peinture d'Alain Thomazs
http://www.alain-thomas.com

 

Cahier de Guyane no2

(13-20 juillet 2006)

 

Enfouis dans la Forêt Primaire par Titus

Nous avons pris pas mal de retard... 
mais nous n'avions pas pensé au 14 juillet...ce qui fait que les analyses des loupiots ne pouvaient être prêtes que le 18...
et comme nous ne voulions pas passer le 14 juillet à Cayenne et que Guy souhaitait lui nous emmener en forêt profonde nous avons accepté...

Nous nous sommes rendu en hélico ( mazette !)( mais gratos ! aux frais du CNRS à la station de Nouragues)

La Station des Nouragues  sert à étudier la forêt tropicale humide primaire caractéristique de la zone Est Amazonienne.
 La région est totalement inhabitée et les" perturbations" d’origine humaines y sont quasiment nulles (les anciens Amérindiens Nouragues disparurent au 18 eme siècle).


 La Station est située au centre d'une Réserve Naturelle de 1000 km2, à 100 km de Cayenne et 40 km de Régina, bourgade la plus proche.
Le relief est formé de collines ne dépassant pas 120 m d’altitude, drainées par la rivière Arataye, et traversé par la chaîne des « Montagnes Balanfois » qui culmine à 460 m.
Un Inselberg granitique de 411 m domine la station.

Inselberg ( d'après Jess)


La végétation est typique de la grande forêt primaire de basse altitude, avec quelques petites inclusions de ‘pinotières’ (marécages à palmier Euterpe), des forêts de lianes et des ‘cambrouzes’ (clairières à bambous lianescents). Sur l’inselberg, des taches de ‘savanes sur roches côtoient des forêts basses à Myrtacées.

http://www.guyane.cnrs.fr/dispositif.html

En fait cette station dédiée tout entière à l'étude de la forêt intacte s'est spécialisée dans l'étude de la "Canopée" c'est à dire de la vie à 15 -20 mètres de hauteur là où il y a le soleil , de l'air , de la pluie et donc les plantes et les animaux les plus beaux et des tas de fleurs qui n'ont même pas besoin de sol et vivent parfois seulement une journée(épiphytes)

Car nous les" rampants", les "cloportes" que nous sommes marchons au milieu des racines, du fondement, des excréments, dans les coulisses de cette zone de vie dont l'essentiel nous échappe : insectes, plantes, oiseaux  qui n'ont pas besoin du sol mais uniquement d'air et de soleil ( comme les orchidées), singes... zone la plus vivante des arbres , de la forêt... la plus méconnue par l'abondance des synthèses qui s'y produisent..;des molécules dont un grand nombre peuvent servir de médicaments...
au ras du sol nous ne vivons que dans les "intendances" d'un merveilleux spectacle et d'une couche de vie exceptionnelle... pour ceux qui savent s'élever pour contempler l'horizon des choses

Il y aurait là toute une méditation à faire sur notre monde de marchands et de besogneux et la nécessité de s'élever aux choses essentielles comme l'exprime si bien Wagner dans le Siegfried de la tétralogie quand Mime le nain besogneux l'interroge sur la structure du Monde

Auf Wolkingen Höh'n wohnen die Götter
Walhall heisst ihr Saal
Lichtalben sind sie
Licht-Alberich, Wotan, waltet der Schar
Aus der Welt-Esche weihlichtsem Aste
schuf er sich einen Schaft
dort der Stamm, nie verdirbt doch der Speer
mit seiner Spitze sperrt Wotan die Welt
Heil'ger Verträge Treuerunen
schnitt in der Schaft er ein
Den Haft der Welt hält in der Hand
wer den Speer führt
den Wotans Faust umspannt
Ihm neigte sich der Niblungen Heer
der Riesen Gezügt zämte sein Rat
ewig gehorchen sie alle
des Speeres starken Herrn

 

Dans les hauteurs nuageuses seuls peuvent vivre les dieux
Walhall est leur château
Ces êtres sont diaphanes
Tout comme Alberich [1] Wotan règne sur eux
D'un rameau de l' arbre du monde
Wotan se fit un épieu
Même si l'arbre meurt cet épieu reste éternel
et par sa pointe Wotan tient le monde
L'équilibre du monde gravé dans ses runes
elles sont gravées dans ce pieux
Seigneur du monde est celui qui tient cet épieux
que Wotan porte au poing
Sous ce joug se courbe le peuple des obscurs (Nibelungen) besogneux
Même l'orgueil des plus forts cède à sa loi
Tous à jamais le subissent
l'épieu puissant de Dieu !

[1] Alberich lui règne sur le peuple des Nibelungen, ceux des travailleurs obscurs de l'ombre, les besogneux ..;et ils le suivent à cause de l'anneau ( der Ring) symbole de la possession, de l'avoir, du pouvoir. Il s'oppose ainsi à l'idéal d'être des dieux

 

évidemment il manque l'admirable musique et l'interprétation vocale en voix de basse...ne manquez pas de l'écouter un jour...

 

Vue de la station en Hélico

 

Des passerelles , des câbles permettent de se hisser là haut d'y étudier, d'y vivre même..
quelle merveille cette nuit passée tout là haut comme des singes nichés dans les feuillages...


 

et quel inoubliable lever de soleil alors que la brume du matin enveloppe toute l'étendue amazonienne.

 

 


un ballon a été même construit avec une grande nacelle ...le projet d'une grande station est à l'étude


Nous avons pu admirer de là haut pendant  plus de 24 heures l'océan vert sombre et immobile qui contrastait étonnamment avec celui plus mouvant qui avait été notre compagnon durant plus d'un mois... pour venir içi
nous vivions sur un "autre kalliste"...
 sur une autre sphère de l'univers

 

Bien logé nous avons bénéficié de l'absence de nombreux chercheurs pour cause de vacances et aussi parce que depuis quelques mois la zone présente quelques dangers : deux gardes forestiers ont été assassinés par les orpailleurs ces chercheurs d'or qui saccagent et polluent cet inestimable ensemble pour quelques misérables pépites...
le transforment en désert
y introduisent du mercure ce poison dont la forêt ne saura se défaire et qui peu à peu intoxiquera tout le milieu...
tout cela pour quelques copeaux ...de métal...d'or !
la nature humaine comme pour l'océan ne comprendra donc jamais rien à l'harmonie dont il fait partie... et la nécessité de son respect et de sa préservation

la cupidité de l'Avoir en remplacement idolâtré de l'Être

De ce fait nos promenades au sol ont été limitées par la prudence :sur un sol spongieux et glissant à souhait qui me rappelait les forêts d'Indochine les sangsues en moins...
nous y croisâmes de nombreuses fourmis, quelques termitières...
quelques aras... des bleus !


 

des singes .....quelques iguanes... et un énorme anaconda de plusieurs mètres heureusement endormi...
et quelques autres serpents lianes apeurés
et même un paresseux !..;et un Tatou

Iguane


Nous fîmes pour l'occasion la connaissance des moustiques du lieu... très...trop affectueux !...  et donc de la nécessaire moustiquaire et la manière de bien l'utiliser... bien bordées dans les hamac !..;sinon" ils" savent par où passer !

... et curieusement dans cette atmosphère étouffante et secrète
 sous ces voûtes feuillées et croupissantes qui cachent en permanence le ciel et suintent l'humidité
 dans cette pénombre vert sombre seulement éclairée de quelques papillons ou fleurs multicolores nous nous sentions libres
...étrangement libres et heureux..
même couverts de boue,ou  perclus de fatigue, de transpiration et assaillis d'insectes  nous n'avions jamais été aussi joyeux touchant jusqu'à l'ivresse...celle de  l'essentiel de la vie en son mystère  le plus profond
dans son foisonnement le plus "nature"
et je me souvenais alors de ces paroles de Teilhard

" le jour où tu découvrira
 et commencera à aimer profondément les forces cachées qui meuvent  ce monde...
alors...
alors la terre te prendra dans ses bras de géants
et te fera contempler le visage de Dieu

"... tu comprends François pourquoi je peux plus partir d'ici..." ajouta Guy modestement la main sur mon épaule

Orchidée de la Canopée

Batracien des cimes

 

et mes yeux devinrent humides...
devant tant de vrai
de simplicité et de perfection
devant tant de sagesse
qu'il suffisait de découvrir
de lire
d'admirer
et de respecter...

Les vastes plaines ouvertes, les belles collines qui ondulent
et les ruisseaux qui serpentent n'étaient pas sauvages à nos yeux.
 C'est seulement pour l'homme blanc que la nature était sauvage,
 seulement pour lui que la terre était «infestée» d'animaux sauvages»
 et de peuplades " barbares".

Pour nous, la terre était douce, généreuse,
et nous vivions comblés des bien faits du Grand Mystère.

Ce n'est que lorsque l'homme poilu de l'Est est arrivé
et, dans sa folie brutale, a accumulé les injustices sur nous
et les familles que nous aimions,
 qu'elle nous est devenue « sauvage ».

Lorsque même les animaux de la forêt commencèrent à fuir à son approche,
 alors commença pour nous « l'Ouest Sauvage ».

Luther Standing Bear,
 chef sioux oglala (né en 1868)

 

pour la remplacer par des édulcorants : la connaissance et l'abstraction !
le virtuel et l'imaginaire
le rêve et le factice

"il est grand temps de nous arrêter ...de vivre à côté de nos pompes" me dit souvent Jess dans sa sagesse profonde

 

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