Saccidànanda
Au début de son séjour en Inde le Père Le
Saux s'associant au Père Monchanin fonda un "ashram" dont la
spiritualité était toute tendue vers le Mystère de la Trinité
Ils devinrent les "ermites du Saccidananda"
en effet comme l'explique le texte çi dessous c'est sous ce terme que l'hindouïsme
s'approche du concept de Trinité.
Le texte çi-dessous est de votre serviteur et est illustré de citations du
Père Le Saux ( qui sont entre "...")
+
L'expression « Saccidànanda » semble s'être élevée spontanément
au coeur des grands voyants de l'Inde, quand ils essayèrent d'exprimer le
Mystère...
Les origines de l'expression sont anciennes.
Trois vocables qui assemblés en un seul...évoquent la Trinité
Sat qui veut dire Être
Cit qui veut dire : conscience
Ananda qui signifie Béatitude
Sat-Cit- Ananda.... Être- Conscience- Béatitude ... en un mot :Saccidananda
Cette expression cherche à énoncer le secret le plus intérieur du Mystère
...
pour autant que l'homme soit capable
d'en balbutier quelque chose....
Le Mystère de la divine Présence dans le sanctuaire
le plus intime de l'homme
Présence de Dieu à soi
Présence de Dieu à moi :
deux
mystères indissociables...
Présence double et unique à la fois... Dieu est l'hôte
de l'âme...
Mais Il est aussi celui qui se rend présent en moi pour
m'y recevoir.
Sa présence en moi et à moi n'étant pas autre chose au fond que
Sa propre Présence à
soi
« Tu habites là, dans mon coeur,
où résident, venant de Toi, des secrets.
Bienvenu sois-Tu pour cette demeure!
En dedans, nul n'y est plus que Toi-même,
suprême secret que j'y devine.
Ah! regarde de Tes propres yeux,
dans la maison, y a-t-il un intrus ? »
(Al-Hallàj,)
"Au tréfonds de moi...
au-delà de toute perception, de toute pensée,
de toute conscience de distinctions,
il y a cette intuition originelle
de mon existence,
qui défie toute formulation adéquate, tant
elle est pure....
au Mystère
même de mon être ...
au Mystère de Son Être.
Tel est le
sat,
De
moi finalement, que puis-je dire d'autre que « je suis » ?,
De même, que puis-je vraiment dire de Dieu,
sinon qu'« IL EST » ?"
L' intuition des rishis
de l'Inde rejoint en ce dire
« Il est »,
rien de plus ne peut être dit de lui.
Il est,
simplement
parce qu'il est.
Le Père Le Saux poursuit
alors en ces termes :
"Quand le miroir de ma conscience est totalement limpide...
c'est l'Absolu de l'Être en soi, le sat qui mystérieusement et inexorablement se découvre en moi, dans son absolue
simplicité.
Non seulement il se découvre à moi,
mais il m'emporte
et m'enlève en sa propre simplicité,
en son propre Absolu
et me
fait réaliser que c'est en Son Existence et en Son Être même que
j'ai l'être et l'existence"
Pourtant il ajoute :
il demeure infiniment au-delà de chacune d'entre elles.
Il ne se laisse retenir par rien,
il demeure indépendant et à jamais
hors d'atteinte de tout ce qui chercherait à le circonscrire, à le
penser
ou à le dire,
infiniment transcendant en son immanence
même."
Car le Sat, c'est aussi satyam, le Vrai, la Vérité,
car l'Être et le Vrai
sont identiques.
à la fois en soi et en moi.
C'est dans le sat
que je suis, moi aussi, réel et vrai,
de sa réalité et de sa vérité
elles-mêmes,
qu'est-ce qui pourrait subsister hors lui ?
Je suis, et je sais que je suis.
C'est tout le mystère de la conscience
humaine,
la cit
de la tradition hindoue.
puissance qui agit comme le moteur caché de l'évolution du
Cosmos...
tout semble orienté vers elle ..;
tout semble tendre vers elle comme l'a si bien montré
Teilhard...
Nous retrouvons la proximité de vie de ces deux merveilleux penseurs et
mystiques...
"En l'homme, enfin, l'univers aboutit à cette Présence de Soi à soi
en laquelle seulement le sat, l'être, irradie et resplendit au-dedans de soi."
Ce qui ne signifie pas que le sat se connaisse partout et en tous les
individus ou les êtres...
Il y a un un mystère de « sur-connaissance », de conscience pure de soi
de pure cit.
c' est la manifestation de sat au
centre le plus profond de l'esprit,
où il se révèle toujours plus
clairement, devient de plus en plus insaisissable
et éloigné de la
parole qui veut le dire
et de l'esprit qui veut le comprendre.
Écoutons encore le Père Le
Saux :
"Au miroir de la conscience pure que j'ai de moi,
je découvre
le Mystère de la
cit
en moi,
la présence non réfléchie
de soi à soi,
la lumière qui ne dépend d'aucune source,
mais brille
de son propre éclat et par laquelle tout devient lumineux.
C'est la conscience pure,
que nul objet ne soutient ni ne maintient.
C'est comme un cristal qui jamais ne réfléchit que soi seul
C'est la source et le lieu de jaillissement de toute conscience,
c'est en même temps la plénitude et le but ultime de toute connaissance."
Ainsi selon lui la conscience qui brille au fond de
mon être
n'est pas quelque
chose que je pourrais
dire « mien »
"Qui, en vérité, pourrait
« posséder » l'être, le sat?
Qui pourrait posséder la manifestation
intérieure du sat qui est cit ?
la présence de sat à lui-même ?
L'être, sat, simplement est : il n'a rien;
il n'est à rien ni à qui que ce
soit.
Sat et cit, l'être et la conscience de l'être ne peuvent être séparés
l'un de l'autre,
leur relation est irréductiblement
non duelle,
elles sont advaita.
Cit, cette conscience que je suis, que j'atteins au plus
profond de moi-même, n'est pas un attribut de sat,
un attribut de l'être :
elle
est le sat même.
En cette Présence à soi-même de l'Être, je suis présent à moi-même, j'ai conscience de moi, je sais que je suis.
La béatitude ( ananda) elle est lorsque l'on arrive au secret dernier de soi,
là où l'homme rejoint sa Source y
retrouve sa Vérité vraie
Le Père nous explique :
"Lorsque la conscience pure
de soi atteint dans l'âme un degré suffisant de vérité
, c'est comme
l'envahissement de tout l'être par un sens ineffable de Complétude,
de Paix,
de Joie, de Plénitude,
c'est l'ànanda
C'est l'apaisement de tous les désirs et de tous les besoins,
à la
fois dans leur rassasiement et dans leur dépassement.
L'angoisse
existentielle, la terreur du néant, source de toutes les
anxiétés et de toutes les peurs, se trouve transcendée.
C'est l'harmonisation intérieure de tous les mouvements de l'être, unifiés dans
l'unité de l'Être et la conscience d'Être.
Une complétude qui est à la fois infinitude,
ananda et ananta le sans fin"
Par ailleurs :
"Ce qui est joie et plénitude ne peut être qu'infinitude.
Cela seul, en effet, est vraiment Joie et Paix,
cela seul est
félicité totale,
que nulle durée ne saurait entamer,
ce qui de soi
est sans fin.
toute limite, toute mort, le temps lui-même, sont à jamais
transcendés.
Je suis à jamais fixé dans mon propre centre,
au centre de toutes choses,
dans l'ananda du cit et du sat,
dans la parfaite
béatitude de l'Être et de sa conscience de Soi."
Ainsi pas plus que pour l'Être : le sat ou pour la conscience d'être:
le cit,
je ne puis dire de l'ananda, cette Joie infinie qui jaillit des sources
mêmes de mon être, qu'elle est mienne. ..
Ce serait réintroduire
une dualité
qui ferait immédiatement s'évanouir cette
béatitude.
Alors le Père nous dit :
"Ananda est, si c'est encore possible, encore plus insaisissable aux sens et à la pensée que le
sat et la cit.
Il est là, je le sais, mais...
quand je cherche à le regarder, il a déjà fui mon regard.
Il échappe
à qui tente de l'approcher :
la pensée ne le reconnaît que lorsqu'il
a disparu..."
Ce qu'il laisse derrière soi quand l'esprit l'a saisi en
son évanouissement même,
c'est comme un parfum qui remplit
tout et ne peut se définir,...
c'est comme un goût qui rend insipide
tous les autres...
Aussi ce n'est que dans le
dépassement de tout
ce que je puis dire « mien »
que je goûte,
au-delà de tout sens
de moi, cette profondeur ultime de moi.
Cette ananda de l'Être,"
Il va se soi qu'on ne peut par ses
propres forces ou de sa propre intention atteindre ou s'emparer de cette
béatitude .
Car en se l'appropriant on ruinerait son infinitude, n'obtenant
alors qu'une joie limitée à sa capacité de sentir et de concevoir.
Le Saux précise:
"L'ànanda est l'expression ultime de sat et cit, de l'être et de la conscience,
cette
béatitude est au-delà de toute mesure.
Elle m'attire irrésistiblement
dans sa propre infinitude,
au centre le plus profond de moi,
au
coeur même de l'Être et de sa Présence à soi."
On ne peu atteindre le Réel avec le corps,
ni avec le psychisme , ni avec l' intelligence ,
On ne l'atteint que lorsque l'on parvient à la dernière
gaine de soi,
celle qui est faite d'ànanda,
la seule qui soit plénitude,
ànanda est la vérité
dernière de l'Être,
son essence la plus intime,
sa révélation définitive.
La Joie qui y est atteinte est au sommet de tout, et dépasse tout,
car on y atteint la Béatitude
qu'aucune autre ne peut, même de loin, faire deviner :
la Béatitude
du Brahman,
la Béatitude de l'Être Suprême
l'Ànanda essentielle de l'Être.
" Et c'est là précisément
que se trouve le secret dernier de l'homme,
secret qu'il découvre quand il prend enfin conscience de Soi
, au plus profond de soi.
Au plus profond de moi,
au miroir le plus caché de mon coeur,
j'ai cherché à découvrir l'image de Celui dont je suis,
de Celui
qui vit et règne dans l'espace infini de mon coeur.
Mais
le reflet peu à peu a pâli,
bientôt il s'est abîmé dans l'éclat essentiel
du Modèle.
Alors...
alors de palier en palier, je descendis en ce qui me paraissait
comme des profondeurs successives de mon moi véritable,
de mon
être,
de ma conscience d'être,
de ma joie d'être.
Et finalement, il
n'y eut plus que Lui, l'Unique,
Seul et infiniment seul,
Être,
Connaissance, Félicité,
Saccidànanda."
"Au sein du Saccidànanda
j'étais retourné à mon Origine essentielle.
« Tat tvam asi », « Tu es Cela !' », furent les derniers mots
que mon coeur entendit,
et je m'endormis du sommeil de l'Être."
"Il regarda l'image
en soi,
mais l'image
disparut
dans le Soi,
et du regard rien ne resta
que le Regardé!"
...
"Mais l'Être est Éveil et donc par essence appel à la Vie et en son
immobilité intérieure, il est jaillissement d'énergie!
Jusque-là le chrétien avait cherché à pénétrer le
Mystère de l'être, de la
conscience et de la félicité comme du dehors,
mais le Mystère lui
résistait avec la dureté du diamant".
Dès lors il
s'enferme en son dilemme : ou bien il adhère à un impossible dualisme, en
l'imaginant
comme un « autre »;
ou bien il s'essaye à l'expérience de l'incompréhensible mais
inévitable non-dualisme où son individualité s'évanouit...
et se perd en une apparente fusion ....
: « Et moi je me couche et je dors... » dit
le Psaume 3.
prophétisant le réveil de
ce sommeil, comme de tout sommeil : « Je m'éveille , le Seigneur est mon
soutien ».
"Seul, le Tout
Autre est capable de réveiller l'homme de
ce sommeil, et il le fait par la Parole qui appelle le néant à l'être...
et les morts à la vie ...
pour une nouvelle création ?"
Et c'est cet Éveil qui s'accomplit au sein même du Saccidànanda qui en est la source....
"Les cieux où jusque-là Dieu ,semblait vouloir se tenir caché
s'entrouvrent...
le voile de la vacuité et de la nescience en lequel l'homme
était enveloppé se déchire...
et c'est l'Expérience directe de l'Absolu...
ainsi qu'il advint au baptême du
Seigneur,
puis en sa Transfiguration,
et finalement pour toujours,
dans la gloire de son Ascension"
"La « grotte du coeur », où IL demeure à présent, est le lieu même
où demeure le Fils...
dans le Fils en tant que Fils lui-même, il reçoit
un don absolument nouveau de pure grâce : l'expérience chrétienne
du Saccidànanda.
C'est en la résurrection du Ressuscité qu'il
se
réveille et qu'il revient à soi.
Désormais il vit de la vie même du
Seigneur et participe à sa béatitude."
Cette connaissance est tellement
fulgurante
qu'elle n'est en rien
comparable à ce qu'on avait pu imaginer au préalable...
avant que le grand sommeil ne
nous possède et ne nous emporte dans ses profondeurs....
Désormais le chrétien a pénétré au sein
du Saccidànanda, il fait concrètement l'expérience de sa « connaturalité » avec
Dieu et l'Esprit de Sagesse l'introduit aux secrets les plus cachés.
Maintenant il sait
Mais que sait-il me dites
vous ?
Il sait
que l'Être, sat, en son origine même donne
éternellement naissance au Fils... et en lui à d'innombrables créatures, lesquelles, chacune selon
leur nature et leur constitution, manifesteront et célébreront à jamais
l'Amour et la Miséricorde infinie du Tout Autre
Il sait aussi que l'être est fondamentalement « être-avec », communion, koinônia, don gratuit de soi et communication mutuelle d'amour
Il sait aussi que la conscience de soi, cit, existe seulement lorsqu'il y ce don et et cet accueil mutuels, car le « Je » ne s'éveille à lui-même que dans un « Tu »
Il sait
aussi que la béatitude suprême et définitive, ànanda, est plénitude
et achèvement parfait car fruit de l'Amour...
une béatitude solitaire n'existe pas, pas plus que
n'existent d'être ou de conscience d'être clos sur soi.
Il n'est de
joie, comme il n'est d'être, que dans la communication, dans le
donner et dans le recevoir.
Et le père Le Saux
d'ajouter:
"Tout cela le jnàni ( le sage, l'éveillé), non seulement le sait, mais il le vit,
il en
vit, il l'est :
au sein du Saccidànanda, il n'est rien, en effet, qui
se divise, se réserve ou se dérobe.
Cependant, au sein du Saccidànanda, le jnànî n'est pas
« comme une goutte d'eau dans l'océan »,
La richesse précisément du Saccidànanda est la communication de cette richesse, sa gloire et la communication de cette
gloire qui est donnée à chacun et par chacun et pour chacun.
C'est le fait même de recevoir et de donner qui constitue chaque élu de Dieu comme
un centre personnel au sein du Saccidananda, et lui permet de se reconnaître en son être propre au sein de cet océan incirconscrit
d'Être, de Conscience et de Béatitude.
Il se sait être
celui qui reçoit
du Père dans le Fils en l'Esprit, à la fois dans l'éternité
et dans chaque moment du temps;
il est aussi, à son tour, celui
qui se donne à tout, et par là, en l'Esprit retourne au Père.
Le jnàni est l'acceptation du don de Dieu qui, en son infini
liberté, l'a tiré du néant, et, dans son infinie compassion, l'a sauvé
du péché et de la mort. "
Il ajoute encore:
"Dans cette acceptation de l'Être et du Pardon, il est lui-même don de soi à Dieu, pure disponibilité
l'égard de son Seigneur.
Tout entier et jusqu'aux fibres les plus
intimes de son être, jusqu'aux retraits les plus secrets de sa personne
il est communion
:
communion avec le Père, le Fils et l'Esprit
communion avec chacune des créatures de Dieu. "
Il est ce fils qui entend la parole d'amour : « Tu es mon enfant bien-aimé.>>
Ainsi le Père ajoute:
"Dans le sat le
chrétien adorera plus spécialement le Mystère du Père, l'Être sans origine,
l'origine non manifestée d'où procède la manifestation...
Mais si l'on s'arrête à la contemplation du Père celle-ci demeure silencieuse...
Le Père en soi est celui qui ne s'est pas encore dit, qui est non manifesté,
ineffable abîme de silence
que le Verbe seul fait connaître
et c'est en ce Verbe qu'IL est présent à soi même
...c'est ainsi que de ce sat jaillit
le cit,
la conscience de soi, la présence à soi,
l'ouverture du sat à soi
même
Regard éternel du Fils qui au plus intime de son Être, se reconnaît
lui-même , image de Dieu dans le reflet parfait de la gloire du Père
qu'est le Fils.
Il n'est qu'une unique Présence,
comme disent les sages,
ceux qui ont contemplé la Vérité :
la présence de Soi à soi,
laquelle est identique à elle-même partout où elle se manifeste.
C'est
en regardant son Fils que le Père voit tout,
en l'aimant qu'il aime tout.
C'est dans la complaisance qu'Il prend en son Fils que le Père se réjouit de toutes choses, les trouvant vraiment « bonnes,
très bonnes »
(Gn 1, vv. 10, 3 1).
Ainsi tout « voyant » de Dieu voit le Père, seulement avec les yeux du Fils;
tout « aimant » de Dieu l'aime dans l'amour du Fils;
tout adorateur du Père le glorifie dans la louange du Fils.
et Tout ce qui ne passe pas par le Fils demeure en deçà du Réel, et appartient
à la sphère de la non-réalité... la sphère du chaos.
Innombrables sont les visages où se reflète le Fils au monde des
hommes.
Néanmoins, ils sont UN comme le Fils.
Cit est essentiellement non duelle, a-dvaita.
Ainsi, aucun
homme n'est vraiment étranger à un autre.
tous éternellement frère et Un au regard du même Père...
"Comme le Père s'éveille
à lui-même en moi, et en moi contemple seulement son unique
Fils, ainsi en est-il aussi en chacun de mes frères, aussi humble
ou insignifiant qu'il puisse paraître.
Il n'est nul homme avec qui
je ne sois en communion au Mystère "
dit le Père Le Saux qui ajoute
"L'être ne s'atteint que par la conscience de soi, le sat, par la
cit, le Père par le Fils.
La conscience de soi ne s'atteint que dans
l'être, la cit dans le sat, le Fils dans le Père.
Dans le Verbe résonne le silence de l'Être.
Sans cette Parole,
le silence serait demeuré à jamais clos sur lui-même.
Mais comment l'Être aurait-il pu demeurer éternellement non manifesté à
lui-même ?
En la Gloire seulement que lui rend le Fils, le Père est."
Ainsi...
Ainsi au plus profond de l'Être, on découvre l'Ânanda, la
Béatitude, l'intériorité dernière et l'action et
l'achèvement ultimes
Traduit en langage chrétien cela devient :
Au
plus profond de Dieu, on découvre l'Esprit, Infinitude et
Plénitude, Paix et Béatitude suprêmes.
Cet ananda de l'Esprit,
révélé au coeur du croyant, n'a rien de statique ou d'inerte
...
au contraire c'est
une dynamique formidable,
une énergie à la
puissance incommensurable
Dieu est « le Vivant », et l'Esprit
est la manifestation suprême de sa vie.
Dépassant et transfigurant toutes les distinctions que les hommes
établissent entre l'amour de Soi et
l'amour de l'autre,
entre le don de Soi dans l'agapè et l'exaltation
de Soi dans l'erôs.
l'idéologie chrétienne montre qu'il n'est en fait d'amour de
Soi qui, en même temps, ne soit essentiellement amour de l'autre,
ni d'amour de l'autre qui ne soit réellement amour de soi.
Comme le dit si bien Le Saux:
"C'est en
allant à l'autre, au monde divin comme au monde créé, que chaque
« personne » atteint à sa félicité et à sa complétude au plus intime
de soi.
Nul n'atteint le fond de son propre coeur, nul n'atteint
à la joie parfaite qui y est cachée, sinon dans son élan vers l'autre,
dans son passage, sa « pâque » vers l'autre.
Cette « sortie » de
soi et ce « passage » à l'autre s'opère dans le sillage même de l'expérience de Jésus "
Il ajoute :
"Ici se trouve enfin résolue l'antinomie du même et de l'autre
qui hanta la pensée grecque, et celle de l'an-eka et de l'advaita,
du non-un et du non-deux, qui hanta les sages de l'Inde."
en fait on est jamais si intime à soi qu'au sein
de l'autre....
et jamais si hors de soi et passé en l'autre qu'au plus
intime de soi-même.
C'est cela précisément le Message que Jésus
apporta à l'humanité et qu'il formula en termes extrêmement
simples dans le commandement de l'Amour,
Amour qui sourd
de l'ànanda et s'achève en l'ânanda, puisque l'Ànanda suprême,
c'est l'Esprit.
L'Esprit
est l'ànanda ( joie, béatitude)qui nous révèle la Parole dont sourd toute
joie et qui nous entraine en la plénitude de cette joie.
Il est
l'ânanda
qui fait résonner en nos coeurs le Message quand il
parvient aux oreilles de notre corps.
Il est
l'ànanda qui prépare
notre coeur à entendre la Voix qui, au dernier jour nous appellera
Il est
cette sérénité, cette plénitude, cette joie qui envahit tout notre
être quand le grand Silence commence à se répandre en nous.
La Béatitude prend possession de nous à cause de la manifestation du
sat et de la
cit,
préparant en même temps leur manifestation finale et plénière.
C'est aussi à travers l'ànanda que l'on peut atteindre le sat et la cit.
Ce sont les « touchers » de
l'Esprit sur l'âme,
ses passages, souvent discrets et fugitifs,
parfois
brûlants et bouleversants,
qui en réalité préparent l'âme à la révélation finale qu'elle est elle-même
sat-cit-ànanda.
D'abord éclairs dans la nuit,
ils deviennent progressivement la douce et envahissante clarté de l'aube,
prélude du lever du
Soi à l'Orient de l'Être.
L'Esprit est Celui qui nous révèle le Fils.
Cependant l'Esprit
n'est ni parole ni discours.
Il est ce murmure inaudible,
ces mouvements vibratoires de l'air en lesquels se prolonge la Parole
la résonance nasale qui achève le OM.
Comme le Père il est silence.
Il est le silence qui répond au silence des éternels commencements.
La Voix que
le Fils est au sein de l'Être jaillit du silence et retourne au silence.
Et nul jamais ne saura l'entendre ni pénétrer au silence d'où elle
naquit s'il ne se laisse engloutir au silence qui procède de cette Voix.
L'Esprit
met tout notre être en syntonie
avec la Parole qui est le Fils.
L'Esprit
est cette éternelle résonance
de l'Abba Père que le Fils chante au Père, du fait de sa propre
existence.
L'Esprit
est le rayonnement de la Gloire que le Fils reçoit
du Père et sans fin lui retourne.
La Voix du Fils, en effet, ce n'est
pas de l'air qui vibrerait comme en dehors de nous,
c'est l'ébranlement même de notre conscience au plus intime d'elle-même,
lorsque nous devenons conscients que nous sommes engendrés par
le Père éternel.
Le Règne du Fils et celui de l'Esprit ne sont ni opposés ni
successifs l'un à l'autre.
Il n'est qu'un Règne, le Règne de Dieu.
Il n'est qu'une joie,
Il n'est qu'une plénitude,
Il n'est qu'un abîme
celui du
Saccidànanda, abîme triple et pourtant unique.
L'âme vit la joie suprême de l'Être non seulement dans la
« grotte de son coeur »,
mais aussi dans la multiplicité de ses
contacts avec le monde des hommes
avec celui de la nature aussi .
Le Père le Saux proclame:
"Chaque instant est sacrement d'éternité,
Chaque événement
est signe
Chaque événement est sacrement de la Joie absolue,
puisque rien n'échappe
dans l'univers à la transformation qui s'opère à chaque moment
par l'eschaton divin et par son signe : le mystère eucharistique."
"Au creuset de la foi et de l'amour, toutes les joies des hommes,
petites et grandes,
de même que toutes les peines de ce monde,
se transforment en la Joie éternelle et unique, l'Ananda de l'Être"
« A celui qui a vu l'Unité,
en qui le Soi est devenu tous les êtres,
quelle place demeure pour illusion,
chagrin ou souffrance quelconque? »
Bien sûr l'homme ne possède pas cette ànanda, mais il est
possédé par elle.
C'est comme une force, une source d'énergie qu'il
sent jaillir de sa profondeur,
c'est la force primordiale la shakti. ( puissance divine et créatrice)
Tout se passe comme si
le centre le plus profond de son
âme s'est ouvert de l'intérieur,
et qu'il n'est plus désormais qu'un
canal par où s'engouffre la force infinie qui mène les mondes à
leur consommation et à la perfection de la Parousie.
et toutes
les disciplines spirituelles et les méthodes de yoga de l'Inde n'ont
d'autre but que de libérer cette force;
elle même libératrice
d'un sentiment inexprimable de sérénité, de plénitude et de béatitude.
Le Père Le Saux poursuit:
"Il faut affirmer, sans
crainte aucune, que toute l'évolution du cosmos tend vers cette atteinte par
l'homme de la Plénitude de l'Esprit,
et qu'il y est conduit par tous les signes sacrés que le Seigneur institua
comme moyens de communiquer Sa Grâce
. La
grâce, en effet, ne tend à rien de moins que cela, pour autant que
l'on prenne au sérieux les paroles de Jésus.
Tout est ordonné par
Dieu en vue de la pleine possession des âmes par l'Esprit.
Selon
la Bible, le chrétien est un être qui est devenu plus qu'une simple
partie de l'univers, mû par ses impulsions naturelles : c'est
quelqu'un qui est mû d'en« en haut' », mû par la volonté de
l'Esprit dont il est rené (Jn 3, 3-8)
. Bien qu'il vive en ce monde,
il le transcende "'
Bien sûr, l'expérience quotidienne semble infliger un pénible
démenti à de si belles promesses et à une telle espérance.
Et trop de chrétiens vivent résignés allèguent
leur faiblesse congénitale et l'influence toujours présente dans le
monde du péché d'Adam ...
. Cependant, les mots que Jésus prononça sont Vérité et
Vie et la paix et la joie
promises par Jésus à ses disciples au moment de disparaître
sont déjà présentes, à l'état latent, au coeur de tout homme
qui a reçu sa grâce.
Elles demeurent néanmoins
comme scellées
et inopérantes
aussi longtemps qu'il refuse d'ouvrir par le dedans
la porte de son âme au Seigneur
Par ailleurs personne n'est exclu de la Joie des élus de Dieu.
Dans l'Ânanda
divin, il n'existe ni propriété privée ni privilège particulier.
Rien
n'est à moi qui ne soit à tous.
Rien n'appartient non plus à l'un
quelconque de mes frères qui ne soit mien par le fait même.
Ce
n'est que dans la communication que j'en fais aux autres, au Mystère de l'agapè et de la koinônia que j'entre moi-même en
possession du don que me fait l'Esprit.
Pourtant chaque conscience est emportée au tourbillon cosmique, du
samsàra comme dit l'Inde, et c'est dans des
mesures très diverses que les hommes parviennent à s'en libérer
et à s'éveiller à soi au centre véritable d'eux-mêmes.
C'est en vertu
de l'appel divin et de l'aspiration de tous les hommes vers l'ànanda
du salut que certaines âmes privilégiées sont admises à y goûter
dès ici-bas.
Ces privilégiés sont responsables, dès lors, au nom
de tous, de la manière dont ils accueillent ce don de l'Esprit, et
c'est au nom de tous et pour tous qu'ils sont porteurs et faits dépositaires de cet
ànanda de l'Esprit.
Parmi ceux qui sont ainsi « menés
par l'Esprit », les chrétiens éveillés ont une responsabilité fondamentale : c'est ici précisément
là que se situe leur sacerdoce cosmique."
le Père poursuit :
"Ceux qu'une consécration sacerdotale ou religieuse a « mis à part »
dans la sainteté de Dieu se doivent d'être spécialement interpellés par cet
appel à une pleine responsabilité. C'est dans la foi de ceux qui sont nés
dans la plénitude des temps que trouve, en quelque sorte, son achèvement
plénier le don de ceux qui s'éveillèrent et se rendormirent avant que n'ait
lui l'aurore des temps messianiques.
En Inde, c'est dans la contemplation des mystiques chrétiens, héritiers
des anciens rishis, que l'intuition antique du Saccidananda atteint enfin sa
pleine valeur rédemptrice.
De la même manière, on peut dire que c'est dans l'Eucharistie
célébrée au coeur des pics des Himalayas que sont assumées, dans l'adoration du Père « en
esprit et en vérité », toutes les liturgies jamais offertes, ainsi que
toutes les ascèses jamais pratiquées en ces lieux illustres.
Il n'est qu'un unique Regard, qui embrasse tout l'être et en qui
toutes les créatures sont regardées avec tendresse par le Père,
c'est
en ce même et unique Regard que tous contemplent le Père, l'aiment
et l'adorent.
Le Regard d'amour du Père, c'est son Fils éternel.
Il n'est qu'une seule Béatitude en laquelle le Père et le Fils, et
dans le Fils tous ceux qui, avec lui et par lui, sont nés de Dieu,
prennent éternellement leurs délices.
Cette Béatitude est l'Esprit
d'Amour, le divin Ànanda."
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