Quelques
images encore pour que vous puissiez rêver avec nous...
ou méditer sur la beauté de ces lieux...
Un tiki
souriant c'est rare !
esprit farceur ? jouisseur?
lubrique ?
et poartout sur les anciens sites religieux et donc magnifiquement exposés aux immensités océanes ...des Eglises
ILE D'HIVA-OA
Décembre 1925.
Le lendemain de mon arrivée, je suivis le sentier qui montait le long de la
vallée d'Atuona, voisine de la baie où j'avais mouillé mes ancres.
De chaque côté de la route, des cases disparaissaient dans le feuillage. Le
nombre considérable de « paepaes >> (terrasses en pierres) abandonnés témoignait
de la diminution incroyablement rapide de la population. Le long du torrent qui
descendait de la montagne, des femmes se livraient aux soins minutieux de leur
toilette et lavaient leurs longues chevelures qu'elles oignaient ensuite du jus
dee petits citrons sauvages.
A l'angle
d'un sentier qui coupait le mien. apparut soudain une troupe bruyante d'enfants
qui descendaient à cheval de la vallée voisine, porteurs de fruits et de
fourrage.
La bande joyeuse mit pied à terre et se joignit à moi. A mi-hauteur de la
montagne, mes jeunes guides s'arrêtèrent dans une clairière en criant : « Taha
Tapou. » Le sol était pavé sur une grande étendue. Des rocs amoncelés et taillés
formaient une terrasse élevée. C'était là l'ancien « m'a'e », ou place sacrée
des sacrifices humains d'Atuona. Cette place, qui avait été jadis si
soigneusement entretenue, était maintenant abandonnée. Un banyan au tronc
immense enfonçait ses racines entre les pierres disjointes et recouvertes de
feuilles mortes, autrefois soigneusement frottées et polies avec l'huile
extraite de la noix du cocotier.
Des vandales avaient emporté les piliers de bois richement sculptés du temple
qui se dressait autrefois sur ces pierres. On pouvait cependant encore
distinguer les emplacements réservés aux chefs, aux Tahu'a qui étaient les
prêtres, et les cuvettes creusées dans le roc qui servaient à recueillir le sang
des sacrifiés.
Nous nous assîmes sur les pierres sous le banyan pour nous reposer. Des
indigènes qui descendaient la vallée porteurs de fruits à pain, s'approchèrent
de nous. Un magnifique vieillard m'adressa la parole en un anglais tel que le
parlent les matelots américains. Il était tatoué à la mode d'autrefois et avait
dû être un chef, car son tatouage était une aeuvre remarquable et témoignait de
l'habileté prodigieuse et du goût exquis de l'artiste qui l'avait exécuté. (...)
Je ne me
lassais pas d'admirer son visage, ainsi, dans un musée, je ne peux détacher mes
yeux d'un tableau qui me plaît. -- et je regrettais que la loi des hommes blancs
ait interdit de telles manifestations de l'esprit artistique .
Un enfant monta, avec l'agilité d'un quadrumane, sur un cocotier pour me
cueillir un fruit qu'il choisit parmi d'autres en déterminant leurs divers
degrés de maturité en les frappant légèrement. Il prononça celui qu'il m'offrit
« meitai nui », très bon, et effectivement son eau était fraîche et limpide. et
sa chair à peine formée délicieusement sucrée.
Dans l'intervalle, plusieurs indigènes s'étaient assemblés autour de moi. C'est
avec tristesse que je considérais les derniers descendants d'une race
magnifique, car aucn d'eux n'avait une apparence absolument saine. Plusieurs
traînaient une jambe éléphantine. D'autres présentaient des marques
indiscutables de tuberculose ou de syphilis héréditaires. Ils étaient bien les
épaves d'une population décimée par les maladies. l'alcool, l'opium, tous les
fléaux importés par les blancs.
-M'arrachant à ces tristes considérations, je suivis la troupe joyeuse des
enfants. Plus haut dans la vallée, nous prîmes un petit sentier qui pénétrait
sous le couvert et nous conduisit dans la profonde gorge d'Atikua. Une petite
chute d'eau descendait en cascades successives de la haute montagne. Un bassin
presque circulaire était entouré par de hauts rochers polis par les ans. « Vai
hae », me dirent les enfants . C'était bien là la chute d'eau célébrée par les
anciens chants polynésiens. Enlevant leurs vêtements en un tournemain, mes
jeunes camarades plongèrent dans l'eau fraîche du bassin et je ne fus pas long à
suivre leur exemple.
Parfois, mes jeunes amis venaient me voir à bord et je devais, avec mon petit
berthon, faire de nombreux voyages pour les amener sur le Firecrest, une
difficile opération dans la houle du port.
Tout, à bord, les étonnait et était nouveau pour eux. Notre conversation était
assez limitée, car ils ne parlaient pas français et moi assez peu le marquisien.
Néanmoins, nous parvenions tout (le même à nous entendre.
De nombreuses photographies que je leur montrai suscitèrent leur curiosité, mais
ils ne semblaient pas bien comprendre ce qu'elles représentaient et les
tournaient et retournaient en tous sens. (...)
Mais la
houle faisait fortement rouler le Firecrest dans l'étroite baie de Tahaoukou, et
mes jeunes visiteurs incommodés ne restaient jamais longtemps à bord.
Descendants d'extraordinaires navigateurs, les Marquisiens n'étaient plus des
marins, et il n'y avait que deux ou trois pirogues dans l'île.
Atuona, décembre 1926.
Lorsque mes travaux à bord me laissaient quelques loisirs et que j'allais à
terre, j'étais sûr de rencontrer de nombreux enfants ou « toiki », qui
m'accompagnaient dans mon excursion et m'initiaient à leurs jeux. C'est ainsi
que j'appris à pêcher les écrevisses dans les cours d'eaux à l'aide d'arcs et de
flèches minuscules. Autrefois, aux Marquises, l'arc n'était en effet employé que
pour des jeux et jamais dans un but guerrier. De même, aux îles Hawaï, un (les
grands divertissements des alii ou chefs était de tirer à l'arc des souris dans
un enclos en appuyant leurs chances respectives de paris souvent fort
importants.
Un autre procédé pour attraper les chevrettes d'eau douce demandait beaucoup de
patience et d'ingéniosité. Une mince corde était tressée avec la fibre que
renferme la noix du cocotier. Un nœud coulant était formé à une extrémité et
l'autre attachée à une mince baguette. Tout doucement et avec des précautions
infinies, le noeud coulant était passé sous la queue (le la chevrette qui était
ainsi capturée. J'ai vu aussi par ce moyen attraper les crabes ou Eaveou en les
prenant par les yeux. Ces histoires de pêche paraîtront invraisemblables au
lecteur, mais dans les histoires de chasse ou de pêche la vérité est étrange et
souvent incroyable.
Et c'est pourquoi, lorsqu'à mon tour je voulus expliquer à mes jeunes amis
comment, en France, j'avais attrapé des grenouilles avec un bout d'étoffe rouge,
je fus accueilli par (les rires et les cris de « tikoe » ce n'est pas vrai.
Lorsque nous passions près d'arbres fruitiers, les toiki se précipitaient pour
en cueillir les fruits, mais lorsque c'était un haut manguier, ils préféraient
les abattre à coups de pierre. Je pus ainsi constater l'habileté prodigieuse des
Marquisiens pour jeter des cailloux, ce qui n'est guère surprenant si l'on
considère qu'autrefois le jet de pierres, soit à la main, soit à la fronde,
était la principale arme de guerre.
Ainsi l'Américain Porter qui, en 1813, avait pris possession de l'île du -Nord
ou Noukouhiva, paie un haut tribut à l'adresse des farouches guerriers Taipis et
raconte que leurs projectiles arrivaient avec la force et la précision d'une
balle de mousquet.
( l'évangile du Soleil. Alain Gerbault)