Quelques réactions au cours de la deuxième semaine
Comme je suis depuis plusieurs mois plonge dans les textes primitifs de la
tradition Zen, j'ai envie de dire ma reaction au texte cite par fr. Francois,
qui justement vient de cette ecole. (Note le mot japonais Zen est la
deformation du chinois Tchan, qui est lui-meme la deformation du mots Sanscrit
Dhyan qui veut dire contemplation silencieuse)
Un disciple demande au maître:
" que faire avant l'illumination spirituelle ?"
le maître répond:
"- On ramasse le bois, on fait le feu et on fait bouillir de l'eau"
Le disciple reprend:
" Qu'est-ce qui se passe une fois qu'on a eu l'illumination
spirituelle ?"
le maître répond
" On ramasse le bois, on fait le feu et on fait bouillir de l'eau"
Ce poème très profond peut cependant prêter a confusion pour ceux qui n'ont pas
l'habitude du Zen. En effet on pourrait penser que si avant l'illumination "on
ramasse le bois,etc", et après aussi, alors il n'y a aucune différence, et
même
que l'illumination n'est qu'un mot sans réalité.
Pourtant la différence est énorme: avant, il y a l'ego, après, il n'y a plus
d'ego. En fait on devrait dire : avant, "je ramasse le bois …", après, " le
bois est ramasse…".
Ce que veut dire le maître, c'est que l'illumination n'est pas quelque chose
d'extraordinaire, avec des coups de tonnerre et les violons, extérieurement,
rien a change, les montagnes sont toujours des montagnes, la vie, toute simple,
continue, même si intérieurement tout a change.
Il faut dire aussi que les maitres Zen anciens, ainsi que la plus part de leurs
disciples, étaient des moines ou des laïcs menant une vie déjà très monacale:
il n'y avait pas grand chose a changer dans leur vie. Mais St Paul aurait-il pu
dire: "avant le chemin de Damas, je persécutais les chrétiens, après je
persécutais les chrétiens" ? Ou George Bush, en cas d'Eveil, "avant je
lâchais
des bombes a uranium un peu partout, après je lâchais des bombes …" ? On voit
bien que non !
Les maitres Zen sont extremement pudiques, ils pourraient parler de la paix, de
la joie qu'ils ressentent des l'Eveil, ils disent simplement : "on ramasse le
bois". Le reste, l'essentiel, c'est a nous de le deviner. Chaque geste du
maitre est un enseignement, sa facon gracieuse de ramasser le bois est un
enseignement. Moi aussi, je ramasse le bois, mais en meme temps, je pense a
milles choses, je regarde ma montre, je regarde si on m'observe, je me demande
si ce tas ne sera pas trop lourd a porter, etc. Le maitre lui, quand il ramasse
le bois, ramasse le bois.
Du reste pour celui qui a atteint l'Eveil, l'univers tout entier est divin,
chaque petite fleur est sacree, le bois, le feu, l'eau, tout est rempli par la
Presence de l'Esprit. Faire du feu est aussi sacre que de reciter les paroles
du Bouddha.
Alors pour nous qui n'avons pas encore atteint l'Eveil, que faire ? Et bien,
ramassons le bois, faisons le feu, faisons tout en etant de plus en plus centre
dans l'instant present, centre dans notre silence interieur.
Quand j'avais 16 ans, j'ai appris, a Taize, une priere dont je me souviens
encore, peut-etre la connaissez-vous ?
Que dans ta journee, labeur et repos soit vivifie par la parole de Dieu,
Maintiens en tout le silence interieur pour demeurer en Christ
Penetre-toi de l'esprit des Beatitudes: joie, simplicite, misericorde.
Bonne semaine sainte, et A +, (:-)
Deepen
-------------------------------------------------
Voici ma reaction, au beau texte de Soeur Jeanne d'Arc (que je ne connaissais
pas).
Tout le debut du texte me fait sentir que je suis en presence d'une ame tres
contemplative et qui a une soif profonde de Dieu. Le constat de la difficulte
d'etre en silence, je penses que nous l'avons tous experimente. Mais il ne faut
pas en rester a cet echec. Il faut, comme l'avait dit fr Francois, beaucoup de
courage et de perseverance, mais il faut aussi tenir compte de l'experience des
"Anciens".
La ou Sœur Jeanne D'Arc fait fausse route, et la pluspart des Occidentaux ont
cette meme tendance, c'est qu'elle croit devoir imposer le silence, comme un
prof a une classe d'enfants bruyants. Elle parle "d'instaurer en soi le
silence", elle veut "éliminer le bruit". Et ca ne marche pas.
En fait le silence est deja la, est toujours la. Il faut se plonger dedans.
Ensuite c'est le silence qui nous absorbe peu a peu. On decouvre avec
ravissement que ce silence, n'est pas un neant, mais une Presence.
Une image qui m'a beaucoup aide au debut est la suivante. J'imagine que je suis
en panne au bord de l'autoroute. Les voitures defilent. Je peux soit regarder
les voitures, noter la marque, la couleur, le nombre de passagers, ou au
contraire, je peux tourner mon attention vers les espaces, les vides entre deux
voitures. A la longue, et tout naturellement, sans effort de ma part, ces
espaces entre les voitures-pensees deviennent de plus en plus longs. Mais ce
n'est qu'une image. Si vous commencez a vous efforcer d'imaginer les voitures,
etc, ca redevient un travail, et c'est fichu !
Une autre technique qui peut aider c'est de porter son attention, mais sans
effort, sur la respiration. Ce n'est pas un exercice, un contrôle du souffle
comme dans les pranayamas du yoga, juste une attention detendue, soit a l'air
qui entre et sort des narines, soit au mouvement du ventre. La aussi, on essaye
pas de supprimer ou de stopper les pensees, on les laisse passer, on les
ignore, on revient au souffle. C'est tres agreable en plus.
En fait, il ne faut pas essayer de "detruire le mental". Du reste le mental
peut etre utile dans la vie active (pour compter sa monnaie ou planter ses
choux au bon moment), bien que le 90% de sa production soit du bavardage. Il
faut se distancer, se desidentifier du mental. La conscience n'est pas la
pensee. La conscience est le ciel, la pensee un nuage. Ou: le mental doit
cesser d'etre notre maitre et devenir notre serviteur.
Une autre technique tres puissante qui mene au silence, c'est la repetition
d'un Nom divin. Mais il faut des annees pour que ca porte ses fruits, a moins
d'en faire 12 heures par jour comme le Pelerin Russe ou Swami Ramdas.
Pour terminer, les Anciens insistent sur le fait que le silence, n'est pas
juste une technique, mais la condition essentielle pour entrer dans la vie
contemplative.
Beaucoup cherchent avidement, mais ceux-la seuls trouvent qui demeurent dans un
silence continuel. […] Si vous aimez la verite, soyez un amant du silence. […]
Le silence vous unira a Dieu Lui-meme […]
Isaac de Ninive
C'est par le silence que les saints grandissent, c'est a cause du silence que
la puissance de Dieu a habite en eux, et qu'ils ont connu les mysteres de Dieu.
Abba Ammonas, disciple de St Antoine
Si tu portes un silice, ou si tu jeunes au pain et a l'eau et si tu dis chaque
jour mille Pater Noster, tu ne Me plairas pas autant que quand tu es en silence
et Me laisses parler dans ton ame.
Julienne de Norwich
Voilà, pardonnez-moi d'avoir rompu le silence avec tous ces mots bruyants,
Deepen
________________________
Chere Marie Josee,
Merci pour ton mail et aussi merci pour ton beau poeme.
Je ne sais pas si c'est le lieu et si c'est en rapport avec le careme, mais
puisque tu me poses quelques questions, j'essaye d'y repondre.
Je ne suis pas un ermite au sens classique du terme comme St Antoine ou St
Nicolas de Flue, plutot a mi-chemin entre l'ermite et le pelerin, par la force
des evenements. En tout cas j'ai un gros besoin de solitude et de silence. Je
crois d'ailleurs que depuis une 50aine d'annees est en train de naitre une
nouvelle categorie de contemplatifs; les termes d'ermites urbains, de
monachisme interiorise se rencontrent souvent pour parler de cette nouvelle
race.
Ma maisonnette est en pleine nature, a 2km du hameau le plus proche, mais
entouree d'autres maisonnettes a 100, 150m, mais qui sont vides sauf une ou
deux, assez loin. Je n'entends rien, (sauf s'il y a une fete et la stereo). A
part ces quelques maisons, tout autour c'est une sorte de steppe, avec des
herbes hautes, des buissons, quelques bouquets d'eucalyptus, et quelques
cocotiers. Tout est sous l'eau pendant la mousson.
Golfe du Siam ou Golfe de Thailande, c'est le meme. Je suis a l'est de Bangkok,
a mi-chemin de la frontiere Cambodgienne. En face d'une ile nommee Ko Sameth a
20km de Rayong.
Le Nom divin qui m'inonde ? Jesus…Jesus…..…..Jesus…..……..… Jesus ………
Pourquoi la Sainte Trinite ? Parce qu'ils sont tout blanc, magnifiques, de la
meme famille et ont la meme nature.
Je n'ai pas encore rencontre d'Eveille en Thailande. Je ne cherche plus
d'ailleurs, mais si j'en rencontrais un, j'irais avec joie m'asseoir a ses
pieds. Celui dont j'ai parle, et qui m'a ouvert les yeux, vivait en Inde.
C'etait un homme merveilleux a qui je dois tout. Je pourrais en parler pendant
des heures, mais je ne veux pas acaparer le micro. Disons simplement que sa
grace et sa joie etaient infectieuses, nous passions des heures chaque jour a
l'ecouter, ravis d'etonnement. Il parlait d'abondance, sans la moindre note, et
la musique de ses paroles nous remplissait le cœur. Et les silences entre les
mots ! Il nous ramenait toujours a nous meme, nous aidait a nous regarder sans
nous mentir. Il nous apprenait a faire de chaque instant une celebration,
"avancez vers Dieu en dansant, disait-il souvent".
Tu peux venir planter ta tente ici dans le jardin quand tu veux, tu seras la
bienvenue. Les chiens gueuleront un peu au debut, mais t'adopteront a leur
rythme. Du reste, ces temps-ci il fait si chaud, que nous dormons tous dans le
jardin !
Bonne semaine sainte a tous !
Amicalement,
Deepen
-------------------------------
En fin de semaine je me suis fait aller le poète, comme on dit chez-nous. Entre
les images de guerre, de blessés et de morts vus à la télé, et mon bonheur
tranquille... une faille s'est ouverte.. et a parlé... catharsis. C'est
toujours une catharsis que d'exprimer ses émotions. Je vous offre mon texte.
N.B. Au moment d'envoyer il semble que Bagdad soit tombée et que la guerre tire
à sa fin. Espérons que ce soit vrai et que les souffrances endurées par le
peuple irakien et les soldats des deux camps n'aient pas été vaines.
J’AI MAL À MON BONHEUR…
Hier je suis allée me promener sur le bord du majestueux fleuve St-Laurent.
Nous sommes début avril, il n’y a plus de glace sur le fleuve à part ça et là
de gros blocs de glace flottants sur l’eau, on dirait des banquises, sur
lesquels viennent se poser quelques oiseaux marins. Je m’assois sur un rocher
découvert, tout autour de moi le sol est blanc de neige. Plus loin le fleuve
aux eaux bleutées, parsemé de glaces blanches, le ciel nappé d’ azur et
l’autre rive couverte de blancheur également. Tout est tellement beau, calme et
invitant. Je contemple ce paysage en emplissant mes yeux et mes poumons de
bonheur.
Puis le paysage change . Le ciel devient rouge, et la terre ocre et
poussiéreuse. Une odeur de souffre flotte dans l’air. J’entends les bombes et
les cris. Je vois l’horreur et la terreur.
J’ouvre les yeux : tout est calme à nouveau. Calme, blanc, bleu. Mais j’ai
mal. J’ai mal à mon bonheur…
J’ai mal à mon bonheur
Il me pèse en ces jours sombres
Quand tant d’êtres souffrent et meurent
En des contrées lointaines,
Victimes de la bêtise humaine
Et des vaines ambitions
De leaders dénaturés.
J’ai mal à mon bonheur tranquille…
J’ai mal à ma vérité
Quand au nom du Dieu qu’ils invoquent
Des chefs d’états cupides et froids
Enrôlent dans leur croisade
Enfants de Dieu contre fils d’Allah.
Pions sur un échiquier truqué
Programmés pour tuer et détruire
Ils n’ont d’autre choix que d’occire
Et dans un immense bain de sang
Deviennent meurtriers ou martyrs.
J’ai mal à ma vérité assassinée …
J’ai mal à mon humanité
Je voudrais être Tout-Puissant
Pour faire cesser ces massacres,
Pour conjurer le mauvais sort,
Pour rétablir la paix.
Mais Lui ne dit mot
Car il respecte nos choix,
Il nous a créé libres,
Libres et responsables.
J’ai mal à ma liberté…
J’ai mal à mon humanité…
Marie-Josée
Avril 2003
suite