Montaigne
(1533-1592)
“Parce que c'était lui, parce que c'était moi”




Au demeurant, ce que nous appelons ordinairement amis et amitiés, ce ne sont qu'accointances et familiarités nouées par quelque occasion ou commodité, par le moyen de laquelle nos âmes s'entretiennent.

 En l'amitié de quoi je parle, elles se mêlent et confondent l'une en l'autre, d'un mélange si universel qu'elles effacent et ne retrouvent plus la couture qui les a jointes. Si on me presse de dire pourquoi je l'aimais, je sens que cela ne se peut exprimer qu'en répondant : «Parce que c'était lui, parce que c'était moi.»

Il y a, au-delà de tout mon discours, et de ce que j'en puis dire particulièrement, je ne sais quelle force inexplicable et fatale, médiatrice de cette union.

 Nous nous cherchions avant que de nous être vus, et par des rapports que nous entendions l'un de l'autre, qui faisaient en notre affection plus d'effort que ne porte la raison des rapports, je crois par quelque ordonnance du ciel; nous nous embrassions par nos noms.

Et à notre première rencontre, qui fut par hasard en une grande fête et compagnie de ville, nous nous trouvâmes si pris, si connus, si obligés entre nous, que rien dès lors ne nous fut si proche que l'un à l'autre.

Il écrivit une satyre latine excellente, qui est publiée, par laquelle il excuse et explique la précipitation de notre intelligence1, si promptement parvenue à sa perfection. Ayant si peu à durer, et ayant si tard commencé (car nous étions tous deux hommes faits, et lui de quelques années de plus), elle n'avait point à perdre de temps et à se régler au patron des amitiés molles et régulières, auxquelles il faut tant de précautions de longue et préalable conversation.

 Celle-ci n'a point d'autre idée que d'elle-même, et ne se peut rapporter qu'à soi. Ce n'est pas une spéciale considération, ni deux, ni trois, ni quatre, ni mille : c'est je ne sais quelle quintessence de tout ce mélange, qui, ayant saisi toute ma volonté, l'amena se plonger et se perdre dans la sienne; qui, ayant saisi toute sa volonté, l'amena se plonger et se perdre en la mienne, d'une faim, d'une concurrence pareille.

Je dis perdre, à la vérité, ne nous réservant rien qui nous fût propre, ni qui fût ou sien, ou mien.


Essais (1580-1595), livre Ier, chapitre XXVIII,
d'après l'édition de 1595.


 

Mais qu'est-c'que je pouvais bien faire
D'un ami qui n'aime pas la nuit
Qui t'nait ni la bière ni la mer
Qui app'lait la musiqu'du bruit

Il était doux de caractère
Il aimait les plages sous la pluie
C'était tout à fait mon contraire
On était pourtant deux amis

Parc'que c'était moi
Parc'que c'était lui

Mais qu'est-c'que lui pouvait bien faire
De mes idées de mes colères
Nous n'avions que des différences
On n'avait même pas la mêm' France

Mais on était d'la même enfance
Dans la rue j'prenais sa défense
C'est pas sa mère qui m'a séduit
Je crois qu'elle n'a jamais souri

Parc'que c'était moi
Parc'que c'était lui


Il y a une femme sur cette terre
Ses yeux sont couleur de la mer
Elle est belle jusqu'au bout des doigts
Je la déteste elle sait pourquoi

Parc'que c'était lui
Parc'que c'était moi

Je lui ai donné mes chemises
Quand il perdait les siennes au jeu
Je lui ai donné mon église
Quand il avait perdu son Dieu

Je l'attendais comme un frère
Quand il partait comme on s'enfuit
Pour aller faire je n' sais quelles guerres
Je ne l'attends plus aujourd'hui

Parc'que c'était moi
Parc'que c'était lui

Quand il rentrait il avait froid
Toujours la mêm' blessure au coeur
Il ne reviendra pas cett'fois
Et je connais bien son vainqueur

Il était doux de caractère
Il aimait les plages sous la pluie
C'était tout à fait mon contraire
On était pourtant deux amis

Parc'que c'était moi
Parc'que c'était lui

Il y a une femme sur cette terre
Ses yeux sont couleur de la mer
Elle est belle jusqu'au bout des doigts
Je la déteste elle sait pourquoi

Parc'que c'était lui
Parc'que c'était moi

( Michel Sardou)

 

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