Peinture d'Alain Thomas
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 CONFUCIUS ET JÉSUS 

(d'après un texte de MARK FANG CHIH-JUNG in Le Christ Chinois DDB)

 

Les Entretiens de Confucius constituent un ensemble d'anecdotes et de maximes recueillies et arrangées par les disciples du Maître et leurs propres disciples. Cette compilation sera bien plus tard intégrée au canon des « Quatres Livres », référence majeure de l'école néo-confucianiste qui deviendra objet d'étude obligé pour tout lettré.

Les Entretiens et la Bible

Il est en effet une ressemblance frappante entre les Entretiens et les Évangiles : l'un et l'autre rassemblent ce que certains disciples se remémorent des actes et des paroles du maître comme des relations qu'ils ont eues avec celui-ci...(...) 
Sur le plan culturel, plusieurs points rapprochent les Entretiens et l'univers biblique 
- Le fondement de la  conscience morale, c'est le souci de l'autre.... 
- Même conscience toutes les deux des différences  entre riches et pauvres dans les sociétés de leur temps, fondées sur la propriété privée... et ne considérant, pas ces différences comme un fait d'évidence...elles développent même l' idée pionnière de l'égalité. 
- Les protagonistes principaux se présentent à nous comme ayant à la fois un sens aigu des réalités et un idéal
affirmé

Entre les deux oeuvres cependant de nombreuses différences pour le moins peuvent être notées.
 - Les concepts centraux son différents. On peut opposer ainsi l'emphase biblique sur le péché originel, et celle des Entretiens sur « la vertu d'humanité » (ren) au centre de la nature humaine.
- la  Bible donne toute son extension à l'espérance de l'homme l'orientant vers l'Autre monde, celui du Beau et du Bien totalement réalisés... tandis que les Entretiens s'attachent avant tout au monde présent. 
- Dans la Bible, c'est la Foi qui oriente tout... et dans les Entretiens c'est l'Expérience existentielle
 - La Bible semble souvent habitée par un esprit d'ascèse, tandis que les Entretiens disposent à une une attitude de joie tempérée. 

-  La Bible est colorée par le jeu d'oppositions violentes... le contenu des Entretiens a bien plutôt à voir avec l'idée d'accommodement, de voie moyenne. (...)


Le terme de maître, enseignant (shi) apparaît quatre fois dans les Entretiens. Une occurrence est conforme au sens le plus ordinaire : « Prenez trois hommes au hasard des rues, par nécessité ils seront mes enseignants. Les qualités de l'un me serviront de modèle, les défauts de l' d'avertissement» (VII, 22). 
 Que demande Confucius au maître ?,
c'est d'aimer à enseigner et c'est d'aimer ses élèves.
 « Peut-on ménager qui l' aime? La loyauté peut-elle épargner les conseils? » (X 7). Celui-là seul qui aime peut étudier sans que cela pèse et enseigner sans qu'il en soit épuisé » (VII, 2). 
Confucius insiste sur l'importance de la créativité : « Qui peut extraire une vérité neuve d'un savoir ancien, celui-là peut être enseignant (11, 11). Rien là d'un attachement obstiné aux choses d' autrefois, mais une démarche de
renouvellement, de rajeunissement.
N'est-ce point là une parole de Jésus...qui lui aussi passait son temps à enseigner...
" à message neuf...outres neuves !"

 Confucius attache beaucoup d'importance au processus d'apprentissage réciproque entre enseignant et enseigné. 
. L'attitude ouverte de Confucius envers ses disciples peut être illustrée par deux autres phrases - « Ne prenez pas vos cadets à la légère : qui vous dit en effet qu'un ils ne vous égaleront pas? » (IX, 23). 
Et encore : « Dans la poursuite de la vertu suprême (ren), ne vous laissez devancer par votre maître » (XV, 36).
Mais pour décrire l'univers pédagogique de Confucius,  c'est encore le mot
« joie » qui s'avère le plus adéquat. Joie  d'apprendre et joie d'enseigner, de sorte qu'apprendre ne pèse pas et qu'enseigner n'épuise pas....

- Dans l'épreuve se trouve la joie. : « Vous pouvez vous nourrir. de gruau grossier, boire de l'eau claire, n'avoir que votre coude pour oreiller, et pourtant connaître la joie » (VII, 16).
 
Du disciple dont il fut le plus fier, Yan Hui, il dira: « Quel homme admirable était Yan Hui! Il vivait d'une poignée de riz et d'une calebasse d'eau claire, il habitait dans un taudis, nul n'aurait enduré pareille misère, mais il lui restait une joie imperturbable » (VI, 11).

Plus encore, pour Confucius, trouver
sa joie dans la Voie c'est aller toujours plus avant sur la Voie. C'est, tout d'abord, qu'il a un sens très élevé de ce qui est requis de l'enseignant.
 « Ce qui me tourmente, c'est l'idée de ne pouvoir assez cultiver la vertu, ni approfondir ce que j'ai appris, ni suivre ce que dicte la justice, ni corriger mes imperfections » (VII, 3). 7).
mais « Si un matin vous trouvez la Voie, vous pouvez mourir content le même soir » (IV, 28). C'est ainsi que l'univers pédagogique de Confucius s'actualise pleinement: 
« Celui qui sait une chose ne vaut pas celui qui l'aime. Celui qui aime une chose ne vaut pas celui qui en fait sa joie » (VI, 20).


Mgr Ch'eng est parti de l'histoire et des Classiques chinois pour proposer une interprétation des Entretiens, afin, dans l'éclairage de la foi chrétienne, de « partager la sagesse humaniste de Confucius sur la route même qu'il emprunte, de faire confiance à la manière qu'il a de façonner la vie spirituelle, de s'élever vers le Ciel et de s'unir au Ciel ».(...)

Le surgissement du Nouveau Testament ne signifie pas que l'Ancien n'a plus rien à nous dire, 
De même, en dehors du Nouveau Testament, les Entretiens ou d'autres Classiques ont une valeur de référence pour les chrétiens de tout pays, ils sont à voir comme
l'un des fruits du travail de l'Esprit de Dieu. 
Par ailleurs: Confucius (551-479 av. J.-C.) précède Jésus de cinq cents ans. Si donc il y a des points communs ou des ressemblances dans ce que rapportent les Évangiles et les Entretiens, une première conclusion consistera à accorder à Confucius un rôle prophétique.
 
Enfin on s'attache aujourd'hui à une étude sociale, contextuelle de la langue. Un terme ou un concept ne font pas qu'indiquer ce qu'ils désignent, ils vont également l'associer, le placer dans une chaîne de significations...
C'est notamment le cas dans les textes de caractère littéraire ou spirituel du Maître...

En prenant en compte ces trois préalables j'ai choisi dans la première partie des Entretiens quelques extraits qui permettent de mettre en parallèle Confucius et Jésus dans leurs relations avec leurs disciples respectifs. 
On verra ainsi jusqu'à quel point peut aller la communication d'esprit à esprit entre ces deux figures. Encore que la distance dans le temps et dans l'espace ne les ait pas fait se rencontrer en ce monde,
Confucius, tel que le décrivent ses disciples, peut être vu en complément du portrait qui nous a été laissé de Jésus...
 et, parallèlement, les paroles et les actes de Jésus peuvent être dressés en toile de fond pour entrer dans une compréhension plus profonde de la sagesse humaniste des Confucéens.


1. « Le Maître dit: Ô Shen! Ma doctrine est une trame tissée d'un seul fil! Maître Zeng répondit : En effet. » Après que le Maître fut sorti, les autres disciples demandèrent à Maître Zeng : « Qu'est-ce que cela veut dire ? Maitre Zeng répondit : La doctrine du maître tient seulement dans le précepte de la fidélité à soi et à autrui, un point c'est tout » (IV, 15).

Ce qui mérite l'attention ici, c'est qu'un disciple soit capable d'exprimer ce que le Maitre luî-même n'a pas dit, et de l'exprimer avec tant d'acuité et de pertinence. Si l'on fait attention aux caractères chinois employés, « fidélité à soi » (zhong) est formé par combinaison des unités de sens coeur et centre : le coeur ne bouge ni ne s'émeut. Et lorsqu'on parle de « piété envers le père, fidélité envers le ministre », on entend un type de fidélité qui, grimpant d'échelon en échelon, se projette jusqu'au Ciel. 
Quant au caractère qui signifie proprement « fidélité aux autres » (shu), il désigne une connaissance du coeur que l'on applique au prochain. 
Cela selon l'axiome de Confucius lui-même -
«Assurez à votre prochain le sort que vous souhaiteriez à vous-même, obtenez pour luî ce que vous souhaiteriez obtenir pour vous-même » (VI, 30). 
Jésus peut dire lui aussi : « Ma doctrine est une trame tissée d'un seul fil », ce fil dont parle l'Évangile de Marc,  l'amour de Dieu et l'amour du prochain réunis en un (cf. Mc 12,2 34), jusqu'à ce qu'il en émerge le commandement nouveau (Jn 15, 17).
le fil de la tunique tissée d'une seule pièce et qui sera coupée par les soldats après la mort sur la croix...

2.
« Le Maitre dit : La Voie ne réussit pas à s'imposer.  Je vais m'embarquer sur un radeau de haute mer et prendre large. Qui donc me suivra sinon Zilu? En entendant cela Zilu se réjouit. Le Maître dit : Décidément, Zilu est plus brave que moi. En fait, où trouverions-nous l'équipement pour une telle expédition? » (V, 7).

Ce passage n'est guère difficile à comprendre, seule la  mention de « l'équipement » est ambivalente. Elle réfère, soit à un radeau à voile, soit à « l'équipement intellectuel », à la capacité de jugement de Zilu. Quoi qu'il en soit, l'essentiel est ici de  goûter l'anecdote. Confucius, découragé par les difficultés rencontrées dans la propagation de sa doctrine, exprime l'intention de laisser un radeau à voile le porter en haute mer. Parmi les disciples, c'est Zilu qui a la réputation d'être le plus téméraire, et Confucius est sûr qu'il le suivrait et affronterait les dangers avec lui. Voilà qui remplit ce dernier d'orgueil, et le fait s'estimer être à la tête des disciples...
 Orgueil que le maître rabat rapidement : il est peut-être plus courageux, mais cela n'augure pas de sa capacité de discernement,
rien ne montre que sa sagesse égale courage.
Par association, on pense bien sûr à certains dialogues de
Jésus et Pierre ...


3.
« Le Maître demanda à Zigong Qui est le meilleur, toi ou Yan Hui ? l'autre répondit : Comment oserais-je me comparer à Yan Hui ? Vous dites une chose à Yan Hui, et il est capable d'en déduire dix. Vous m'en dites une, et je ne puis en déduire que deux. Le Maître dit : Il t'est supérieur, en fait, il nous est supérieur à nous deux » (V, 9).

Ce dialogue révèle plusieurs caractéristiques des relations entre Confucius et ses disciples : l'importance de la connaissance de soi, de la franchise, de l'humilité.
 Zigong se connaît lui-même, il connaît ses compagnons d'étude, il connaît bien le Maître aussi. Il répond donc sans détours qu'il n'ose se comparer à Yan Hui, un homme capable de déduire dix choses d'une seule qu'on lui dit. Entre les compagnons d'études règnent la clarté qu'apporte la connaissance de soi et la douceur qui provient de la difficile reconnaissance de la supériorité de l'autre. Mais le plus étonnant est l'humilité de Confucius lui-même, lui qui dit à Zigong : moi non plus je ne vaux pas Yan Hui!
On peut trouver bien des parallèles
entre l'humilité de Confucius et celle dont témoignent bien des actes et des paroles de Jésus...
Mais les disciples de Jésus ne paraissent pas avoir la lucidité sur eux-mêmes que montrent les disciples de Confucius, il faut attendre la venue de l'Esprit pour qu'ils purifient et rectifient leurs attitudes.


4.  <
<Zigong dit : Nous pouvons écouter et recueillir l'enseignement du Maître sur tout ce qui relève du savoir et de la culture, mais il n'y a pas moyen de le faire parler sur la  nature des choses et de la Voie céleste » (V, 13).

 Lorsque Confucius parle de la Voie céleste il ne le fait pas en paroles mais en actes.
 Il en parle par son attitude lorsqu'il se trouve en danger de mort, lorsqu'on veut lui couper les vivre, et il montre alors à ses disciples ce qu'est sa vision de la Voie céleste.

Bien entendu, sous ce rapport, Jésus parle de la nature des choses, de la nature de l'homme, d'une façon bien plus explicite, ...( mais pouvons nous la porter ?)

Certains demanderont peut-être quelle est la « voie dont il est question dans la seconde partie de l'aphorisme Il s'agit bien en fait de la « voie » qui mène à la
« porte évoquée dans la première partie. 
La voie, c'est ici le fond le constant des sentiments et de la raison en l'homme. 
La voie et la porte communiquent. 
La voie est ici « voie d'accès ».
 Tous les jours, nous entrons et sortons par des portes, sans même nous apercevoir de leur réalité, à moins qu'un jour la porte soit bloquée, ou bien que l'on ait oublié ses clefs et qu'on ne puisse pas rentrer chez soi.
Un honnête homme observe ce que dans la vie de tous jours nous enseigne le sens commun et dit tout bonnement « Il n'est personne qui n'entre par la porte. » A quoi Confucius ajoute : « Et qui sortirait autrement que par la porte ? » 
On entre, on sort et, dans l'entre-deux, on rencontre toutes les vicissitudes, les mille choses de la vie et c'est ainsi que « la porte », cet intervalle vide, est devenue une notion centrale de la culture chinoise, utilisée demultiples façons  tant par les confucianistes que par les taoïstes...
 Une notion qui tout naturellement s'est retrouvée dans la tradition chrétienne. 
Ce que les langues occidentales appellent les «trois sacrements de l'initiation chrétienne » a été très bien rendu en chinois par l'expression « sacrements de passage de la porte ».
Le plus notable, c'est que Jésus ne dit pas seulement lui-même qu'il est la résurrection et la vie (Jn 10, 15),  la voie, la vérité et la vie (Jn 14, 6), il dit encore :
« Je suis la porte. Si quelqu'un entre par moi, il sera sauvé, il ira viendra et trouvera de quoi se nourrir » (Jn 10, 9).

 Ces paroles de Jésus sacralisent cette idée de « porte » venue du fond le plus ancien de la culture chinoise. 
Et, réciproquement, le Document des Rites comme les Entretiens deviennent alors une excellente préparation aux paroles de Jésus.

6. « Le Maître rendit visite à Nanzi, la concubine du duc Ling. Ceci ne plut guère à Zilu. Notre Maitre jura: Si j'ai mal agi, que le Ciel me confonde!  » (VI, 28).
Les éditeurs des Entretiens semblent avoir attaché une grande importance à cette petite histoire. Aussi ne disent-ils pas là simplement « le Maître » ou « Confucius », mais « notre Maître ».

 Et Confucius ne se contente pas de parler, il fait serment. 
Dans le contexte des règles qui régissaient, dans la Chine antique, les rapports entre hommes et femmes qui n'étaient pas de même famille, la réaction de Zilu est toute naturelle, et évoque celle des disciples de Jésus dans des situations semblables. ...( Samaritaine...)

7.
« Le Maître dit: Le Ciel m'a investi de sa vertu. Qu'aurais-je à craindre d'un Huan Tui ? » (VII, 23).

 Huan Tui est le ministre de la Guerre du pays de Song. Il projette d'assassiner Confucius, non pour un faute que ce dernier aurait commise, mais parce que Confucius fait de la vertu d'humanité le principe de la politique, et dévoile ainsi l'injustice foncière de sa conduite...
 Confucius est le gêneur qu'il s'agit d'éliminer au plu vite.
Voilà qui nous rapproche au plus près d'un épisode de la vie de Jésus
« A cet instant, quelques Pharisiens s'approchèrent et lui dirent : "Va-t'en, pars d'ici...>> 

8. « Le Maître dit : Mes amis, vous croyez que je vous cache quelque chose ? Je ne vous cache rien. Tout ce que je fais, je vous le montre. Je suis comme cela » (VII, 24).

 Un enseignement de Confucius passe par les Lettres, par les actes, par la fidélité et la confiance, c'est ainsi qu'il forme et éduque à l'univers sublime de la vertu d'humanité. Parmi les disciples, il en est qui soupçonnent qu'en agissant ainsi Confucius garde en réserve un enseignement secret. Voilà pourquoi il leur dit tout bonnement : <<Les enfants! Vous croyez que je vous fais des cachotteries Mais non, voyons! Quoi que je fasse, je vous y fais participer, c'est comme cela que je suis, moi, envers les gens"'. »
 
Rien ne nous interdit d'évoquer alors les paroles de Jésus à ses disciples :
« Je ne vous appelle plus serviteurs, car le serviteur reste dans l'ignorance de ce que fait son maître; je vous appelle amis, parce que tout ce que j'ai entendu auprès de mon Père, je vous l'ai fait connaître » (Jn 14, 15).
 Dans la pédagogie de la révélation, Jésus aussi a distingué des étapes, non pas pour garder des secrets, mais pour tenir compte de ce que les disciples étaient capables de recevoir.

 « J'ai encore bien des choses à vous dire, mais vous ne pouvez les porter maintenant; lorsque viendra l'Esprit de vérité, il vous fera accéder à la vérité tout entière » (Jn 16, 12-13).


9.
«Les gens de Huxiang étaient à peu près sourds à tout enseignement. Un jeune garçon du cru obtint cependant une entrevue auprès du Maître. Les disciples en furent perplexes. Le Maitre dit : Laissez-le venir, ne le repoussez pas. Pourquoi tant de sévérité ? Ce garçon s'est purifié pour cette visite, considérons seulement cela, et ne tenons pas compte du reste » (VII, 29).

Les sentiments de Confucius se manifestent ici de façon particulièrement émouvante. Sans le moindre préjugé, il accueille un garçon venu d'un coin de pays attardé. Les disciples en sont tout choqués. Confucius profite de l'occasion pour montrer qu'il s'agit toujours de progresser, d'encourager, non de repousser. Pourquoi chercher d'abord le blâme ? Ce garçon vient me trouver pour renouveler son coeur et sa pensée, et je l'en loue, nul besoin de s'attarder sur son existence passée
Jésus aussi est un maître qui sait d'abord et avant tout permettre aux hommes de recouvrer leur nature d'homme. l'Evangile abonde en histoires similaires. Que l'on songe à Zachée (Lc 19, 1-10) ou bien aux paroles adressées à la femme adultère (Jn 8, 10-11). 

10. « Yan Hui dit en soupirant : Plus je le contemple, plus ça paraît inaccessible; plus je le creuse, plus ça résiste. Je crois que c'est devant moi, et voilà que c'est derrière. Ah, le Maître a habilement réussi à nous prendre au piège
Il m'a ouvert l'esprit avec les lettres, il m'a discipliné avec les rites. Je voudrais m'arrêter que je ne le pourrais pas. Au moment où je me crois à bout de ressources, le but m'apparaît en pleine lumière; je veux l'atteindre, mais n'en trouve pas l'accès » (IX, 11).


On se souvient que Confucius disait, dans un extrait précédemment cité (V, 9), qu'il ne valait pas Yan Hui. On trouve plus loin dans le même chapitre deux autres propos de Confucius sur Yan Hui : « Il n'y avait que Yan Hui pour écouter attentivement ce qu'on lui disait. Hélas! Je l'ai vu progresser mais je ne l'ai pas vu aboutir » (IX, 20-21). Rien de plus difficile à obtenir que cet accord tacite entre maitre et disciple. 
A entendre les louanges de Confucius envers Yan Hui, à écouter ensuite les phrases admiratives de Yan Hui envers son Maitre, on sent que ces dernières sortent des entrailles. En évoquant ainsi ce qui est « inaccessible » et « qui résiste », c'est la propre grandeur de Confucius dont il rend compte. Par sa méthode pédagogique, sa façon, parfois d'ouvrir l'esprit, parfois de le discipliner, selon ce qui convient, il met sur la voie d'une progression illimitée.

C'est selon une méthode différente que les disciples de Jésus
seront illuminés puis répandront les enseignements de leur Maître. Pierre, après trois ans dans la familiarité de son Maitre, semble ne l'avoir toujours pas compris. Mais après sa mort et sa résurrection il entre dans une compréhension intérieure, et peut finalement dire aux croyants
« Le Christ a souffert pour vous, vous laissant un exemple afin que vous suiviez ses traces. (...) Car vous étiez égarés comme des brebis, mais maintenant vous vous êtes tournés vers le berger et le gardien de vos âmes » (Il P 2, 21-25).

Après ce parcours, on sentira mieux peut-être la valeur de référence que gardent les Entretiens, même après la réception de la révélation biblique. Puisque Confucius a précédé Jésus de cinq cents ans, sa méthode d'enseignement, ses relations avec ses disciples, son exil volontaire d'un État à l'autre ont valeur d'annonce prophétique du jour où Jésus allait proclamer le Royaume de Dieu. 

Quant aux
résonances communes des Entretiens et des Évangiles, les exemples cités ici n'en présentent qu'une bien faible partie. 
Ces résonances témoignent qu'avant que, dans
le mystère du Christ, toute chose se trouvât accomplie, l'Esprit de Dieu travaillait toute culture, toute l'histoire humaine...

 

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