Peinture d'Alain Thomas
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  Images teintées d'Hindouïsme: un Christ sans attaches...

 

 

Plusieurs images du Christ sont  retenues par nos frères vivant sous influence culturelle hindouïstes , par leur profondeur elles nous invitent à la méditation et aident à préciser davantage les contours de ce que nous appelons "Christ"...

C'est tout d'abord  Ghandi 

qui nous réapproprie un Christ proche de celui des Béatitudes...  
...un Jésus que l'on suit non pas par engagement de foi...mais plutôt  comme modèle à imiter...
un modèle marqué par la non-violence...et la souffrance subie et acceptée ...par et dans l'amour de l'autre...l'amour du prochain
Jésus doit ainsi naître en nous et nous pousser à l'imitation de sa croix...
Ne l'oublie-t-on pas un peu trop de nos jours en occident où toute douleur est aseptisée, cachée, traitée adéquatement ?
Dieu n'a pas porté sa croix seulement il y a 2000 ans...
Il la porte aujourd'hui...meurt...et  ressuscite de jour en jours...
et nous avons nous aussi à prendre part à cette souffrance...dans la mesure où nous contribuons à l'éteindre ...ou à empêcher sa propagation ou sa naissance...

Ce serait une pauvre consolation pour nous si le monde devait dépendre d'un Dieu de l'histoire...
Nous retrouverons d'ailleurs cette actualisation souvent dans les représentations asiatiques de Jésus... reflets  des théologies de libération sud-américaines...

 Jésus de tolérance aussi car aucune religion ne peut revendiquer le monopole de la révélation...et toutes doivent pratiquer  respect et  tolérance...
Toutes les religions sont imparfaites car toutes portent en elles la marque de la fragilité humaine...
toutes sont en croissance..
toutes sont en quête de plénitude de la Vérité
aussi  ce n'est pas la christologie mais l'éthique qui achemine vers la Vérité
Ghandhi n'a jamais rencontré semble-t-il le Christ comme" personne"

 

Le Christ de la Bhakti de  Sen 

Rappelons que la Bhakti est la dévotion hindouïste
Sen nous montre un Christ de la dévotion personnelle...
dévotion personnelle envers la personne de Jésus...un asiatique ! que l'occident a affublé maladroitement d'un vêtement européen...
un Christ au travers duquel nous voyons clairement Dieu... par transparence...
Manifestation sur terre en forme humaine de certaines idées et sentiments qui se trouvaient en Dieu...
"Enlevez du Christ tout ce qui est divin...tout ce qui est de Dieu...il ne reste alors plus rien à admirer..."
Union consciente de l'humain avec l'Esprit divin... l'Esprit d'amour et de joie...
Alors que le sage hindou cherche l'absorption inconsciente en son Dieu,  la communion avec le Christ elle est active et volontaire acceptation... 
demandant l'abandon de sa volonté propre en un acte personnel... et l'union en tant que fils obéissant et aimant avec le Père...
Il convient bien sûr d'étendre cela à tous les hommes... et de faire de chaque homme un nouveau Christ...transparent
de voir en chaque personne l'image du Christ présent derrière son regard...

Christ védantin de Radhakrishnan 

Chez lui la doctrine des avataras ( manifestations divines) devient une expression symbolique qu'a la foi de l'humanité dans le pourvoir de l'Esprit qui la pénètre...comme Il pénètre  le cosmos entier...
 Dieu n'est pas né une fois dans le temps... mais c'est l'humanité qui Lui donne naissance progressivement par auto-réalisation...

" les avataras sont des moules dans lesquels les âmes en recherche cherchent à se couler de façon à s'approcher de Dieu...
Ce que certains hommes comme Christ ou Bouddha ont pu réaliser peut se répéter dans la vie d'autres hommes...
cela suppose que le germe de la divinité se trouve en chacun de nous ...
il suffit pour ce faire de se
libérer de tout lien avec les fausses valeurs qui nous dominent par la contemplation du Mystère de la divinité présente en nous...
Jésus est un de ces mystiques qui croit à la lumière intérieure et rejette rituel et légalisme...sa croix est le reflet de l'abandon de l'ego"

Christ devient un symbole parmis d'autres... passage vers l'Esprit vers laquelle l'humanité est destinée

" Christ est né aux profondeurs de l'esprit...passe à travers la vie, meurt sur la croix et ressuscite ...étapes universelles de toute vie spirituelle continuellement en cours chez les hommes
l'être Christ est réalisation de l'âme..état d'illumination intérieure..."

La vie historique du Christ est réduite à une apparence illusoire...
L'auteur insiste sur le Logos
Pour lui il convient de découvrir le Divin sans forme..
cette Vérité sans forme....
le christianisme n'étant qu'une formulation historique de la Vérité sans forme...

Le monde n'est pas en quête d'une fusion des religions mais d'une communion entre elles basée sur la réalisation du caractère fondamental de l'expérience religieuse humaine...
Les différentes traditions revêtent la réalité d'images diverses et leurs visions pourraient s'embrasser et se féconder mutuellement...toutes les traditions représentent des aspects différents de la vie spirituelle intérieure, des projections sur le plan intellectuel des expériences ineffables de l'esprit humain...

 

Christ  avatara de Swami Akhilananda 

Pour lui Christ est une descente divine parmi d'autres...
une âme entièrement illuminée parmis d'autres... en pleine conscience de son identité divine
alors que le saint doit a travers une longue discipline intellectuelle et spirituelle faire s'évanouir en lui les surimpositions mentales et atteindre ainsi la réalisation de son identité suprême avec le Brahman...
l'avatara lui est libre de toute contrainte et vit en permanence de cette conscience divine ...par grâce...tel fut le Christ...
aham brahmasmi...je suis le brahman
tattva massi...tu es cela
font écho à le Père et moi nous sommes UN
 et en cette union la conscience de soi disparaît

L'entrée miraculeuse de la divinité dans le monde...comme ce qui se passe dans la naissance virginale de Jésus  ne lie pas sa venue aux lois de la nature...
à travers ces avataras l'au delà s'ouvre dévoilant aux hommes le chemin de leur délivrance...Tel est la vie de Jésus...
Ce qui est en cause ici c'est l'humanité de Dieu...vrai homme ?
ou" seulement" un avataras  qui ne souffre ni ne meurt
"seulement" la descente d'une divinité dans le monde...enveloppe revêtue pour un temps puis délaissée

" L'histoire est pour l'hindou un processus de retour sans fin
Quand Dieu intervient dans l'histoire ce n'est pas pour lui donner son sens ultime. Sa venue signifie seulement, par delà l'absurde agitation de la mer, l'apparition d'un rivage divin où l'homme peut trouver refuge.
Le christianisme lui est essentiellement histoire...
Christ n'est pas un Dieu sur l'autre rive, mais en lui le monde même est devenu la rive...A la fin des temps le monde sera nouveau, Royaume de Dieu sans larmes et sans mort..."

on peut cependant penser à une venue réelle car IL est éternellement là dans une vision cosmocentrique...sans histoire..

Jésus accomplit en lui les trois voies classiques qui mènent à Dieu:

le jnana yoga: la voie de la connaissance,
le bahkti yoga...la voie de la dévotion aimante...
le karma yoga...voie de l'action responsable...
seule une personne ayant fait en soi  comme lui l'expérience de l'unité toute dualité s'évanouit peut dire en vérité comme Lui le fait : le Père et moi sommes UN...

D'après le point de vue indien  Jésus est l' incarnation, la personne totalement établie dans l'Etre-Amour parfait, qui n'a aucune trace d'ignorance cosmique mais possède l'illumination plénière ( c.a.d. qui  a une connaissance directe de Dieu et la compréhension qui en découle du processus cosmique) qui comprend le sens et la valeur des événements historiques

Quoi que je sois non né, que mon Moi soit immuable
que je sois le Seigneur des êtres
M'associant à la nature matérielle qui est mienne
je viens à l'être dans le temps par ma propre énergie créatrice...
Car chaque fois que déclinent la loi et le dharma( droit)
et que s'élève l'impiété
je m'engendre moi même sur terre
Pour la protection des bons et la destruction des malfaisants
pour rétablir le droit
je viens à l'être d'âge en âge...

dit Krishna

...mais bien sûr Krishana ne nait pas de notre race...ni ne souffre pour le salut...il n'en revet que l'apparence ...
croix et ressurection se réduisent dès lors  à des symboles ...
des symboles de pardon...

 

Christ yogi de MC Parekh 

pour lui Christ est un ascète Yogi...

modèle de Jésus yogi
Jésus correspond aux  trois dimensions du Yoga
- ascèse et combat spirituel
-- concentration ( sur le Règne de Dieu)
- conscience personnelle ( identité filiale, relation intime avec le Père)

mais qu'est-ce que le Yoga me direz vous ?

Peut-être faut-il rappeler que le Yoga vient de Yuj: atteler , unir...mettre au joug...
Ainsi il convient de tenir sous le joug sa pensée pour trouver pleinement la Réalité...
et dès lors empêcher la pensée de prendre des formes conceptuelles... et arriver ainsi à dépasser  la dualité sujet- objet...
et s'établir dans le Soi réel...

Ainsi le  hatta yoga  insiste sur les techniques
le yoga classique sur dhyana: méditation ou fixation de la pensée sur un objet...une image...un concept...
ainsi on arrive à samadhi: enstase ou atteinte à la conscience pure...
...le but ultime est bien l'expérience de Dieu

Jésus savait arriver à cela...
et il en résulte une incapacité fondamentale pour rendre compte de la communion inter-personnelle, originale et unique entre Jésus et son Père...
...
et être chrétien consiste donc à partager avec Jésus  la conscience d'une nouvelle relation entre Dieu et l'homme

" Jésus a ouvert la porte à cette conscience et communion, guidé par la faveur divine
ce devrait être le privilège précieux de tout homme à quelque race ou credo qu'il appartienne, de le suivre en ce saint des saints"

Le Royaume de Dieu c'est cela et rien d'autre.
Il appartient à tous... pourvu seulement qu'on l'approche avec l'attitude correcte...
les chrétiens de nom n'en ont pas le monopole exclusif...
 il faut dire plutôt qu'est chrétien quiconque possède cette conscience...

 

Le christ de la mystique d'ADVAÏTA de Bramabandhab Upadhyaya

 Pour cet auteur Christ est pour lui   le guru...l'ami véritable...et l'Être trinitaire est conçu en terme se saccidananda ( être-pensée-béatitude)

L'être ( sat)  représentant le Père comme source ultime; la pensée (cit) le Verbe intérieur ou fils engendré; la béatitude ( ananda) , l'Esprit...source de vie...

Dieu engendre par sa pensée l'image infinie de Lui même...
 et repose en elle avec une complaisance infinie...
tandis que le Soi engendré répond et reconnaît sa génération éternelle par la pensée...

le Dieu infini éternel  qui reconnaît son propre Soi reproduit en pensée est le Père;
 et le même Dieu, image engendrée de la divinité qui reconnaît le Père par la raison est le Fils...
l'acte éternel et intellectuel de la génération divine et la correspondance qui unit le Père à son Logos-image dans l'Esprit d'amour complète la vie divine et la rend suffisante à soi même.
La révélation nous  donne un aperçu avant-coureur de la vie intime de Dieu
nous chrétiens croyons que le Logos, l'image éternelle du Père, s'est incarnée...c'est à dire s'est unie à une nature humaine, créée et adaptée de façon a être unie à la divinité...dans l'Advaïta...

L' Advaïta ...c'est cette union Mystique

" Au commencement cet univers était Brahman seul
et il se connaissait lui même ( atman) en vérité
disant je suis Brahman (aham brahamsi)
Et ainsi il devint le tout
Les dieux quels qu'ils soient qui prirent conscience de cela
devinrent également le tout

Ainsi en fut-il des voyants et des hommes
Cela demeure vrai aujourd'hui encore
Quiconque sait qu'il est Brahman devient cet univers entier
les dieux mêmes n'ont pas le pouvoir de le réduire au non-être
car il devient leur propre soi 

( Bradhanranyaka. upanishad 1.4.10)

 

" Mon cher enfant, toutes les créatures ici ont l'Être comme leur racine
L'Être comme leur lieu de repos, l'être comme leur fondement
Mon cher fils, je t'ai déjà expliqué comment chacune de ces substances elle même devient triple lorsqu'elle entre dans la sphère des humains
Mon cher fils lorsqu'un homme meurt, 
va voix est absorbée dans l'esprit, 
son esprit dans le souffle, 
son souffle dans la lumière et la chaleur, 
et celle-ci dans la plus haute substance
Cette essence la plus fine, 
l'univers entier la possède comme son Soi:
 voilà le Réel; 
voila le Soi: 
cela tu es ( tattvamasi) 
Svetaketu !

( Chandogya.upanishad 6.8.7)

ainsi...
à la racine de l'expérience de l'Advaïta réside une recherche intérieure inlassable de l'éveil au Soi. 
qui pourrait mieux nous en parler  que  Sri Rama Maharshi , Abshishiktananda alias le Père Henri Le Saux qui en donne la description suivante:

" L'esprit réalise de plus en plus son incapacité à dire: " je suis ceci, je suis cela
celui-ci, celui-là"
car au moment même où jaillit en moi cette pensée que je suis ceci, cela, celui-ci, celui-là, ce phénomène auquel j'ai tenté comme spontanément de m'identifier dans ma conscience mouvante a déjà fuit loin de moi...
et moi je demeure...
L'expérience sensorielle et psychique s'écoule comme un flot continu que rien ne peut arrêter...
le flot même de l'évolution inhérent au Cosmos.
Pendant qu'elle s'écoule moi je suis..
dans un intangible présent: ni ne change, ni je ne m'écoule avec elle
Tout passe, tout s'écoule, panta rei
Moi je suis...
Que suis-je? Qui suis-je ?
Point d'autre réponse que la conscience même de ce que je suis, transcendante à toute pensée
" Je suis" et je n'ai point à atteindre ce que je suis
Je ne suis pas un moi à la recherche de moi...
tout ce qui reste à faire à l'homme c'est simplement se laisser saisir par cette Lumière qui sourd du dedans elle même insaississable" (Henri le Saux)

Inlassable quête du Soi intérieur...ascension, entrée dans la connaissance que l'Absolu a de lui même
toute dualité s'évanouit...puisque seul l'absolu est absolument
l'univers et l'histoire sont lila ( jeu divin)
la consistance ontologique du voyant s'évanouit...
la conscience de soi disparait...
demeure la conscience de l'Absolu aham ( je) dans l'épiphénomène du corps aham brahmasmi

L'expérience de l'advaita suppose donc une évanescence radicale de tout ce qui n'est pas l'Absolu...
 lorsque la conscience de l'Aham absolu émerge dans le voyant, celui-ci est submergé en Lui
" Qui connait et qui est connu ?" demande l'Upanishad

Il n'est plus désormais de moi fini qui regardant Dieu est regardé par Lui, le contemple et lui adresse sa prière...
Ce qui demeure c'est l'éveil de celui qui connaît...
 à la conscience subjective de l'Absolu lui même et non une connaissance objective de l'Absolu du moi fini. 
Dans le processus d'illumination, le moi humain fait place au Aham divin. Telle est l'exigence radicale de l'advaita.

Moi et le Père nous somme UN- Tu es Cela, Je suis Brahman ces deux expériences paraissent différentes
Jésus exprime la conscience d'une distinction dans l'unité, il n'est pas le Père mais UN avec Lui...
Les Upanishads eux expriment la conscience d'une identité absolue dans laquelle toute distinction a entièrement disparue...
la conscience du moi fini cède la place à la conscience du Soi infini, identique au Brahman...

D'un côté la Parole de Dieu devient humainement consciente d'elle même dans la conscience humaine de Jésus...
de l'autre la conscience de l'Aham divin envahit et submerge la conscience propre du soi fini...

Cependant l'unité de Jésus avec le Père est une composante tout aussi importante que sa distinction... une expérience d'advaïta ?...

Le Je de Jésus indique que le fils de Dieu fait homme est mis en relation avec le Père...
Aham brahmasi: je suis Brahman trouve en Jésus sa plus vraie application... et semble répondre à l'ego eimi de Jésus je Suis...
il y aurait en Jésus un couronnement des upanishads

La spécificité de l'expérience chrétienne de Dieu réside dans la médiation de Jésus...
la divinité et l'humanité sont devenues inséparablement unies en Lui si intensément que dans la condition humaine nous rencontrons Dieu lui-même...
qui m'a vu a vu le Père ( Jn 14,9)...
et le chrétien vit l'expérience de Dieu non seulement par mais dans la condition humaine de Jésus dont le visage est le visage humain de Dieu...
l'expérience de Dieu chez le chrétien consiste donc à participer à la conscience religieuse de Jésus lui-même...à la conscience qu'Il avait de sa filiation divine...
cela semble hors de portée...
il est donc urgent de retrouver le sens de la véritable humanité de Jésus et de sa ressemblance avec nous...
retrouver notre filiation divine...
alors l'advaïta a  toute sa place
 
pour restituer à l'Absolu une valeur de communion ...et au moi la consistance d'une personne...
pour prendre conscience que le Père est le fondement de l'Être...
 le Soi centre du moi,...
et que Dieu se révèle non seulement dans l'histoire mais aussi au fond du coeur..
Il demeure Celui qui est car nous...nous sommes ceux qui ne sommes pas...

Ainsi Pour le Père Le Saux
 il ne faut pas hésiter à se laisser mener par d'autres expériences...
pour lui la Vérité est à prendre d'où quelle vienne ...
c'est Elle qui nous possède... et non pas nous qui la possédons...
aussi les expériences authentiques ...si diverses soient-elles sont conciliables...

Ce qui est important selon lui c'est la renonciation...
le moine hindou est un itinérant...
qui réalise le vide total de soi qui seul permet l'éveil vrai à l'absolu

L'expérience est sans fin...
il faut toujours aller...aller au delà ...vers l'Autre rive...
 une joie immense envahit à mesure qu'on se laisse entraîner dans l'Expérience...
expérience ineffable...
 ...au delà des mots et des concepts...
conscience de l'Absolu lui même...
 qui se traduit en pauvre reflet dans la conscience éphémère du moi phénoménal...
le reflet se nie lui même autant qu'il s'exprime...
 dans l'éveil de la Conscience Véritable...

Mais l'Un sans second ne peut se dire sans se trahir...
 l'aham brahamsi  ( je sui Brahman) énonciation nécessaire et seule valable n'est vraie qu'au niveau de l'expérience qu'elle rapporte sans la livrer...

 Le guru peut-il prétendre à plus que mettre le disciple sur la voie ?. 
Entre l'enseignement communiqué et l'expérience même il y a un fossé que ne franchissent que ceux que l'Au-delà emmène...

 

" il n'y a pas de place en moi mon Dieu et pour moi à la fois.
S'il y a Dieu je ne suis pas...
s'il y a Dieu comment Dieu pourrait-il être?
Dilemme de l'homme qu'il faut que lui ou bien Dieu disparaisse
Il n'y a que Toi au fond de moi, Toi au fond de tout.
Toi qui me regardes, qui m'appelles, qui me donne l'être en me disant Toi, en me faisant partenaire de Toi, autre à Toi, et cependant de Toi inséparé, akhanda, advaïta.
Je suis dans ce Toi seulement que Tu me dis. 
Je suis celui que Tu appelles à travers tous les moments du temps, tous les mouvements des choses, toute l'expansion de
l'être. 
Je suis celui qui en tout reçoit ton appel. 
Je suis celui à qui, en qui Tu achèves ton oeuvre de manifestation et qui la retourne à Toi.
Je suis celui à qui Tu te dis, celui en qui Tu te dis.

Je suis l'écho de Toi, le retour à Toi de tout cela. 
Je ne suis que ce retour. Ce OM en lequel Tu te dis à moi, à travers tout,
Tu me dis à Toi, Tu me dis à moi- c'est le OM même qui jaillit de moi, en lequel je Te dis.
Car qui suis-je, si je suis, sinon Toi?
Car il n'y a que Toi qui es.
Si je suis je ne puis être que Toi. 
Non pas ce Toi à Toi que je dirais en parlant de moi,
 mais je suis le Toi que Tu te dis à moi. 
Tant que Tu ne m'as pas dit toi, je ne suis pas, 
Tu n'es pas.
Car si je ne suis pas, Tu n'es pas pour moi;
 et tant que Tu n'es pas pour moi comment Te connaîtrais-je ?

Pour m'appeler, pour me regarder, pour faire naître et jaillir vers Toi mon regard, Tu prends toutes les formes, sarvarupa. 
Toi qui es le Sans-Forme, a-rupa, alinga. 
Tout cela est quant Tu m'appelles.
 Tout cela est dans Ton appel seulement.
 C'est du sein de tout que Tu me cries Toi.
 De la montagne, du fleuve, de la forêt, des arbres piqués sur la falaise à pic, de chaque homme que je croise, de chaque événement...
sur la route du pélerinage, tout croisement est une grâce, il fait jaillir le OM des deux coeurs:
 l'appel et la réponse qui ne se distinguent plus. 
Au delà du moi et du toi qui se distinguent, 
le OM du purnam ( plénitude)

Oui, je te réponds, au sein de Toi. 
Quel est donc le sein de moi, sinon le sein de Toi ?
OM ! tout est là
Tout ce qui est, fut, sera.
Tout ce qui est Je, Tu, Il et tout ce qui est au delà des 3 temps et des trois personnes.
C'est le mystère le plus profond des trois. 
Non à part d'eux, mais au plus profond d'eux. 
Chacun au sein de l'autre. 
Jamais un pur Toi. 
Le Toi qui délivre le Moi.
 Purnam "

"Rien ne peut...contenter l'âme hormis Dieu en soi.
 Cependant elle n'est pas capable d'y accéder tant qu'elle n'a pas accepté de passer au delà d'elle même...
 et de se plonger...
 et de se perdre dans les abîmes même de Dieu
C'est alors qu'elle comprend que le silence est la louange la plus haute et la plus vraie
silentium tibi laus...

Elle même n'est plus alors que silence...
 un silence auquel l'a introduite le recueillement au fond de soi et l'apaisement de son activité intérieure...
mais un silence que maintenant l'Esprit fait résonner de la Parole éternelle...
 un silence tout d'attente...
 simple regard à Celui qui est là...
 simple attention...
 simple éveil"

Au delà des renoncements extérieurs de sa vie d'ermite Henri Le Saux  éprouve le renoncement suprême au Soi...
 au delà même du Toi divin que l'on rencontre dans la prière...

La nuit envahit alors l'âme qui ne peut plus s'adresser à son Dieu comme un Je s'adresse à un Tu...
toute la manière de vivre sa relation avec Dieu s'effondre alors...
Alors...
alors il découvre qu'au delà des rites et des psaumes ...il y a l'Autre Rive...
l'Autre Rive... où  Je  Suis...

Car le monde des rites  et du discours n'est pas l'Absolu...
il n'en est que le reflet...

Se pose dès lors pour lui la valeur des représentations chrétiennes...
l'histoire a-t-elle la consistance que lui prête le christianisme ?...
l'évènement de Jésus - Christ que devient-il ?
Le dogme chrétien n'a-t-il pas absolutilisé de façon indue ce qui en dernière vérité n'existe qu'au plan relatif ?

Ecoutons le encore:

" Nul désir d'être maître en théologie...
 mon seul effort est d'essayer de tourner les âmes vers le dedans...
 là où toute question est dépassée-...
au silence primordial du Père,...ou au silence consumant de l'Esprit...
 là où éclot le Verbe...
 et là où Il conduit

De moins en moins je pense que l'heure soit venue pour découvrir les concepts qui permettent un échange d'expérience entre orient et occident...
Je crois que l'heure est simplement venue de se laisser envahir par l'expérience...
 ...par les deux expériences...
 ...et ainsi avec ceux qui participeront à cette disloquante expérience... d'assurer les fondations du dialogue intellectuel ultérieur

En occident on peut partir de l'opposition Dieu/homme...
 ici l'expérience du Je , du Soi est tellement pleine de Mystère-...
ce mystère en Dieu...
 qu'il est impossible de projeter Dieu devant soi, si j'ose dire...
 ni pour en parler, ni pour Lui parler...

 Et pourtant l'expérience prophétique du face à face est vraie aussi...
 les deux furent vécues par Jésus. ..
Je ne suis pas capable d'expliquer, mais c'est ça...
 Et je sais par d'immédiates confidences l'angoisse de vrais contemplatifs chrétiens quand le Je s'est évanoui par lequel ils s'adressaient jusque là à dieu....
ce qu'il nous faut ce sont des contemplatifs chrétiens qui acceptent de passer par là...
A l'Eprit de souffler...et à l'homme de se laisser emporter !"

et encore

"Au bout de quelques jours me vint enfin comme la solution merveilleuse d'une équation: j'ai découvert le Graal...
Et cela je le dis et l'écris à quiconque peut en saisir l'image. 
La quête du Graal n'est autre au fond que la quête de Soi....
 Quête unique ...qui signifie  que sous tout les mythes et les symboles.... c'est Soi que l'on cherche à travers tout. ...
Et pour cette quête on court partout... alors que le Graal est ici...
tout près...
 il n'y a qu'à ouvrir les yeux...
 Et c'est la découverte du Graal dans sa vérité ultime..."

" tant que l'homme n'est pas encore passé par l'expérience purifiante de la non-dualité de l'être, est-il réellement capable de dire Tu à Dieu ?
Son tu à Dieu n'est-il pas alors encore trop sur le modèle du Tu que les hommes se disent entre eux... pour être pleinement un Tu de vérité ?"

Ainsi suivant le Père il convient  de dépasser les concepts et les dogmes, les rites et  les liturgies, l'adoration  même voire le sacrifice liturgique... tout cela restant du domaine du nama-rupa ( des noms et des formes)
il convient seulement de s'éveiller au Soi ...

" L'éveil au mystère n'a rien à voir avec les dogmes de Trinité, Incarnation, Rédemption...
C'est tout l'édifice trinitaire qui s'écroule...car c'est encore Nama-Rupa...
Et tous les efforts pour faire coïncider Brahma=silence et le Père...restent au niveau du mythos-logos. 
En fait il est si clair que l'on arrive pas à nommer l'Esprit dans une christologie védantine
Le mystère trinitaire est l'expansion en un magnifique dire, nama-rupa, de cette expérience à la fois
d'unité et de non dualité et de relation.
 C'est la réalisation de l'éternité de ma relation avec mon frère homme... etc...
Mais tenter de donner une nouvelle théologie trinitaire ne mène qu'à des impasses. C'est encore s'enchanter de mythos , de logos. 
C'est remplacer Théos par theo-logia ...
et confondre la notion de Dieu avec Dieu
Tout mon thème de Sagesse croulé...
 et dans cet écroulement total,
l'éveil !

Il convient donc de se débarrasser de son vêtement culturel et historique...
Jésus demeure-t-il sauveur universel ?

" Le christianisme est un symbole...
 probablement le plus merveilleux qui soit pour faire émerger dans la conscience le mystère qui gît au fond du coeur de l'homme et qui le constitue...
Mais il faut accepter du point de vue de l'esprit que tout y soit symbole ( ce qui ne veut pas dire non vrai): la génération éternelle, la descente dans le temps, la ressurection, l'ascension, l'effusion de l'Esprit.
 Dans le système symbolique du christianisme, les éléments de ce symbole ne peuvent qu'être uniques. 
L'unicité de l'incarnation fait partie du symbole chrétien. 
La Réalité déborde indubitablement le symbole...
 cependant, en son ordre, le symbole, sans l'enserrer dans son signe, représente quand même toute la Réalité..."

" Que je le veuille ou non, je suis profondément attaché au Christ Jésus et donc à la koinonia ecclésiale...
C'est à moi que le Mystère s'est découvert à moi depuis mon éveil à moi et au monde. C'est sous son image, son symbole que je connais Dieu et que je connais moi et le monde des hommes...
Lors de mon éveil à de nouvelles profondeurs en moi du Soi...d'Atman ce symbole s'est merveilleusement amplifié...
Déjà la théologie chrétienne m'avait découvert l'éternité du mystère de Jésus. 
Plus tard l'Inde me révéla le Tout cosmique de ce Mystère...
 cette révélation totale du Mystère en laquelle s'insère la révélation Judéenne.
Le Christ immense... plus haut que les cieux et aussi infiniment proche...
Je reconnais d'ailleurs ce Mystère que j'ai adoré de toujours sous le symbole Christ, sous les mythes de Narayana, Prajapati, Shiva, Purusha, Krishna, Rama etc...même Mystère...
Mais pour moi Jésus est mon vrai guru. 
C'est en lui que Dieu m'est apparu...
 c'est en son miroir que je me suis reconnu, en l'adorant, l'aimant, me consacrant à lui
Jésus...
 non chef fondateur d'une religion... c'est plus tard cela. 
Jésus ... le gourou qui annonce le Mystère..."

" Les Juifs ont réduit Jésus, le Ben Adam, au Messie de leur histoire du salut, de leur salut
Les grecs en ont fait une descente divine... la descente en terre de leur logos
L'Inde libre de l'histoire et surtout de la particularité historique- cet impossible "peuple de Dieu",
 libre aussi du logos et de l'eidos saisit immédiatement le Mystère Universel, le Purusha, qui hors de  toute histoire et de tout eidos apparait "agre": à l'origine de Tout...
 à l'origine du Tout cosmique...
 à l'origine de la conscience humaine....

L'idée du Messie a rapetissé Jésus. 
Jésus est la manifestation de ce Mystère originel que les dualistes appellent théandrique et les connaisseurs de Brahman le point d'ignition du non manifesté au Brahman qui s'atteint en soi par soi"

Tout essai de limitation, de réduction à Jésus de ce Mystère, est limitation et réduction de Jésus lui même, 
combien plus grand- combien seulement aussi plus divin- dans son advaïta avec tout né d'homme et donc tout né de Dieu...
Le problème de son unicité est un faux problème qui s'élève seulement dans le contexte du phénomène, là où l'on peut additionner, soustraire et multiplier. 
Alors que justement Jésus est venu libérer l'homme de tous les noeuds du coeur"

" Le Christ ne perd rien de sa vraie grandeur quand il est libéré des fausses grandeurs dont l'avaient attifé les mythes et la réflexion théologique.
 Jésus est l'épiphanie merveilleuse du Mystère de l'homme... de l'homme archétype ( purusha),...
 du Mystère de chaque homme...
 comme le fut le Bouddha et Rama et tant d'autres. 
Il est le Mystère du Purusha qui se cherche dans le cosmos.
 Son épiphanie est fortement marquée par le temps et le lieu de son apparition en chair"

" Si l'on veut que l'acte salvateur du Christ soit universel,
 cet acte salvateur ne peut être cherché dans aucun nama-rupa: mort, sacrifice, rédemption,résurrection..
Il n'y a qu'un acte en vérité par lequel Jésus- tout homme- passe au Père...
 c'est l'acte de l'éveil...
 Dès qu'on s'éveille, en raison de l'essentielle connexion humaine... c'est avec et au nom de tous que l'on s'éveille !

merveilleux non ?

"La distinction que l'on fait entre religion mystique et religion prophétique est artificielle...
Le Dieu qui se révèle dans l'expérience profonde du Soi est celui qui intervient dans l'histoire...
on ne saurait nier l'une au profit de l'autre.
L'expérience mystique introduit au delà des mots dans l'auto-connaissance même de Dieu guidé par l'être...
L'expérience de l'advaita est ineffable à un degré plus élevée encore et répudie l'analogie dualiste pour s'établir dans le non-deux...
elle est au delà des mots... ne pouvant plus se dire elle même. 
Le "je suis" qui seul l'énonce n'en est lui même qu'une expression impropre"

" La joie demeure, grandit, s'approfondit dans la découverte toujours plus intime de l'Essentiel...
Approches enivrantes...
elles coupent de tout... mais révèlent tout comme les nuits de St Jean de la Croix
Sauter hors des limites...
 nuit pour le mental seulement quand il veut comprendre et reporter ses catégories sur le Réel.
Vin enivrant qu'on a a peur de communiquer.
 Il bouleverse tout...
Ici dans la solitude du dehors et du dedans... la solitude du Seul...
 dans le dépassement de tout dire et de tout penser...
 on comprend eimi, " Je suis"
 le nom sous lequel Yahvé se révéla.
 Alors Pâques devient cet Éveil à rien de nouveau,...mais à ce qui Est...
 à cette Réalité qui n'a ni origine ni fin...
la divinité ...
au delà du concept de la trinité...!"

Que pourais-je ajouter d'autre à cette expérience vécue du Tout Autre et de l'Ultime

Merci Henri Le Saux !

Un chapitre entier est consacré à cet ermite en suivant ce lien...
prochainement aussi je publierai quelques textes de lui...

 

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