Benedictus et Pax+

Dix jours déjà que nous sommes sur le chemin...
Par le Silence, par la prière vraie, par toutes les difficultés rencontrées que  dans la prière commune  nous portons mutuellement les uns et les autres nous parvenons à l'Intériorité de la foi et au Mystère

C'est sur deux textes l'un du Père Leloup sur une prière très simple et très vraie...celle des grands mystiques , l'autre du Père Le Saux sur le Mystère devant laquelle débouche toute prière que je vous laisserai ce Week-End  ( il sont difficiles aussi si c'est trop pour vous n'insistez point ...et prenez ou reprenez des textes plus simples )ou bien sûr un Psaume
Tous cela vous le reçevrez par pli séparé
Durant la semaine prochaine ( 2ème Semaine de Carême) nous parlerons de l'humilité et de la nécessaire acceptation

D'ores et déjà et en union de prière spécialement durant tout ce Carême

Bien fraternellement

frere francois+

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Ce premier texte est extrait du livre du Père Leloup " Un art de l'attention"  paru aux éditions du Relié en 2000.
Il nous invite à l'attention qui est la première , la plus simple mais aussi la plus difficile des prières ...et qui se doit d'être continuelle, une attention aimante qui quand elle s'exerce sur autrui voisine avec la compassion
Cette attention nous amène à situer notre intériorité mais aussi notre mystère nous tournant vers le Mystère du créé.
Ce texte est à méditer en plusieurs fois et à reprendre tout au long du Week-End

Bon courage !

ff+



Ce que nous appelons « terre d'exil » 
est souvent « terre promise » à laquelle manque notre attention. 
S'il faut revenir quelque part,
 revenir à ce qui est, 
il n'y a pas d'autre chemin
 que l'attention, 
que celle-ci soit sensible,
 affective, intellectuelle ou spirituelle...

« Les biens les plus précieux
ne doivent pas être cherchés mais attendus »
 c'est de la qualité de notre attente 
ou encore de notre désir 
que naît la qualité de notre attention.

L'attention est alors
 un autre nom pour l'Amour,
 quand celui-ci ne se contente pas 
d'émotions ou de bonnes volontés
 mais devient l'exercice quotidien 
d'une rencontre avec ce qui est, 
avec ce que nous sommes.
A travers les labyrinthes de nos préoccupations,
 il faudra garder un fil d'heureuse vigilance.
 Sans cette vigilance
 comment pourrions-nous reconnaître la présence Une 
sous ses formes multiples et goûter la Saveur (Sapienza) ? 
Comment pourrions-nous « prendre soin de l'Être »?



« L'Attention est la prière naturelle de l'âme », Malebranche.


Il n'existe pas de traité de l'oraison qui ne soit traité de l'attention
 « application de tous nos sens ».


Pour qu'il y ait application, il faut sans doute un objet où s'appliquer, ce qui est vrai de l'application sensible; de l'application intellectuelle également lorsqu'il s'agit de méditer sur une idée, une image, symboles ou concepts: objets de pensées;
 
de l'application affective encore lorsqu'il s'agit d'aimer ce qu'on appellera justement le clair ou l'obscur « objet de notre désir ».

Mais qu'en est-il de l'Attention spirituelle?

Dieu serait-il un objet sur lequel nos sens, nos réflexions et nos affections pourraient s'appliquer?

Pour les idolâtres sans doute qui feront de l'Être un Objet avec majuscule et lui donneront différentes parures religieuses, symboliques ou conceptuelles.

Quant à ceux qui ne peuvent s'y résoudre, 

il leur faudra trouver d'autres mots pour LE dire,

ils parleront de la Déité (Eckhart) ou de l'Ouvert (Rilke), c'est-à-dire du Non-objet par excellence ou du Non-objectivable...
ce qui aura pour effet de maintenir leur attention non pas insatisfaite mais non rassasiée,
 bouche bée,
baiser silencieux à ce grand corps qui lui échappe.

Le Réel est ce qui manque à nos sens, à nos pensées,
à nos désirs.

 Être attentif à ce Réel qui manque dans les réels qui se donnent à voir, à penser et à aimer fait de l'attention l'oraison la plus simple, la plus exigeante...

Si les murs du temple n'enferment pas le Souffle qu'on y respire, ils sont beaux.

Prosochè

Il est intéressant de remarquer dans le vocabulaire grec la proximité des mots proseuchè (oraison) et prosochè (attention).
Un homme attentif est déjà un homme qui prie,
la prière n'étant rien d'autre qu'une attention du coeur à la Présence Une qui fait de chaque chose un « présent »;
 une reconnaissance aiguë et tendre de Celui qui Est en tout ce qui est...

Plus qu'à la « connaissance de soi » (gnosthei séauton), les anciens Thérapeutes et les pères du désert invitent à « l'attention à soi » (prosèchè seautoi).

La collection alphabétique des apophtegmes rapporte une parole adressée à saint Antoine : « Antoine, sois attentif à toi-même » (prosèchè séautoi).

Saint Basile consacre une homélie entière : « Attende tibi ipsi » (prosèchè séautoi)', à commenter un verset du Deutéronome (15,9) selon la traduction grecque des Septante. Il fait de l'attention à soi l'une des caractéristiques de la nature humaine:

« L'attention est aux êtres raisonnables ce que l'instinct est aux animaux ».

« Il y a deux manières de faire attention :
par les yeux corporels voir les choses visibles,
et par la force de l'esprit, contempler les invisibles ».

Il montre également que ce qui donne valeur et efficacité à une activité, c'est l'attention avec laquelle on l'exécute :

« Le chasseur doit être attentif à ce que le gibier ne lui échappe, l'architecte doit être attentif à poser les fondations solides, le laboureur doit être attentif à bêcher autour du figuier stérile, le pasteur doit être attentif à ramener la brebis égarée, l'athlète doit être attentif à la règle du jeu... »I

Il résumera sa pensée en deux phrases courtes qui demeurent toujours intéressantes à méditer.

« L'attention à soi-même conduit à la connaissance de Dieu ».'

« Sois attentif à toi-même pour être attentif à Dieu »I (prosèchè oun séautoi ina prosèchè Theoi).

Ainsi l'Attention conduit à la connaissance et la connaissance conduit à l'adoration. 

Le regard attentif voit Dieu dans l'homme, il voit l'homme en Dieu,
ou dans un langage moins religieux : il voit l'Être dans les étants, il voit les étants dans leur relation à l'Être.

 Le regard inattentif ne saisit plus cette relation, il s'enferme dans l'opposition du visible et de l'invisible, il n'y a plus pour lui que la réalité matérielle des choses ou leur absence.
Le regard inattenfif demeure étranger aux présences, à ce qui fait de chaque être, un « être là », non seulement un ou une « donnée », mais un « don »

Ce n'est pas par hasard si on appelait les anciens thérapeutes de « grands attentifs », 
les moines viendront les rejoindre dans ce « plaisant labeur » et c'est de leur attention qu'ils tireront leur connaissance et leur louange,
l'attention étant ce moment unique où peuvent se rejoindre l'intelligence et le coeur.

Diadoque de Photicé invite sans cesse à l'attention, et les manuscrits de son oeuvre révèlent l'hésitation des copistes entre prosochè et proseuchè:

« Lorsqu'un psychisme (psychè) a commencé à se purifier par l'intensité de son attention, alors, comme un vrai remède de vie, il sent le frémissement divin qui le brûle... »

L'attention est ici considérée comme un remède, c'est un retour au réel et si la conversion « est le retour de ce qui est contraire à la nature vers ce qui lui est propre »,
 l'attention est bien ce chemin de retour. 
Elle nous fait revenir de cet exil qui est l'oubli de l'Être, 
plus encore elle nous fait revenir de l'enfer qui est absence de Miséricorde. 

Dorothée de Gaza précise bien ce lien entre l'attention et la tendresse du coeur. 
Le péché (harmartia) pour les anciens est en effet non seulement oubli de l'Être que nous sommes, mais oubli de notre capacité « d'aimer comme l'Amour incarné a aimé », perte de notre ressemblance avec Dieu. 
Être attentif à garder le coeur miséricordieux en toutes circonstances, c'est ce qui nous garde en Présence de l'Être.

« C'est particulièrement cette vertu (la miséricorde) qui imite Dieu, elle est le propre de Dieu. Il faut donc
être toujours attentif à ce but et agir avec cette connaissance »

Dans l'Evangile selon Matthieu, jésus dit : « Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait ». 
Dans l'Evangile de Luc, il précise : « Soyez miséricordieux comme votre père céleste est miséricordieux ».

Qu'a-t-il dit exactement? 

Sans doute : « ni ceci, ni cela » ou bien « les deux à la fois », car, que serait une perfection qui ne serait pas miséricorde? 

Que serait une attention qui ne viendrait pas d'un coeur aimant : une inquisition, un voyeurisme... un regard qui scrute et qui épie?

L'attention, comme la perfection sans miséricorde, ne peut engendrer que des inquisitions ou des introspections parce qu'elle ne perçoit plus ce qui est comme relation au Vivant et au « changeant ».

Être attentif avec miséricorde aux êtres et aux choses, c'est leur donner le droit à leur impermanence mais aussi à leur capacité d'évoluer, de se transformer et de changer.

De nouveau, l'introduction du coeur dans l'attention évite au regard de « s'arrêter » en ce qu'il voit.
Il devient sensible à l'icône là où il risquait de faire de sa perception une idole...

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Ce Texte du Père Le Saux est extrait de son journal intime publié sous le titre " La montée du fond du coeur"  ( éditions O.E.I.L) et a été ecit en 1956
C'est une prière magnifique sur le Mystère de l'homme et de la création , Porte d'intériorité devant laquelle nous conduit le silence et la prière

C'est une prière assez longue que l'on peut découper pour la méditer plus facilement ( sans se crisper !)

En communion de prière

ff+



J
e porte en mon âme un mystère,
mon propre mystère,
 le mystère même de l'Être,

et mon angoisse en cette terre est de le nommer,
 cet au-delà de tout nom,
des noms que les hommes donnent aux choses, 
des noms,-des mots, qui en tous sens sillonnent
et zigzaguent en mon esprit comme des étoiles folles,
car ce mystère est le mystère même de mon corps,
 de chaque partie de mon corps,
 de chaque membre,
de la courbure de mes formes, 
du lisse de ma peau.

 Et ce mystère est le mystère même de mon coeur,
de mes amours et de mes désirs,
de mes attentes et de mes regrets, 
de mes refus...

Et ce mystère est celui-là même que porte chacun de mes frères,
 en son propre corps, en sa marche, en son silence,
 en sa parole, en ses angoisses, en ses enthousiasmes.

Et ce mystère est celui-même qui est au firmament,
 aux entrailles du soleil, au coeur de chaque étoile, 
et qui est au fond des océans, 
et qui est dans le feu, 
et qui est dans le vent qui passe,
 et qui est dans l'espace insoluble, inexplorable, irréductible, 
et qui est dans la terre qui porte, nés d'elle, les plantes, les bêtes et les hommes.

 Et c'est ce mystère qui est dans l'histoire, 
dans le temps que font les hommes et dans celui qui mesure la vie des hommes, 
dans le temps du vent qui souffle, du feu qui consume, 
des eaux qui passent, ruisseaux puis fleuves,
 des montagnes aux océans, 
des océans au firmament et à nouveau aux entrailles de la terre,

 et c'est ce mystère qui est dans ceux des hommes qui décident de l'histoire des hommes 
et lui imposent leurs noms,

 et c'est ce même mystère qui est à la fois au coeur du plus petit des nés de la femme
 et du plus humble des êtres de la création,
 et au coeur des plus grands qui paradent au milieu des enfants des hommes.
 
Et le mystère n'était pas plus grand au coeur de Jésus de Nazareth,
 la Vâk [parole] éternelle incarnée dans le temps et dans les éléments du monde,
 qu'il ne l'est dans mon propre coeur. 

Car le mystère est un et sans second,
 et le mystère est insécable, 
 et le mystère est impénétrable
 Et c'est ce mystère qui est caché 
-et qui en même temps se découvre si puissamment -
 au secret du sanctuaire obscur du fond de nos Temples,
 et aux entrailles de la montagne d'Arunachala, 
d'où sourdent les eaux et d'où jaillit la flamme, 
et aux serpents de pierre que la piété des humbles érige au pied des arbres, 
et aux enseignements des rishis et au darsana des gurus, 
et qui, à leur contact, surgit si bouleversant du fond de nos coeurs,
 tout au fond de ces coeurs,
 les creusant et y creusant sans merci, des fosses de ténèbres qu'illumine la clarté de l'Être.

 Ce fut au coeur du Fils de Marie que ce mystère se révéla en toute son immensité,
et qu'éclorent les paroles qui le diraient aux hommes. 
C'est pour cela que Jésus est le Verbe en personne, la Vàk, la Parole,
 le Logos, 
et c'est parce qu'il était la Parole en personne qu'il parla. 

Et ce mystère est encore là qui ronge au coeur le pauvre type qui se vautre dans la boue,
 dans ses vomissements et dans ses excréments, 
de matière, de coeur ou bien de pensée. 

L'Esprit était là qui brûlait et qui dévorait le coeur de Job qui se grattait sur son fumier,
 et celui de Raikva qui se grattait sous son chariot,
 et qui découvrit la vérité au roi Bhallàksha, le descendant de Janashruta, si fier et si satisfait de ses bonnes oeuvres et de ses charités",

 et ce mystère est là derrière les yeux éteints de la pauvre femme qui peine,
 et de celle qui se prostitue, pour avoir de quoi manger,
 et en la Cancalaise qui gueule et engueule au marché à poissons, 
et derrière la vanité de ceux qui se pavanent et boivent l'adulation comme lait doux, 
et derrière l'orgueil et la rouerie et la colère des hommes, 
de ceux qui marquent les destinées du monde et de ceux qui ne quitteront jamais leurs rues ni leurs taudis,
comme il est dans la sainteté, le dévouement et l'amour de ceux qui mènent les hommes au monde de l'Esprit,
 sans souvent qu'ils le sachent ni que les hommes s'en rendent compte,
 sous la cornette de la soeur de charité,
 et dans l'oubli de soi si total d'une mère,
 et dans la prière si pure de l'enfant dont le coeur s'ouvre à Dieu. 

L'homme n'a qu'une mission en ce monde :
 - délivrer en soi ce mystère intérieur,
 et en le délivrant en soi, le délivrer au monde,
 et peut-être si ce mystère en soi jaillit en mots, 
- de dire aux hommes ces mots qui les aideront à pénétrer en soi, 
et toujours en tout cas, de le révéler aux hommes par son regard. 

Il n'est pas d'autre à celui qui est au-dedans de moi, 
car il n'est pas d'autre à celui qui est.
Et il n'est pas d'autre à celui qui est au-dedans du monde.
Il n'est pas d'autre à l'Autre que j'ai découvert au-dedans de moi.
Mais alors moi ? Où suis-je ? 
Qui suis-je ? 
Que suis-je ...

Je suis d'un Autre à qui il n'est pas d'autre.
Il y a dans chaque être un mystère". 
et il y a dans le monde un mystère
et c'est l'homme qui délivre le secret de ce mystère,
 le secret de l'être qui provient du Père.

Et il y a dans chaque homme un mystère,
 et c'est le Christ qui révèle à l'homme ce mystère en son propre sein,
 où il s'éveille éternellement à l'Être, au sein du Père.

Et il y a dans chaque peuple un mystère, 
et c'est la foi qui dévoile à ce peuple son mystère,
l'Esprit fécond au fond de lui, le couvrant de son ombre comme Marie,
pour qu'en lui aussi naisse le Verbe, du sein du Père.

Et il y a au coeur de l'Inde un mystère...
Ce que nos rishis avaient deviné de l'Être au fond de soi, couverts de l'ombre de l'Esprit, 
ce que, mus de son souffle, ils avaient proféré de l'Être découvert au fond de soi, 
ce qu'au fond du coeur de nos rishis avaient énoncé de soi Vàk, la Parole éternelle.

Le Verbe lui-rnême venu en chair et en âme d'homme,
 en révéla le secret total aux hommes,
 autant du moins que les hommes peuvent l'entendre et leurs mots le répéter la définitive  science du Père,
 la définitive science de l'Esprit, lui, la Sagesse, en personne
Et il révéla le secret de l'atteindre,
la Voie de la Foi et la Voie de l'Amour,
 le secret pour l'homme d'y atteindre en communauté humaine. 

Le OM qu'entendirent nos rishis résonner en leurs âmes, 
quand ils descendirent au plus profond d'eux-mêmes, 
plus fond que leurs pensées et plus fond que tous leurs désirs, 
dans la solitude existentielle de l'Être. 
Le OM qui résonne au bruit des feuilles frémissant sous le vent,
 le OM qui mugit dans la tempête et gémit dans le zéphyr,
 le OM qui rugit au torrent impétueux et le son très doux du fleuve qui descend paisible.vers la mer,
 le OM de la course des sphères au travers du firmament, 
et le OM qui vrombit au noyau de l'atome,
Celui qui chante au chant des oiseaux, 
celui qui se délivre au cri des bêtes de la forêt,
 le OM du rire des hommes et le OM de leurs sanglots,
 le OM qui vibre en leurs pensées et en tous leurs désirs,
 le OM de leurs mots de guerre, d'amour ou bien d'affaires, 
le OM que fait le Temps et l'Histoire en marchant, 
le OM que fait l'Espace en entrant dans le Temps.
Ce OM éclata soudain tout entier en un coin de l'espace et en un point du temps, 
en son indivisible plénitude, quand au sein de Marie naquit Fils d'homme le Verbe,
 Fils de Dieu.


P.S. Le Om est la syllabe sacrée servant à désigner le divin on peut le remplacer par Amen

Un Psaume plein de confiance qui nous invite à prendre de la hauteur par rapport au quotidien et au vécu de chaque jour...et même de nos propres et inévitables trahisons

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Psaume 54

Mon Dieu, écoute ma prière
N'écarte pas ma demande
Exauce-moi, je t'en prie, réponds-moi !
Inquiet, je me plains

Je suis troublé par les cris de l'ennemi
et les injures des méchants
Ils me chargent de crimes
pleins de rage, ils m'accusent

Mon coeur se tord en moi
la peur de la mort tombe sur moi
crainte et tremblement me pénètrent
un frisson me saisit

Alors, j'ai dit: "Qui me donnera des ailes de colombe ?
Je volerais en lieu sûr
loin, très loin je m'enfuirais
pour chercher asile au désert"

J'ai hâte d'avoir un abri
contre ce grand vent de tempête !
Divise-les, Seigneur
Mets la confusion dans leur langage !

Car je vois dans la ville
discorde et violence
de jour et de nuit, elles tournent
en haut de ses remparts

Au-dedans, crime et malheurs
au dedans, c'est la ruine
Fraude et brutalité
ne quittent plus ses rues

Si l'insulte me venait d'un ennemi
je pourrais l'endurer
Si mon rival s'élevait contre moi
je pourrai me dérober

Mais, toi, un homme de mon rang
mon familier, mon intime !
Que notre entente était bonne
quand nous allions d'un même pas
dans la maison de Dieu !

Que la mort les surprenne
qu'ils descendent vivants dans l'abîme !
Car le mal habite leurs demeures
il est au milieu d'eux

Pour moi, je crie vers Dieu !
Le Seigneur me sauvera
Le soir, le matin et à midi
je me plains, je suis inquiet

Et Dieu a entendu ma voix
Il m'apporte la paix
Il me délivre dans le combat que je menais
ils étaient une foule autour de moi !

Que Dieu entende et qu'Il réponde !
Lui qui règne dès l'origine
A ceux-là qui ne changent pas
et ne craignent pas Dieu

Un traître a porté la main sur ses amis
profané son alliance
il montre un visage séduisant
mais son coeur fait la guerre
sa parole est plus suave qu'un parfum
mais elle est un poignard !

Décharge ton fardeau sur le Seigneur
Il prendra soin de toi
Jamais il ne permettra
que le juste s'écroule

Et Toi, Dieu, Tu les précipites au fond de la tombe
ces hommes qui tuent et qui mentent
Ils s'en iront dans la force de l'âge
moi, je m'appuie sur Toi !
+

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Merci, cher Frère François pour vos beaux textes sur le chemin du Carême.


Permettez-moi de vous adresser celui-ci, du poète français Jean-Paul De Dadelsen (mort en 1957 à l'âge de 44 ans, malheureusement pas encore assez connu en France malgré l'édition chez Gallimard) :

                          
Exercice pour le soir


Arrête-toi. Au lieu de haleter de seconde en seconde
Comme un torrent de roc en roc dévalant sans vertu,
Respire
Plus lentement et sans bouger, les pieds croisés, les mains jointes,
Regarde, comme si c'était le monde tout entier,
Un objet menu et domestique, par exemple
Cette tasse.

Néglige sa courbure, ce bord ondulé, ces dessins bleus.
Ne considère que l'intérieur, cette cavité blache, cette surface
Lisse.
L'eau n'est lisse ainsi que les soirs de grand calme
Après une journée qui rassemble et retient son bonheur
Au centre du silence où s'arrête son
Souffle.

Peux-tu nommer un jour, une heure, sans reflets d'hier,
Sans impatience de demain, où ton âme fut ainsi
Lisse?
N'écoute pas ton coeur, ne compte pas ton pouls, ne songe pas
Au temps qui vers la mort te traverse, mais seulement
En arrêtant ton souffle regarde cette pure et seule qualité
De lisse.

Si maintenant tu apprenais à fixer ton regard, ta pensée,
Ton âme sans ciller sur quelques centimètres carrés de
Lisse,
Peut-être alors, sans fuir le monde, sans éviter les femmes,
Sans changer d'état, de pays, de nourriture,
Pourrais-tu espérer un jour commencer à comprendre
Le monde entier.

C'est une tasse sans valeur achetée dans une épicerie-mercerie
D'un village savoyard du côté de Boège et Séchemouille.
Elle n'est pas lisse.
Le microscope y trahirait un Himalaya d'aspérités.
Ce qui la fait lisse, c'est la lumière, ce sont tes doigts naïfs.
Pour un autre regard, peut-être, une tasse
Vaut une tête.

Autant que l'orgue solennelle ou la machine électronique,
Autant que l'orage équatorial et les courants du pacifique
Cette tasse
Honore le Nom divin. Si demain tu étais exilé, tu n'aurais pas
Besoin, à condition de l'avoir regardée longtemps, à condition
De pouvoir dans ton coeur recomposer ce lisse, d'emporter
Ce tesson.

Voici l'entrée, non pas de la sagesse, ni du silence,
Ni du parfait pouvoir sur toi-même et ton ombre,
Mais d'une première
Cavité assez lisse pour contenir une poignée de paix.
Maintenant tu peux dormir les pieds joints, pour ne pas couper
Le courant, les mains jointes, maitenant tu peux
T'élever

Lentement, calmement un peu plus haut que ton corps étendu
Et dénoué, comme si tu n'habitais plus que ta tête
Ou tes narines
Ou les environs immédiats de l'oeil pinéal ;
Maitenant au-dessus de ton corps pacifié, au-dessus
De ta boîte à sornettes, dans le fluide lisse de ton âme éployée, tu peux
Veiller.
</font> </font> <p><font lang="1" face="Arial" size="2" family="SANSSERIF" color="#FF00FF">__________________________________________________________________________________________</font><font face="arial,helvetica"><font lang="1" face="Arial" size="2" FAMILY="SANSSERIF" color="#FF00FF">

Merci pour les textes soutenants et nourissants ces 10 jours de Careme, merci pour vos pensees partagees.
SILENCE et oui c'est bien difficile quand on a 5  enfants, quand on travaille aupres d'enfants accidentes de la route, dechiquetes pour les "hommes et femmes pieges", ou se mourant du cancer du cerveau ! Quand on vit dans un pays ou la mitrailleuse dechire ce qui aurait pu etre silence et que le bruit des balles chaque jour descende un de vos voisins!
Silence oui ce n'est pas facile mais tout a coup ca se trouve par une grace special de Celui qui dans notre souffrance, dans notre tumulte interieur, dans notre grande faiblesse nous prend dans Ses bras de PERE pour nous dire: NE CRAINT PAS!
Alors au milieu meme d'un Mc Donald nous voila dans son sanctuaire. C'est merveilleux.C'est ce que j'ai parfois la grace d'experimenter et je prie pour que chacun de nous puisse vivre ses temps speciaux de visitation pour continuer a marcher sur les chemins de notre monde bruyant.
 Ce Careme temps de conversion, de mise en lumiere, de retour a l'Eternel est pour moi cette annee,marque par une mise en lumiere de nos relations de responsables de notre petite assemblee. Un temps tres difficile... ou nous ne savons pas ce que la LUMIERE va au bout reveller et provoquer, et nous avons besoin de votre priere pendant ce temps.
Merci de prier que SA LUMIERE nous donne la VIE!
 
Merci encore a vous tous,
Francois Philippe.

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Benedictus et Pax+

Heureux de vous retrouver tous les 31 sur la liste  !

Cette semaine après les "envolées" du Week-end nous nous consacrerons à l'humilité en expliquant son importance, ses dangers auprès de deux guides le Père Louf et Isaac le Syrien...
mais bien entendu c'est dans la pratique que nous nous devons de la mettre en oeuvre ( un travail de toute une vie !)

Bien sûr n'hésitez point à exprimer vos difficultés ou vos prières voire vos interrogations , la liste est faite pour cela
mais c'est bien sûr par la prière que cette semaine encore nous resterons en communion

Vous allez donc reçevoir avec ce message un texte du Père Louf et un Psaume pour votre méditation de ce début de semaine...et puis je vous écrirais de nouveau mercredi ou jeudi

A très bientôt donc, amis de Carême

fraternellement

frere francois+


Ce texte est une portion de l'interview du Père Louf par Stéphane Delberghe, il est extrait de " à la grâce de Dieu" paru aux éditions Fidélité


« Il s'est abaissé, c'est pourquoi il a été élevé. »
(Ph 2)

-Vous utilisez abondamment les mots pauvreté, humilité, vertus..., autant d'expressions qui paraissent aujourd'hui suspectes. En quoi sont-elles Bonne Nouvelle pour l'homme d'aujourd'hui?

- Peut-être déjà par le fait qu'elles « choquent », et ouvrent ainsi une brèche dans les systèmes de pensée ou modes d'agir qui semblent régir nos sociétés modernes.
 
Ne serait-ce pas une forme de prophétie que de mettre à l'honneur la dernière place, celle prônée par l'évangile, dans une société uniquement impressionnée par les réussites des « jeunes loups» en politique, ou des « golden boys » en économie ? 
Ces réussites, ne risquent-elles pas d'être tout simplement des courses folles aux honneurs et aux reconnaissances de tous ordres, qui conduisent rapidement à des impasses: mal-être, dépression, surcharge de travail, surcharge du poids des responsabilités, désespoir, non respect de l'autre ?

 N'est-il pas urgent de témoigner qu'une connaissance ajustée de soi est une condition nécessaire à cette fameuse « assertivité » (capacité de s'affirmer dans sa différence et dans le respect de l'autre), prônée par les psychologues d'Outre-Atlantique ?

En effet, cette capacité de s'affirmer n'est-elle pas trop souvent confondue avec le fait d'être un « loup pour l'homme » ? 
N'est-il pas utile de mettre en doute, par le témoignage d'une vie transfigurée, les propos des « maîtres du soupçon » qui tendent à impressionner les esprits?
 
Est-il aussi simple de dire avec Nietzsche que l'humilité est le grand mensonge des faibles qui transforment ainsi astucieusement leur lâcheté en apparente vertu?
Ou encore, avec Freud, que l'humilité est une variante masochiste du complexe de culpabilité?
Sans vouloir nier, par ailleurs, que ces deux penseurs nous ont valu quelques lumières dont l'expérience spirituelle peut tirer grand profit.

-
C'est vrai. Mais ne risque-t-on pas de tomber dans un débat d'idées stérile ?

- Vous pointez là vers quelque chose d'essentiel.
 Se limiter à un débat d'idées, c'est faire de l'humilité un concept, et oublier qu'il s'agit d'abord d'une expérience de vie très concrète et complexe. 

Ainsi, les propos de Freud et de Nietzsche disent quelque chose de vrai, au sens où ils dénoncent des dérives possibles, mais celles-ci sont loin d'épuiser l'expérience comme telle.
C'est donc plutôt leur prétention à dire le fond des choses qui est trompeuse. Nos mots sont toujours en deçà de la vie.
Or, depuis les origines du christianisme, une telle prétention s'est souvent glissée de manière insidieuse dans les témoignages concernant la foi, même si cela peut s'expliquer en partie par l'utilisation de catégories philosophiques, Ce recours à un vocabulaire abstrait, pour dire la foi, a eu pour grand avantage de rendre le message évangélique accessible à des cultures très différentes. On peut même dire qu'il a permis l'universalisation de la Bonne Nouvelle. Il n'en reste pas moins vrai qu'il présente un danger celui de prendre une distance telle avec l'expérience vécue que ce recours cesse d'être vivifiant et ne rend plus compte de la complexité de toute vie humaine.

Ainsi, en ce qui concerne l'humilité, on peut se demander si sa récupération par les théoriciens n'en a pas édulcoré la signification profonde..Si l'on se contente de disserter sur la foi chrétienne et les expériences de vie qu'elle propose sans y entrer soi-même de plain pied,
 « le christianisme risque alors, comme le notait déjà le Pseudo-Macaire dès le Vle siècle, de se laisser emporter peu à peu au-delà de ses limites, et de finir par avoir le même sens que l'athéisme ».

 Redoutable enjeu! Car les réalités de la foi, ajoute-t-il, « sont accomplies mystérieusement dans le coeur, par l'oeuvre de l'Esprit Saint, et c'est alors seulement qu'on peut en parler ».
Or, c'est précisément ce caractère fondamentalement « intérieur » de l'expérience chrétienne qu'une spiritualité devenue trop abstraite risque de trahir.

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L'humilité serait donc une vertu exclusivement chrétienne ?

- C'est ce que semble affirmer saint Augustin lorsqu'il refuse la connaissance profonde de l'humilité aux auteurs païens, qu'ils soient épicuriens, stoïciens ou platoniciens. Pour lui, même les meilleurs d'entre eux ont ignoré l'humilité, car « celle-ci vient d'ailleurs, écrit-il, de celui qui, étant le Très-Haut, a voulu s'abaisser pour nous ». Pour Augustin, l'humilité chrétienne appelle un abaissement auquel seul Dieu peut donner un sens, et dont lui seul aussi pouvait nous donner l'exemple dans son propre Fils. 
A ce titre, elle est véritablement une étape essentielle de toute expérience chrétienne, et lui est intimement liée. Il s'agit donc bien davantage d'un parcours existentiel, extrêmement concret, que d'une recherche intellectuelle ou d'une visée morale. Parler de l'humilité de Jésus, ce n'est pas d'abord faire le catalogue des qualités morales qui furent sûrement les siennes, mais c'est avant tout décrire un véritable parcours sauveur, dont la première étape a consisté en un abaissement inévitable. 

Dans ce sens, on ne rencontre pas la véritable humilité en dehors de la tradition chrétienne. C'est notre chemin de vie à la suite du Christ qui nous provoque par son exemple: en entrant dans son expérience, nous apprenons à devenir « doux et humble de coeur », et à goûter ainsi individuellement et collectivement au salut qu'il nous promet.

Vous parleriez donc davantage d'une manière d'être au monde?

- Si vous voulez. A ce propos, il est préférable de parler d'un état d'humilité, au sens originel de la parole grecque tapeinôsis, un état d'abaissement, ou du latin humilitas, qui vient de humus, sol: un état où l'on se retrouve réellement « au ras du sol ». 

Cette situation extérieure est pratiquement indispensable pour que la véritable humilité intérieure, celle qui conditionne la « vertu » d'humilité, puisse en naître. Encore faut-il bien comprendre ce terme de « vertu ». Celui-ci provient du mot latin virtus, qui signifie « force ». C'est dire qu'au coeur même de cette expérience d'abaissement, une force nouvelle peut se révéler qui a le pouvoir de changer une existence.

 Saint Bernard l'avait déjà noté: « Sans abaissement concret, il n'y a pas d'humilité! » Par ailleurs, nous savons tous que, en bon nombre de nos « abaissements » extérieurs, beaucoup de vanité réussit à se faufiler! 

C'est pourquoi Isaac le Syrien précise: « Même sans oeuvres, l'humilité obtient le pardon ( ... ), mais sans elle, les oeuvres ne sont d'aucun profit ( ... ) Ce que le sel est à la nourriture, l'humilité l'est aux vertus, mais sans elle, toutes nos oeuvres sont vaines, toute. vertu et toute ascèse. »
Isaac dit bien que l'humilité est le sel des vertus. Car si l'on tient absolument à lui reconnaître la qualité d'une vertu, encore faut-il en faire une vertu tout à fait à part. Saint Basile l'appelle d'ailleurs panaretos, la « toute vertueuse », une vertu que l'on pourrait appeler englobante, parce qu'elle contient toutes les autres.

Vous semblez dire ce que nous pressentons souvent au quotidien, qu'il y a lieu de distinguer vraie et fausse humilité.

-Les écrits des Anciens en témoignent déjà. « Croire que l'on n'est pas orgueilleux, disait saint Jean Climaque, est une des plus claires manifestations de l'orgueil. »
 Et on pourrait ajouter: croire qu'on est humble est sans doute une illusion pire encore!
 Ainsi, distinguant la fausse humilité de l'authentique, les Anciens s'exerçaient à discerner et à décrire, sans parvenir à les nommer, des structures psychologiques qui de tout temps sont entrées en conflit, non seulement avec la bonne volonté de tout homme, mais aussi avec la grâce qui travaille celle-ci de l'intérieur. 

Pour signifier cette ambiguïté fondamentale qui régit tout effort humain pour parvenir à l'humilité, et qui le transforme bon gré mal gré en terrain miné d'avance, saint jean Cassien utilise une image qui exprime bien ce qu'elle veut dire. «Les Anciens, écrit-il, ont joliment décrit la nature de ce mal, en le comparant à un oignon: quand on lui ôte la peau, on en trouve aussitôt une autre, et autant on en retire, autant on en retrouve. » C'est dire que le chemin qui nous conduit à notre pauvreté radicale, là où Dieu peut nous enfanter à sa vie, n'est jamais achevé.

- Mais comment alors les distinguer?

- Le même saint jean Cassien nous donne un conseil qui, passant par saint Paul, remonte au Livre des Proverbes: «Utiliser, sous le souffle de l'Esprit du Seigneur, le discernement, la discretio, comme un gouvernail pour suivre le chemin de la vertu avec une grande précaution, sachant que nous nous briserons aussitôt contre les rochers si nous dévions un tant soit peu à droite ou à gauche. »
Discerner, voilà bien le maître-mot de toute expérience spirituelle, à condition de s'en servir en se laissant guider par les motions de l'Esprit. Pour qui s'y exerce, une séparation nette entre l'humilité vraie, celle qui est évangélique et qui sauve, et l'humilité fausse qui est source inépuisable d'illusion, se dessine progressivement. Cette séparation est celle qui existe entre ce que l'on peut appeler « l'humilité-abaissement » (ou « l'humilité-humiliation »), en laquelle seule la grâce de l'Esprit peut nous entraîner, et « l'humilité-projet » ou « l'humilité vertu » (ce mot étant employé ici dans son sens paien), laquelle est encore principalement gérée par le surmoi, cette structure inconsciente qui est à l''oeuvre en chacun de nous.(...)

- La vie spirituelle est fondamentalement l'histoire d'une rencontre entre l'homme et Dieu. Or, rencontrer Dieu ne se fait pas sans mettre en oeuvre l'ensemble des instances psychiques qui sont constitutives de l'être humain, et parmi celles-ci, particulièrement le surmoi. 
Celui-ci se révèle à travers deux instances intérieures que j'appelle volontiers: le « gendarme » et le « miroir » intérieurs. 
Le « gendarme intérieur » représente la cristallisation des nombreux échos que les interventions répétées de l'autorité, sous toutes ses formes, ont laissés dans l'inconscient. Il est à la fois une chance et un risque. 
Une chance, au sens où il constitue une réserve d'interdits et de permissions enregistrés jadis, qui peuvent aider au discernement d'un agir efficace, et qui permettent de se rapprocher de ses véritables désirs pour les apprivoiser et les intégrer harmonieusement.
 Mais il implique aussi un risque, au sens où, pour peu que l'interdit ait prévalu de façon excessive, celui-ci peut étouffer toute capacité de désirer et conduire à une course à la perfection morale, dont on connaît les dérives. 
L'une des plus courantes sera la recherche obsessionnelle d'une perfection idéalisée, image on ne peut plus narcissique de soi-même, qui joue le rôle d'un « miroir », dans lequel on aime contempler ses vertus supposées.

 Chez les débutants, un tel miroir ne fonctionne qu'au niveau des impressions primaires. Bien vite cependant, il se met à sécréter un idéal de vie, un schéma de perfection, voire même une idéologie ou une philosophie. Une « spiritualité » aussi. « l'idéal » de vie chrétienne n'échappe pas à cette subtile ambiguïté. Il est important de la reconnaître, mais plus encore de la surprendre en soi, comme « en flagrant délit », pour éviter de réduire une vocation ou un parcours spirituel à la contemplation de ce miroir narcissique où chacun admire ce qu'il souhaiterait être, au risque, comme Narcisse, de s'y noyer. L'humilité qui est appelée ici «humilité-projet» n'est qu'un produit de ce miroir. Le débutant risque tout simplement de s'y perdre, victime de ses propres rêves de perfection et de toute-puissance.

- Mais ne passons-nous pas tous par une telle expérience ?

- Probablement. Et ce n'est pas sans intérêt, puisqu'un tel « idéal » d'humilité laisse quelques traces en nous qui peuvent nous conduire progressivement sur le bon chemin. Cependant aussi longtemps que le coeur n'est pas devenu sensible à l'action de l'Esprit Saint, l'idéal souffre d'une incorrigible connivence avec cette force narcissique, sournoise et tyrannique, qui s'infiltre dans les efforts les plus généreux et les pervertit de l'intérieur. Cassien la range sans hésitation parmi les agissements pernicieux de la vaine gloire dont il est si difficile, voire impossible, de se libérer.

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L'humilité vraie serait donc un don de l'Esprit?

- Oui. Mais elle n'est généralement accordée, comme il a été dit plus haut, qu'au coeur de la tentation. Car c'est là que le croyant éprouve l'absolue nécessité de l'aide de Dieu. 
C'est au coeur d'une telle crise que va naître, comme don de l'Esprit, la véritable humilité. 
Celle-ci est à la fois le sentiment éprouvé de notre faiblesse et l'expérience du secours de Dieu. « Apprenons donc, nous aussi, écrit saint jean Cassien, à ressentir en chaque action à la fois notre faiblesse et le secours de Dieu, et à.proclamer quotidiennement avec les saints: « On m'a poussé pour me faire tomber, mais le Seigneur m'a soutenu; ma force et ma louange, c'est le Seigneur: il fut pour moi le salut » (Ps 117, 13-14). Mais quelle est alors la part de l'homme dans ce combat au coeur de la tentation? me direz vous. Elle se réduit, explique Cassien, à « suivre à la trace, humblement et chaque jour, la grâce de Dieu qui nous attire ».
 Et il précisera un peu plus loin le sens de l'adverbe « humblement », en ayant recours au repentir de David.
 Sa part à lui fut de reconnaître son péché, après avoir été humilié; et celle de Dieu fut alors le pardon. 
Ces deux mouvements qui se conjuguent et se rencontrent dans la même expérience sont essentiels, car la tentation la plus perfide n'est peut-être pas celle qui précède le péché, mais bien plutôt celle qui lui fait suite: la tentation du découragement et du désespoir, auxquels seule l'humilité, enfin apprise, permettra d'échapper. En effet, un des signes les plus sûrs de l'humilité est la confiance inébranlable dans la miséricorde de Dieu dont les pécheurs que nous sommes tous pressentent quelque lueur jusqu'à travers leurs chutes. 

Car ce jeu divin, où s'affrontent la tentation et la grâce, est un jeu d'amour. Loin d'être un bourreau, Dieu s'y révèle un éducateur infiniment aimant et patient, doux et humble de coeur, qui cherche à nous façonner à son image. Peut-être est-ce encore saint jean Cassien qui nous en a tracé la plus touchante image? Dans l'histoire de nos tentations, il voit l'expression de la délicatesse de Dieu qu'il ose comparer au tendre jeu qui s'instaure entre une mère et son petit enfant, dont le but est de faire grandir celui-ci: « [La mère] porte longtemps son bébé dans les bras, écrit Cassien, jusqu'à ce qu'enfin elle lui apprenne à marcher. D'abord, elle le laisse ramper. Puis, elle le dresse et le soutient de la main droite, pour qu'il apprenne à poser les pieds l'un devant l'autre. Bientôt, elle l'abandonne un instant; mais le voit-elle chanceler, vite elle le prend, soutient ses pas hésitants, le relève s'il est tombé, ou bien le retient dans sa chute, ou bien, au contraire, le laisse tomber doucement, pour le relever ensuite. » C'est de la sorte, conclut Cassien, que le Père céleste agit avec chacun de nous. Il sait mieux que nous « qui il doit porter sur les genoux de sa grâce - in sinu gratiae suae -, qui il doit mettre à l'épreuve sous son regard, en le laissant maître de sa liberté, en l'aidant dans ses labeurs, en l'exauçant quand il appelle, en ne l'abandonnant pas lorsqu'il le cherche, et en le retirant parfois du danger sans qu'il s'en aperçoive ».

-Mais quels sont les signes d'une telle humilité?

- L'humilité ne se laisse pas mesurer à l'aune de nos critères moraux habituels, elle est d'un tout autre ordre. On ne peut la réduire à l'estime plus ou moins grande, plus ou moins tempérée, que l'homme se porte à lui-même, comme l'ont imaginé les philosophes grecs, auxquels une certaine morale scolastique doit beaucoup. 
En fait, elle transcende le domaine des qualités et des vertus car elle s'identifie avec l'être nouveau, né de la grâce du baptême, qui porte enfin tout son fruit. 
Un tel homme se sait faible et pécheur, mais il a fini par détourner les yeux de sa misère, pour ne plus contempler que la miséricorde de Dieu. 
Le brisement de son coeur, la contrition, s'est insensiblement transformée en joie humble et paisible, en amour et en action de grâce. 

Ainsi, de cette ascèse de pauvreté - patientia pauperum - se lève chaque jour un homme nouveau. Il est tout entier paix, joie, bienveillance, douceur. Il reste à jamais -marqué par le repentir, mais un repentir plein de joie et d'amour qui affleure partout et toujours, et demeure à l'arrière-plan de sa recherche de Dieu. 
Un tel homme a désormais atteint une paix profonde, car il fut brisé et reconstruit dans son être tout entier, par pure grâce. 
Pour ses frères et ses proches, il est devenu un ami si bienveillant et si doux. Il comprend leurs faiblesses. Il n'a plus confiance en lui-même, mais en Dieu seul. C'est pourquoi il est pauvre aussi, vraiment pauvre - un « pauvre en esprit » - et proche de tous les pauvres et, de toutes les formes de pauvreté, spirituelle et corporelle.
 C'est pourquoi aussi il sait frayer, tel un égal et un frère, avec tous les pécheurs du monde. Il se sent proche d'eux, car il ne se sent pas meilleur que les autres.
 Comme y insiste si souvent Isaac le Syrien, avec tous les auteurs de la Tradition spirituelle syriaque, il a un égal amour pour les justes et pour les pécheurs. Il ne fait même plus aucune différence entre eux, à l'image de Dieu qui fait pleuvoir également sur les justes et sur les pécheurs (Mt 5, 45). 
D'ailleurs, sa prière préférée est désormais celle du publicain, devenue comme sa respiration, et comme le battement du coeur du monde, son désir le plus profond de salut et de guérison, pour lui-même et pour tous les hommes: « Seigneur Jésus, prends pitié de nous, pécheurs! »

En guise de conclusion, permettez-moi de citer, en le commentant rapidement, un apophtegme qui illustre bien la façon dont les anciens moines opéraient un parfait discernement entre une humilité contrefaite ou une fausse culpabilité, produits d'instances psychologiques qu'ils ne savaient pas encore nommer, et le repentir vrai, fruit indubitable de la grâce. Voici d'abord l'apophtegme.
"Un frère habitait dans le désert des solitudes et sa prière était toujours la suivante: « Seigneur, je n'ai pas ta crainte, mais envoie-moi la foudre, ou une autre calamité, ou une maladie, ou un démon, afin qu'au moins ainsi mon âme insensible vienne à te craindre. » Et il priait aussi Dieu, en disant: « Maître, s'il est possible, dans ta miséricorde, pardonne-moi, et si cela n'est pas possible, châtie-moi, ici-bas, Maître, mais pas là-bas. » Il persévérait ainsi tout le temps à gémir. Un jour qu'il était assis à terre, et qu'il était à bout, sous le coup du découragement, il s'endormit. Et voici que le Christ se présenta à lui et lui dit sur un ton et avec un air joyeux: « Qu'as-tu, frère ? Pourquoi pleures-tu ainsi ? » Il lui dit: « Parce que je suis tombé, Seigneur. » L'apparition lui dit: « Eh bien! lève-toi! » Lui qui gisait répondit: «je ne le puis si tu ne me donnes la main. » Et lui tendant la main, le Seigneur le releva et lui dit toujours gaiement: «Pourquoi pleures-tu, frère, et pourquoi es-tu dans la peine ? » Le frère: « N'acceptes-tu pas, Seigneur, que je sois dans la peine, alors que je t'ai donné tant de peine ? » Puis l'apparition étendit la main, et plaça sa paume sur la tête. Le frère finalement la saisit et l'apparition lui dit: « Ne t'afflige pas. Dieu vient à ton secours: désormais, puisque tu as été dans la peine, je ne serai plus dans la peine contre toi; car si à cause de toi j'ai donné mon sang, combien plus donnerai-je ma miséricorde à toute âme qui se repent. » Et revenant à soi, le frère trouva son coeur rempli de joie.
Le sens de cet apophtegme est assez transparent, malgré son aspect de prime abord un peu confus.

Ne nous laissons pas induire en erreur par les deux formules de prière qui ouvrent l'apophtegme. Il s'agit de « mauvaises » prières. Elles sont seulement l'écho du surmoi et du découragement que celui-ci inspire.
 Par la première, le moine tenté voudrait obtenir de craindre Dieu. Il demande donc à Dieu de lui faire peur, espérant que la peur lui donnera de se comporter de façon plus vertueuse. 
La seconde est tout aussi mal inspirée: la justice de Dieu étant ce,.qu'elle est, pense le frère, mieux vaut recevoir le salaire de ses fautes dans la vie présente que dans l'au-delà.
 Ces deux prières sont adressées non pas à Dieu, mais à la source du sentiment de culpabilité qui torture le frère en question: le gendarme intérieur qui à la fois inspire de telles prières et se hâte de les exaucer. A l'Esprit Saint elles ne doivent rien, car d'amour ou de miséricorde il n'est question dans aucune des deux. 
D'ailleurs, accablé et découragé par une prière aussi culpabilisante, voici que le frère s'est endormi. Un songe, dans lequel Jésus en personne le visite, lui révèle alors qu'il est un racheté de l'amour, et non pas un possédé par le démon de sa quasi-insolvabilité.
A l'inverse du gendarme, le Maître intérieur, Jésus, et lui seul, ne condamne ni ne châtie. Au contraire, il relève le pécheur, le caresse et le console, au coeur même de son humiliation.
Et voilà que le vrai repentir - merveille éminemment évangélique - inonde de joie le pécheur pardonné. Merveilleux exemple de discernement spirituel, d'une étonnante justesse, qui a déjà su identifier, sans pouvoir la nommer, cette instance intérieure que la psychologie, bien plus tard, appellera le «surmoi», et dont depuis toujours le Malin ne sait que trop bien se servir, afin d'éviter que la grâce ne vienne la transformer à l'image de Celui qui, infini dans sa miséricorde, confirme tout homme dans son amour, et trouve sa plus grande joie en pardonnant.
(...)


Psaume 68 ( portion)

Sauve-moi, mon Dieu
Les eaux montent jusqu'à ma gorge
J'enfonce dans la vase du gouffre
rien qui me retienne
Je descends dans l'abîme des eaux
le flot m'engloutit

Je m'épuise à crier ,ma gorge brûle
Mes yeux sont usés d'attendre mon Dieu

Plus abondants que les cheveux de ma tête
ceux qui m'en veulent sans raison
ils sont nombreux mes détracteurs
à me haïr injustement
Moi qui n'ai rien volé
que devrai-je rendre ?

Dieu , Tu connais ma folie
mes fautes sont à nu devant Toi
Qu'ils n'aient pas honte pour moi, ceux qui T'espèrent
Seigneur, Dieu de l'Univers
qu'ils ne rougissent pas de moi ceux qui Te cherchent
Dieu d'Israël

C'est pour Toi que j'endure l'insulte
que la honte me couvre le visage
je suis un étranger pour mes frères
un inconnu pour les fils de ma mère
L' amour de Ta Maison m'a perdu
On T'insulte et l'insulte retombe sur moi !
Si je pleure et m'impose un jeûne
je reçois des insultes
si je revêts un habit de pénitence
je deviens la fable des gens
on parle de moi sur les places
les buveurs de vin me chansonnent

Et moi, je te prie, Seigneur
c'est l'heure de Ta Grâce
dans Ton grand Amour, Dieu, réponds-moi
par Ta vérité, sauve-moi !
Tire-moi de la boue, sinon je m'enfonce
que j'échappe à ceux qui me haïssent
à l'abîme des eaux !
Que les flots ne me submergent pas
que le gouffre ne m'avale !
que le gueule du puits
ne se ferme pas sur moi !
+
Réponds-moi, Seigneur !
Car il est bon Ton Amour
dans Ta grande Tendresse
regarde-moi !
Ne cache pas Ton Visage à Ton serviteur
je suffoque: vite, réponds-moi !
Sois proche de moi, rachète-moi
paie ma rançon à l'ennemi
(...)

SUITE