un Dieu qui engage son éternité et son être dans une aventure comme celle de l'appel à l'existence d'êtres libres, donc capables de se refuser à Lui,
 ...capables de le mettre en échec,
Un tel Dieu peut-il encore être appelé Dieu ? 
Un tel Dieu a-t-il encore les attributs essentiels de l'Absoluité et de l'Unité, 
du kevala?
  de l'Absolu de l' unicité ?(ekatva), de l'advaita, de la non dualité ?

 L'hindou n'a-t-il pas quelque excuse de ne voir dans le Mystère chrétien, surtout en sa présentation courante, qu'un anthropomorphisme plus ou moins épuré ?,
 ...survivance du grossier anthropomorphisme sémite que ne réussit jamais à digérer totalement l'idéalisme grec devenu chrétien ?
 ...et de ne lui accorder qu'une vérité provisoire, analogue à celle des mythes puraniques,
 pour n'y voir qu'une méthode utile d'approche et d'entraînement pour ceux à qui la Suprême Réalité ne s'est pas encore dévoilée ?

Il faut prendre son parti de l'opposition radicale entre la Sagesse - toute Sagesse,
 qu'elle soit grecque (anthropomorphe) ou hindoue (théomorphe) 
- et l'Evangile du Seigneur crucifié et ressuscité : « folie pour les païens ! » (gentibus stultitia, ).
 
Le christianisme comporte une très réelle kénose de  Dieu:
 Dieu s'engage dans la création.
 
Il y a un acte libre, initial.
Dieu aime et attend d'être aimé.
 
Il fait à celui qu'il crée le don de l'être et le don de son amour.
 Il SE donne. 
Et le don de soi comporte toujours un risque: 

«celui de l'absence de la réponse, celui de l'absence de l'accueil, celui du refus et de la négation »

La création s'achève ensuite ...
 mais son Mystère et son incompréhensibilité n'y font que croître - dans l'Incarnation et dans la Rédemption.
 
Tout cela est contradictoire avec la sagesse hellène et la sagesse hindoue : « nous t'entendrons là-dessus une autre fois » (audiemus te de hoc iterum), comme dirent à Paul ses auditeurs de l'Aréopage (Act. 17,32).
La raison se refuse à accepter le Dieu de l'Évangile dès lors qu'elle a renoncé au Dieu idole qu'elle avait précédemment adoré.
 
Et l'Évangile lui crie que son Dieu à elle, sagesse humaine, est lui aussi, tout compte fait, une idole, qu'elle-même à sa mesure s'est fabriquée.!!

 Nul n'a jamais vu le Père, sauf le Fils. 
Celui qui est par nature au sein du Père a pu donner aux hommes de le connaître.

 La création aboutit ainsi au Mystère de la personne humaine... 
plus largement encore à celui de l'esprit....

La personne, du fait même qu'elle est un soi, est un absolu.
 
Autonome par rapport à qui ou quoi que ce soit de créé, elle est seule en face de Dieu,
 seule à seule en affaires avec Dieu.

 « Que Dieu se présente et que l'on discute ensemble », disait Job.
 
L'Ange, et plus incroyable encore, l'homme est fort contre Dieu.( Jacob)

 
Non pas seulement en ce que l'homme peut se refuser, pécher ( dévier) et faire être un enfer éternel,
 mais en cela aussi que tout ordre divin doit passer par sa conscience ,
être assumé par elle, ...
avant de devenir, en toute justice, exécutoire.

Tant qu'un ordre divin n'a pas été nettement reconnu comme divin, s'agît-il du commandement fondamental de croire au Fils de Dieu et à Celui qui l'a envoyé, l'homme n'y peut obéir....

 Celui qui en sa conscience sincère croit que la vérité est en Krishna et non en le Christ, doit, quoi qu'il arrive, chercher Dieu en Krishna et non en Jésus :
ainsi l'homme est réellement maître du Bien et du Mal en l'Absolu, en le kevala la nudité ontologique de sa conscience...
 
Or il n'est qu'un seul kevala, qu'un seul sat, qu'un Absolu. 


De quelque côté qu'on le retourne, le problème de la création,
 celui de l'être qui n'est pas l'Être, est un défi à la Sagesse.

Mais qu'est-ce que cette kénose de Dieu?
, cette sortie de Dieu hors de soi, hors du sat ?
- du Soi hors de soi ?
- sinon de l'Amour, comme l'a dit la Révélation chrétienne,
 comme l'a si bien senti aussi la piété hindoue, indifférente à réduire la contradiction entre son esprit et son coeur ?

Dieu est si essentiellement Amour que son  Être (Sat) d'Amour requiert en quelque sorte sa propre kénose en une création libre où il puisse engager et risquer son propre Amour. 
Il demeure toujours quelque chose d'indélivré dans l'amour,
 tant que l'amour ne s'est pas engagé et risqué lui-même.

 « N'invitez pas ceux qui vous rendront », enseigne le Seigneur dans l'Évangile.
 
Le don plénier n'attend rien en retour.

 C'est le secret de « l'action sans désir » transposé dans le Suprême :


« L'action que l'on offre sans en désirer de fruit,
 le don que l'on donne sans attendre un service ».
(Bhagavad Gitâ, 17,1)


La charité, caritas, est un amour  non réciproque,
 Dieu, en nous faisant les collaborateurs de son Amour, nous a fait de quelque manière les « collaborateurs » de son propre Être.

« Où serait Ton Amour si je n'existais pas ? » chantait Tagore le grand poète bengali.
 
C'est tout le Mystère de l'Amour, du don de soi, du Bonum diffusium sui,
 où Dieu s'engage - dans la manifestation de son propre Être,
 dans l'éternelle émergence de l'Être au sein du Non-manifesté primordial  
- avec ce partenaire qu'est l'homme. 

Dieu n'a pas besoin de l'homme. 
Dieu a choisi librement d'avoir besoin de l'homme, 
de n'Être pas sans l'homme !

Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique pour racheter le monde....
 
Mais si Dieu n'avait en aucun sens besoin, du monde, l'eût-il fait ?
 
Dire que Dieu n'a pas besoin du moi c'est un moment dialectique dont le sens est de nous faire pénétrer plus avant aux profondeurs essentielles de la liberté et l'amour divins.
 
Car Dieu a éternellement choisi d'être lié à nous éternellement.

La Charité, l'Amour, essentiel à l'Être, au sat, demandait que l'Être se déversât non seulement nécessairement à l'intérieur de soi, mais librement au-dehors...

 Qu'est-ce à nouveau cet « au-dehors » du sat
Un « au-dehors » de l'Être, qui n'est que par le libre vouloir d'amour de l'Être ?
 Cette kénose de Dieu essentielle à Dieu...

Si la création ne se définit que par rapport à Dieu posé dans l'Être, la création est un défi à toute sagesse .
Mais si le Mystère de la création est pour nous introduire au Mystère même de l'Être intime de Dieu...
pour nous découvrir des profondeurs auxquelles la révélation des montées au-dedans du sat n'avait pu elle-même nous donner accès...

 Si cette incompréhensible kénose du sat dans l'asat n'est que la manifestation au point de vue de l'homme de ce qu'il y a de plus insondable dans l'Être divin,
 du secret définitif de Dieu,
du secret définitif de l'Être... 

Quand bien même l'homme ne saurait l'étreindre, ni même l'exprimer,
mais tout au plus le balbutier en murmurant le mot « amour ...»
alors...
alors la création n'apparaît-elle pas enfin comme le couronnement de la sagesse ?...

  Oh ! non pas certes de la simple sagesse humaine ,incapable par elle-même de s'élever si haut !

 mais de la Sagesse Elle-même...
 dont la sagesse humaine n'est qu'un reflet...
 de Celle qui était avant le commencement, et qui présida à la création des mondes


« Yahweh m'a possédée au commencement de ses voies... 
Dès l'éternité je fus établie,
dès le principe, avant l'origine de la terre » 
(Prov. 8,22-23).


Mais alors,
 si c'est seulement dans la Création que s'atteignent les limites dernières, de l'Être divin,
 de l'Être,
 du Divin,
 le centre le plus intérieur de Son Coeur,
alors
 l'intuition de nos vieux Rishis  de l'Inde n'a-t-elle pas été plus Vraie encore que jamais l'on n'osât le soupçonner ? 
Car en plongeant en soi, ils trouvèrent Dieu;...
et plongeant en Dieu, ils se trouvèrent Soi.... 

Si l'homme, constitutivement, se trouve au plus profond de l'Être de Dieu et donc de son Amour,
 alors... 
alors quel sens nouveau et prégnant ne prennent pas pour le chrétien lui-même les « grandes sentences »  et les autres formules enchanteresses de nos Upanishads ?

Plongeant à son tour de profondeurs en profondeurs dans le kevala,
 dans la nudité ontologique de l'Absolu, de l'Être
 le chrétien n'a pas été infidèle à l'intuition primordiale.
 
Dans sa contemplation que dirigeait l'Esprit, le kevala ne s'est ni multiplié, ni divisé; 
le ekam eva advitiyam le Un sans second est demeuré dans sa pureté adamantine.
 
Simplement... 
des profondeurs toujours nouvelles se sont révélées aux yeux de sa foi,
 au sein même du kevala
à l'intérieur même de l'Être,
 au soi du Soi.


  ...Et enfin au plus profond de Soi,
 au plus profond de l'Être et du Coeur de Dieu,
 c'est soi-même qu'imprévisiblement il a découvert et recouvré soi-même au Mystère de l'Amour  pré-éternel ? 

ET...
Et en appelant ce soi-même à soi du sein de son avyakta, ( de son non manifesté)...
 Dieu lui-même est parvenu à soi....

 

Pénétrant Soi-même en son fond,
  sombré en Soi,
  découvrant en son tréfonds
  le secret d'Arunâchala,
  à jamais devenu le fond,
  le suprême Arunâchala (
12).

(12) Montagne sacrée du Sud de l'Inde, symbole de l'Être suprême.

 

 

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