Le lac...

C'est là que demeure l'ermite...Kalaïwa...

il faut encore deux à trois heures heures de marche dans des layons étroits et tortueux  pour l'atteindre...
mais il est tard...
mieux vaut  rester à l'abri.. . car dès que vient la pénombre la forêt des esprits s'éveille et l'étendue immense se couvre de cris
c'est l'heure des grands prédateurs et des monstres qui se mettent en quête de chairs fraîches

Nous avons donc bivouaqué sur le rocher avec devant nos yeux le merveilleux coucher de soleil amazonien sur l'horizon immense ...
au loin l'immense fleuve brillait de tous ses méandres comme une ceinture de diamant
et des vols d'Ibis rouges striaient le ciel bleuté qui allait s'assombrissant à chaque battement d'aile se griffant passionnément d'ocre et de pourpre...

 

 

Après le dîner le chef a entonné un vieux chant au rythme d'une mélopée monotone et grave

 

Kalaïwa, le chamane, est allé en forêt, sur une grande colline. .
Mais une fois là, il s'est endormi.
 Il allait pour tuer, abattre des gens, des ennemis
Il y va
et pratique une séance chamanique.

. "Bon, ce n'est plus très loin, nous taillerons des casse-têtes là-bas ! »
 dit il à ses hommes.
Puis ils sont allés loin pour tuer des ennemis.
Ils dorment en chemin. .

."Bon, coupons ici les casse-têtes ! », dit Kailawa,
. "mettons des hemït pour tuer ! ».

Tous ses guerriers revêtirent alors les hemïts :
 ils colorièrent leurs casse-têtes,
. Lui connaissait les hemïts parce qu'il était chamane,
 il savait tout à leur sujet.

Kailawa devint peu à peu très puissant,
 il  devint agressif comme un guerrier.
 Vivre en soldat, c'était notre manière d'être alors,
 vivre en guerrier !

Lui. en tant que chamane, connaissait ses ennemis de près
du fond de leur être.
 Il les voyait et les sentait du dedans
"Ils ne sont plus loin, attendons là !
Ensuite, d'ici, nous irons les tuer, à l'aube ! »,
 dit Kailawa,

Il  s'y connaissait en tant que chamane
mais il n'était pas que chamane en ce qui concerne les malades.
Il était chamane aussi pour cela,
 mais aussi chamane pour tuer des gens

 Kailawa ne soignait pas seulement les malades
parce qu'il se déplaçait sans cesse
Il allait aussi juste tuer des ennemis
de tout juste tuer des Tiliyos etc...


Il voyageait beaucoup, mais ne soignait pas seulement les malades ;
 il  ne faisait pas juste cela,
se déplacer en chamane
 il savait voir les gens de l'intérieur,
Il savait évaluer leur proximité d'être,
et c'est tout,
 seulement cela
essentiel
Mais quand quelqu'un était souffrant,
Kailawa était aussi chamane
il savait le soigner
même s'il  était en voyage.
même s'il n'était pas là présent

Voilà les choses d'autrefois,
 la façon d'être de Kailawa.

  extrait d'un récit mythique( Kalaïwa pijaï ( traduction Chapuis)

 

Assurément on a du se faire repérer conclu  Jess avec humour... quand l'ancêtre eu finit de chanter

Mais maintenant le chamane ne tue plus surtout ses amis... mais il soigne seulement ... car le temps de la paix est venue ajouta tout de suite le chef... pour détendre un peu l'atmosphère...

Nous l'avons dit Kailawa est considéré comme un héros culturel, le fondateur de l'ethnie wayana (et apalai) : « notre ancêtre à tous »
Ses excès ont débouché sur sur l'ordre.
cette notion naguère très forte n'est bien sûr plus  contestée par les wayanas d'aujourd'hui

Au premier abord, être humain ordinaire, pourvu de parents comme les autres hommes  il est chaman. doté de pouvoirs  puissants : « il est puissant depuis qu'il existe, d'un Pouvoir puissant ».
 Guerrier invincible, c'est aussi un ami du kuyuli Sikëpuli (alias Mopo) ( avatar du démiurge) qui va lui rendre service.
 De plus, son « père » (qui n'est certainement pas le père biologique) aurait eu tout le savoir des hemït et le lui aurait transmis (Kailawa est doté d'une connaissance extrême et quasi-innée de ces produits surnaturels), ce qui nous oriente encore vers Kuyuli. ( le démiurge créateur du monde qu'il a tressé)

 Enfin il s'éteint de façon extraordinaire : il ne meurt pas ordinairement, c'est-à-dire tué par une maladie ou un ennemi...
 mais disparaît de lui-même...comme Isaïe

Ainsi tous ces indices laissent penser qu'on peut classer Kailawa, à la suite d'un long travail de mythification effectué au cours des temps dans la catégorie des Kuyuli  ( avatars de dieu) même si on ne dit pas qu'il  est monté au ciel... c'est ce qui se passe... en fait

Son successeur, qui a repris son nom, instaurera la paix définitive  entre les clans et inaugurera le mode de vie « hors de la forêt » qui prévaut actuellement :
ordre pacifique et laborieux

un ordre social dans le mélange des clans et des gens.

Et si cet ordre peut exister, ce n'est pas seulement grâce à la paix.
 Kailawa  habilement a conservé les noms des enfants épargnés, issus de tous les groupes, qu'il a élévé et qui vont constituer l'ethnie.
Ces noms sont transmis jusqu'à présent, liés à leur clan d'origine comme autant de marqueurs.

 C'est en partie grâce à eux que l'on peut identifier une personne sur le plan clanique, la situer au sein d'une lignée car chaque famille possède un stock limité et non cessible d'anthroponymes réutilisables à la mort de leur dernier porteur.

 Ainsi, si Kailawa a bien mis fin aux clans en tant que cellules se détruisant mutuellement entre elles avec haine, il a sauvegardé leur principe qui fournira structure et ferment  à une société pacifiée - et dotée d'une identité propre

Ainsi d'une vie exclusivement forestière : cause frustrations diverses, de haine innée de l'autre ,de violence aveugle, de peur de vendetta, de mobilité permanente ,d'usage massif des hémit...
on est passé progressivement à un stade de crainte d'être tué à un  dégoût de tuer
puis à un désir d'une vie plus confortable et des objets occidentaux
puis à la mise en place de mécanismes anti-vengeance (= anti-guerre)  en favorisant les  intermariages (mélanges entre les clans) ;

Il y a eu sortie hors du couvert forestier,; remplacement de la guerre par le négoce ;,abandon des hemit meurtriers ;
attitude pacifique opposée aux provocations , développement des palabres... etc...
avec comme résultat ce que l'on peut appeler « le confort » : vie sédentaire (plusieurs fois liée à l'agriculture) ; meilleurs accès aux biens occidentaux (qui facilitent, notamment, l'agriculture) ; amélioration qualitative et quantitative du régime alimentaire ; locomotion fluviale plutôt que pédestre ; relations pacifiques et de négoce ; transition progressive  du clan à la « proto-ethnie etc...

La forêt reste une cache sombre,un  lieu  sauvage où s'exacerbent les plus sanglants penchants humains et où s'ébattent les créatures du rêve,
loin des regards,
 alors que les berges des grandes rivières exposées à la lumière donnent à voir,
 invitent à l'échange.
à la rencontre et au mélange

 Pour désigner ce passage, cette grande mutation sociale, le terme le plus utilisé est tehmakai  qui signifie « se découvrir », « se mettre à découvert » , « s'exposer »,
 mais aussi, dans un autre contexte "se livrer », « se dénoncer ».
telle est donc l'issue hors de la forêt
l'exposition au regard et aux risques, mais aussi l'ouverture aux échanges de toutes sortes

Le sens premier du terme tehmakaï est naître, accoucher
et il y a de cela:
 sortir de la forêt c'est naître à un mode de vie nouveau, moderne et pacifique.
 C'est passer de l'ère des clans sauvages à celle des fédérations ethniques pacifiques et négociantes

Les Wayanas fils de la paix sont aussi ceux de  la lumière des berges.
Ils s'opposent dorénavant aux sauvages (Akuliyo...) qui y sont demeurés,
 aux demi-sauvages (Tilïyo...) qui ont gardé le goût du sang.

Finalement, à suivre l'idéologie indigène, c'est en tournant le dos à la forêt pour devenir des gens de l'eau que les Indiens de la région ont pu franchir une étape sociale majeure riche d'implications.
 
Si un certain nombre de facteurs précédemment évoqués ont créé les conditions nécessaires à la paix, cette dernière est le fruit d'une volonté consciente : ne plus riposter à la violence par la violence, se réunir et, finalement, se répartir sur les fleuves en échangeant des femmes,
 se métisser enfin pour éviter la résurgence des conflits ancestraux. les luttes liés aux clans endogames...

et tout cela c'est le fruit de l'idéologie de Kaïlawa le grand chamane..."
 

Les loupiots et nos commensaux s'étaient endormis autour du feu ...

Pulpoli ajouta quelques bûches pour la nuit : éloigner les bêtes curieuses et limiter la fraîcheur de l'air en altitude ...
et ponctuer de ses craquements l'étonnant  et fracassant silence
... humaniser le calme de la nuit

Il m'aida à porter tout le monde dans les hamacs bien à l'abri

en bas le lac brillait intensément sous la lune
 et les feuillages semblaient s'y refléter dans des teintes d'or contrastant sur la surface argentée...

une fumée parfumée d'herbes odoriférantes étranges et envoûtantes  semblait monter
 ainsi que l'écho ... qui nous parvenait par bribes d'un chant monotone...
accompagné du son d'un tambour
haché par le vent
et des grincements mélodieux et essouflés d'une flûte...

j'eu du mal à m'endormir... me sentant enveloppé d'une étrange présence qui semblait rechercher ma chaleur...mon étreinte...mon souffle

non pour une fois ce n'était pas Jess...mais mon imagination devait déjà galoper...  dans mes rêves

Kaïlawa !

 

*

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