Dans le premier monde, celui des origines ou celui de leur histoire selon les wayana la fluidité des formes est le thème exclusif

 Il faut se représenter un univers aux contours indéfinis, aux formes changeantes :
 « tout pouvait se transformer en tout », affirment ils.

Non pas un univers amorphe, mais un monde caractérisé par un polymorphisme total et permanent.

 Cette période des débuts est celle de la toute puissance du désir, du rêve ...

 Kuyuli a-t-il besoin d'un oiseau pour surveiller sa nasse, et les oiseaux sont créés"'...


L'irruption de l'histoire, au sens occidental du terme, dans le monde du « mythe » correspond au retrait de cette capacité magique du vivant : la métamorphose, anuktatop

 C'est alors que survient la grande césure qui allait instaurer le règne de la matière intransformable : cette césure résulte du fait que les hommes ont humilié le démiurge, débouchant sur un événement majeur : l'inondation, l'élimination des premiers humains, le feu gigantesque..

...et l'humiliation est causée par l'adultère qui bien que très fréquent chez eux, constitue pour les Wayana La faute.

 Il représente, surtout quand il est exposé, la réalisation la plus aboutie du non respect des convenances, du mépris de la règle ;
il est la principale source de conflits, de tensions.
 Presque tous les récits de la tradition tournent autour de ce thème et mettent en exergue le regret profond, le réel chagrin qu'éprouvaient les Amérindiens d'être devenus, à travers lui, lourds, visibles, in-transformables,
bref d'avoir été rejetés de l'univers des êtres de pouvoir ... à celui des créatures ordinaires

Il faut dire aussi  que la principale conséquence de cette perte est le mal, la souffrance.

Les parures et les danses de fête trouvent leur justification dans l' effort de l'essor vers le ciel des origines, le paradis perdu
à la fois mime, répétition et tentative réelle et vaine de lutter contre la volonté du démiurge.


 


La notion d'une destruction du monde primordial, brûlé par le feu et submergé par les eaux, existe également chez les Tupi  ; mais certains d'entre eux, à la différence des Wayana et des Carib en général, qui imaginent un "bonheur" après la mort, cherchent pendant leur séjour sur terre à gagner le paradis, la « terre sans mal », qui correspond au lieu où le héros a pu échapper à ces cataclysmes, et où se trouvent de « merveilleux abatis qui portent des fruits par eux-mêmes ... en quelques instants ».

Pour les Wayana l'âme/double du défunt quitte son corps dès le décès et doit, pour accéder au paradis éternel, le «ciel sans mal »; pourrait-on dire,
elle doit franchir un pont étroit suspendu au dessus d'un fleuve de sang (ou de feu) grouillant de poissons carnivores pendant que des génies mal intentionnés (nommés kënekë : « regardes ») essaient de la distraire afin de provoquer sa chute .

Dans ce cas (il s'agit surtout de femmes qui se sont faites avortées, d'asociaux notoires...), elle est dévorée.

Bref la destruction de ce premier monde serait lié à l'embrasement, provoqué par Kuyuli, du fromager géant qui joignait la terre au ciel et dont la trace persiste sous la forme de la voie lactée, kumake ëhewalutpë (l'embrasement passé du fromager).

 


 

Kuyuli, qui a littéralement imprégné l'univers et qui, sous différents avatars que nous avons vu précédemment, a créé le monde, se replie  alors définitivement dans son séjour céleste,
privant les niveaux inférieurs d'une grande partie de leur capacité de métamorphoses : 

Nous avons perdu  le Monde du rêve

Au final nous avons perdu la possibilité de réaliser ce qu'il y a de céleste en nous,
notre part de magique, de merveilleux,
cette attitude mentale,  cette vision de l'univers,  cette interprétation  du monde dans laquelle l'imagination refuse de se laisser freiner et/ou enfermer par la raison et par l'expérience  .

Nous aurions pu monter au ciel,
vivre une éternelle félicité,
si seulement nous n'avions pas trompé Kuyuli 
ne l'avions pas humilié en se moquant de ses plaies.

Le paradis, qui est le séjour des kuyuli et sans doute aussi des âmes des défunts, est désormais hors de portée.
 C'est-là le point important des croyances religieuses wayana.

Abandonnée de Kuyuli, l'humanité doit se débrouiller seule,
les hommes ne peuvent plus compter sur le démiurge :
 ils vivent dans un monde pesant, éphémère, inféodé à celui du rêve.

Seuls les chamanes pourront encore partiellement  accéder au "vrai monde"

La transformation est liée à la création , elle en constitue la condition
et c'est parce que le premier monde n'était pas figé, qu'il existait sous le règne de la transformabilité, de la malléabilité, qu'il a pu s'actualiser dans autant de formes.

Seules les pensées créatrices des kuyuli, ces avatars du Pouvoir, ont contribué à l'enrichir, à le compléter :
 le besoin ou le désir,énoncés, suffisaient à tresser, c'est-à-dire à rendre solide et figé.

 La principale différence, en fin de compte, entre les esprits et les humains, ce n'est pas l'invisibilité des uns et la visibilité des autres"' (en fait, les esprits peuvent se rendre visibles, et les chamanes peuvent devenir invisibles) :
mais c'est la perte du pouvoir général de métamorphose des seconds.

Seuls parmi les hommes les chamanes peuvent encore actualiser cette étonnante potentialité qui fonde leur rôle

 

.Le don spécial  des chamanes, que Kuyuli a déposé en eux, ce n'est pas tant celui de « voir » (pouvoir de double-vue) que celui de pouvoir se transformer (c'est-à-dire d'accéder au monde des origines) pour mobiliser l'action des différents esprits (jolok) dans un but thérapeutique ou morbigène,
 c'est-à dire pour modifier l'état des choses.

 Or, être capable de faire faire, c'est bien le fondement même de tout pouvoir.

Le chamane est finalement, « un noeud de transformation qui actualise le temps des origines », un passeur de frontières.

Non seulement les chamanes se métamorphosent, mais ils transforment : reproduisant ainsi la geste originelle de Kuyuli,
 c'est en parlant et en soufflant sur du tabac tressé qu'ils peuvent fabriquer des « esprits ».

Le tabac ( ou d'autres substances plus véneuses ou planantes) est sans doute le plus puissant catalyseur de transformation pour les Wayana.
Ainsi dans leur langue le terme tanuktai = transformer  veut dire aussi « retrousser » :
 or c'est bien en quelque sorte sa peau que le chamane retrousse, totalement, pour s'évader de sa forme actuelle,  laissant l'ancienne enveloppe de peau sur place afin que les esprits l'enfilent à tour de rôle.
Il y aurait beaucoup à dire r le rôle de l'enveloppe corporelle dans le processus de transformation....cela nous entraînerait un peu trop loin je pense...

 

 Les "kuyuli" non seulement sont ubiquitaires, immortels, protéiformes,
ils peuvent se transformer à loisir,
 mais ils ont aussi la capacité de réapparaître longtemps après leur première manifestation, et de jouer un rôle dans l'histoire des hommes, ou plusieurs rôles même (ainsi  Sikëpuli : ami du démiurge lors de la création du monde, iparticipera aux guerres inter-ethniques).

 Ce sont des personnages éternels, vivant dans une dimension qui échappe au temps (et aux regards du commun des mortels), au malheur et à la tristesse, contrairement à notre monde à nous, celui des humains :
c'est leur sort qu'ambitionnent les Wayana.

Ici se trouve la source de leur désir de transcendance qui se manifeste notamment à travers des rituels (comme celui du maraké) associant prescriptions comportementales parures (notamment de plumes), danses, musiques, dans le but de mimer ou de réunir les conditions de l'ascension/métamorphose.


Si le règne des métamorphoses a cessé quand le monde a pris son aspect actuel, il n'est pas pour autant définitivement clos :
 par intermittence. et dans certains domaines précis, il trouve encore moyen de se réaliser.

 Ainsi, certains esprits de la forêt peuvent-ils prendre apparence humaine ou plutôt vivre sous deux apparences, visible et invisible.
Ainsi  un chamane peut provoquer la transformation de certaines personnes en jaguar.

 Par ailleurs, on peut encore assister à des métamorphoses : telle personne a vu un poisson à corps de chenille (puisque la transformation débute toujours par la tête) ; telle autre a observé un oiseau ou un poisson dans cet état intermédiaire ; les poissons qui repeuplent les mares quand vient la saison des pluies sont aussi le produit de la transformation de chenilles...

La chenille - qui va devenir chrysalide, puis papillon - est l'emblème même de la métamorphose ; elle joue un rôle considérable dans la culture wayana, où elle est partout ou presque présente (que ce soit dans les interdits, l'artisanat, les récits...).

 Chenille et métamorphose sont, redisons-le, des piliers de la représentation wayana du monde et de l'usage qu'ils en font.

 

Motif de vannerie "Matawat" de la chenille


 


Notre terre, selon la mythologie des wayanas est constituée par le ciel de jadis, effondré.
 Elle est plate comme une galette de manioc,
 et surnage au-dessus d'une étendue d'eau, laquelle serait le royaume  d'« esprits primitifs » (ipo) qui nous dévoreraient s'ils le pouvaient .

Isolée comme un île , la terre est surmontée par un toit en forme de dôme
le Tukusipan en est l'illustration et le rappel 
il symbolise le ciel (kapu), soutenu par des poteaux ou piliers (kapu epu) qui reposent à ses confins.
 Là, à l'horizon, le ciel'" et la terre sont mitoyens.

Un auteur rapporte : « On me demanda si là-bas, très loin sur le fleuve Amazone, le ciel est plus proche de la terre qu'ici. Quand, en 1903, quelques Wayana nous rendirent visite sur le rocher [inselberg] Knopoiamoi, qui a 500 m de haut, ils crurent qu'on y était moins loin du ciel » (ibid).

 Nous croiserons plus loin l'image de gens parvenus au sommet d'un inselberg pour y faire des incantations afin de se transformer, c'est-à-dire de partir vers le ciel.

 

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