Benedictus
et Pax+
Dix
jours déjà que nous sommes sur le chemin...
Par le Silence, par la prière vraie, par toutes les difficultés rencontrées
que dans la prière commune nous portons mutuellement les uns et les
autres nous parvenons à l'Intériorité de la foi et au Mystère
C'est sur deux textes l'un du Père Leloup sur une prière très simple et très
vraie...celle des grands mystiques , l'autre du Père Le Saux sur le Mystère
devant laquelle débouche toute prière que je vous laisserai ce Week-End (
il sont difficiles aussi si c'est trop pour vous n'insistez point ...et prenez
ou reprenez des textes plus simples )ou bien sûr un Psaume
Tous cela vous le reçevrez par pli séparé
Durant la semaine prochaine ( 2ème Semaine de Carême) nous parlerons de
l'humilité et de la nécessaire acceptation
D'ores et déjà et en union de prière spécialement durant tout ce Carême
Bien fraternellement
frere francois+
____________________________________________________________________________
Ce que nous appelons « terre d'exil »
est souvent « terre promise » à laquelle manque notre attention.
S'il faut revenir quelque part,
revenir à ce qui est,
il n'y a pas d'autre chemin
que l'attention,
que celle-ci soit sensible,
affective, intellectuelle ou spirituelle...
« Les biens les plus précieux
ne doivent pas être cherchés mais attendus »
c'est de la qualité de notre attente
ou encore de notre désir
que naît la qualité de notre attention.
L'attention est alors
un autre nom pour l'Amour,
quand celui-ci ne se contente pas
d'émotions ou de bonnes volontés
mais devient l'exercice quotidien
d'une rencontre avec ce qui est,
avec ce que nous sommes.
A travers les labyrinthes de nos préoccupations,
il faudra garder un fil d'heureuse vigilance.
Sans cette vigilance
comment pourrions-nous reconnaître la présence Une
sous ses formes multiples et goûter la Saveur (Sapienza) ?
Comment pourrions-nous « prendre soin de l'Être »?
Pour qu'il y ait application, il faut sans doute un objet où
s'appliquer, ce qui est vrai de l'application sensible; de l'application
intellectuelle également lorsqu'il s'agit de méditer sur une idée, une image,
symboles ou concepts: objets de pensées;
de l'application affective encore lorsqu'il s'agit d'aimer ce qu'on appellera
justement le clair ou l'obscur « objet de notre désir ».
Mais qu'en est-il de l'Attention spirituelle?
Dieu serait-il un objet sur lequel nos sens, nos réflexions et nos affections
pourraient s'appliquer?
Pour les idolâtres sans doute qui feront de l'Être un Objet avec majuscule et
lui donneront différentes parures religieuses, symboliques ou conceptuelles.
Quant à ceux qui ne peuvent s'y résoudre,
il leur faudra trouver d'autres mots pour LE dire,
ils parleront de la Déité (Eckhart) ou de l'Ouvert (Rilke), c'est-à-dire du
Non-objet par excellence ou du Non-objectivable...
ce qui aura pour effet de maintenir leur attention non pas insatisfaite mais non
rassasiée,
bouche bée,
baiser silencieux à ce grand corps qui lui échappe.
Le Réel est ce qui manque à nos sens, à nos pensées,
à nos désirs.
Être attentif à ce Réel qui manque dans les réels qui se donnent à
voir, à penser et à aimer fait de l'attention l'oraison la plus simple, la
plus exigeante...
Si les murs du temple n'enferment pas le Souffle qu'on y respire, ils sont
beaux.
_______________________________________________________________________________________
Ce Texte du Père Le Saux est extrait de son journal intime publié sous le titre " La montée du fond du coeur" ( éditions O.E.I.L) et a été ecit en 1956
J
__________________________________________________________________________
Psaume 54
Mon Dieu, écoute ma prière
N'écarte pas ma demande
Exauce-moi, je t'en prie, réponds-moi !
Inquiet, je me plains
Je suis troublé par les cris de l'ennemi
et les injures des méchants
Ils me chargent de crimes
pleins de rage, ils m'accusent
Mon coeur se tord en moi
la peur de la mort tombe sur moi
crainte et tremblement me pénètrent
un frisson me saisit
Alors, j'ai dit: "Qui me donnera des ailes de colombe ?
Je volerais en lieu sûr
loin, très loin je m'enfuirais
pour chercher asile au désert"
J'ai hâte d'avoir un abri
contre ce grand vent de tempête !
Divise-les, Seigneur
Mets la confusion dans leur langage !
Car je vois dans la ville
discorde et violence
de jour et de nuit, elles tournent
en haut de ses remparts
Au-dedans, crime et malheurs
au dedans, c'est la ruine
Fraude et brutalité
ne quittent plus ses rues
Si l'insulte me venait d'un ennemi
je pourrais l'endurer
Si mon rival s'élevait contre moi
je pourrai me dérober
Mais, toi, un homme de mon rang
mon familier, mon intime !
Que notre entente était bonne
quand nous allions d'un même pas
dans la maison de Dieu !
Que la mort les surprenne
qu'ils descendent vivants dans l'abîme !
Car le mal habite leurs demeures
il est au milieu d'eux
Pour moi, je crie vers Dieu !
Le Seigneur me sauvera
Le soir, le matin et à midi
je me plains, je suis inquiet
Et Dieu a entendu ma voix
Il m'apporte la paix
Il me délivre dans le combat que je menais
ils étaient une foule autour de moi !
Que Dieu entende et qu'Il réponde !
Lui qui règne dès l'origine
A ceux-là qui ne changent pas
et ne craignent pas Dieu
Un traître a porté la main sur ses amis
profané son alliance
il montre un visage séduisant
mais son coeur fait la guerre
sa parole est plus suave qu'un parfum
mais elle est un poignard !
Décharge ton fardeau sur le Seigneur
Il prendra soin de toi
Jamais il ne permettra
que le juste s'écroule
Et Toi, Dieu, Tu les précipites au fond de la tombe
ces hommes qui tuent et qui mentent
Ils s'en iront dans la force de l'âge
moi, je m'appuie sur Toi !
+
________________________________________________________________
__________________________________________________________________________________________
________________________________________________________________________________________
Benedictus
et Pax+
Heureux
de vous retrouver tous les 31 sur la liste !
Cette semaine après les "envolées" du Week-end nous nous
consacrerons à l'humilité en expliquant son importance, ses dangers auprès
de deux guides le Père Louf et Isaac le Syrien...
mais bien entendu c'est dans la pratique que nous nous devons de la mettre en
oeuvre ( un travail de toute une vie !)
Bien sûr n'hésitez point à exprimer vos difficultés ou vos prières voire
vos interrogations , la liste est faite pour cela
mais c'est bien sûr par la prière que cette semaine encore nous resterons en
communion
Vous allez donc reçevoir avec ce message un texte du Père Louf et un Psaume
pour votre méditation de ce début de semaine...et puis je vous écrirais de
nouveau mercredi ou jeudi
A très bientôt donc, amis de Carême
fraternellement
frere francois+
Ce
texte est une portion de l'interview du Père Louf par Stéphane Delberghe, il
est extrait de " à la grâce de Dieu" paru aux éditions Fidélité
« Il s'est abaissé, c'est pourquoi il a été élevé. »
(Ph 2)
-Vous
utilisez abondamment les mots pauvreté, humilité, vertus..., autant
d'expressions qui paraissent aujourd'hui suspectes. En quoi sont-elles Bonne
Nouvelle pour l'homme d'aujourd'hui?
- Peut-être déjà par le fait qu'elles « choquent », et ouvrent ainsi une
brèche dans les systèmes de pensée ou modes d'agir qui semblent régir nos
sociétés modernes.
Ne serait-ce pas une forme de prophétie que de mettre à l'honneur la dernière
place, celle prônée par l'évangile, dans une société uniquement
impressionnée par les réussites des « jeunes loups» en politique, ou des
« golden boys » en économie ?
Ces réussites, ne risquent-elles pas d'être tout simplement des courses
folles aux honneurs et aux reconnaissances de tous ordres, qui conduisent
rapidement à des impasses: mal-être, dépression, surcharge de travail,
surcharge du poids des responsabilités, désespoir, non respect de l'autre ?
N'est-il pas urgent de témoigner qu'une connaissance ajustée de soi
est une condition nécessaire à cette fameuse « assertivité » (capacité
de s'affirmer dans sa différence et dans le respect de l'autre), prônée par
les psychologues d'Outre-Atlantique ?
En effet, cette capacité de s'affirmer n'est-elle pas trop souvent confondue
avec le fait d'être un « loup pour l'homme » ?
N'est-il pas utile de mettre en doute, par le témoignage d'une vie transfigurée,
les propos des « maîtres du soupçon » qui tendent à impressionner les
esprits?
Est-il aussi simple de dire avec Nietzsche que l'humilité est le grand
mensonge des faibles qui transforment ainsi astucieusement leur lâcheté en
apparente vertu?
Ou encore, avec Freud, que l'humilité est une variante masochiste du complexe
de culpabilité?
Sans vouloir nier, par ailleurs, que ces deux penseurs nous ont valu quelques
lumières dont l'expérience spirituelle peut tirer grand profit.
-
C'est vrai. Mais ne risque-t-on pas de tomber dans un débat d'idées stérile
?
- Vous pointez là vers quelque chose d'essentiel.
Se limiter à un débat d'idées, c'est faire de l'humilité un concept,
et oublier qu'il s'agit d'abord d'une expérience de vie très concrète et
complexe.
Ainsi, les propos de Freud et de Nietzsche disent quelque chose de vrai, au
sens où ils dénoncent des dérives possibles, mais celles-ci sont loin d'épuiser
l'expérience comme telle.
C'est donc plutôt leur prétention à dire le fond des choses qui est
trompeuse. Nos mots sont toujours en deçà de la vie.
Or, depuis les origines du christianisme, une telle prétention s'est souvent
glissée de manière insidieuse dans les témoignages concernant la foi, même
si cela peut s'expliquer en partie par l'utilisation de catégories
philosophiques, Ce recours à un vocabulaire abstrait, pour dire la foi, a eu
pour grand avantage de rendre le message évangélique accessible à des
cultures très différentes. On peut même dire qu'il a permis
l'universalisation de la Bonne Nouvelle. Il n'en reste pas moins vrai qu'il présente
un danger celui de prendre une distance telle avec l'expérience vécue que ce
recours cesse d'être vivifiant et ne rend plus compte de la complexité de
toute vie humaine.
Ainsi, en ce qui concerne l'humilité, on peut se demander si sa récupération
par les théoriciens n'en a pas édulcoré la signification profonde..Si l'on
se contente de disserter sur la foi chrétienne et les expériences de vie
qu'elle propose sans y entrer soi-même de plain pied,
« le christianisme risque alors, comme le notait déjà le
Pseudo-Macaire dès le Vle siècle, de se laisser emporter peu à peu au-delà
de ses limites, et de finir par avoir le même sens que l'athéisme ».
Redoutable enjeu! Car les réalités de la foi, ajoute-t-il, « sont
accomplies mystérieusement dans le coeur, par l'oeuvre de l'Esprit Saint, et
c'est alors seulement qu'on peut en parler ».
Or, c'est précisément ce caractère fondamentalement « intérieur » de
l'expérience chrétienne qu'une spiritualité devenue trop abstraite risque
de trahir.
-
L'humilité serait donc une vertu exclusivement chrétienne ?
- C'est ce que semble affirmer saint Augustin lorsqu'il refuse la connaissance
profonde de l'humilité aux auteurs païens, qu'ils soient épicuriens, stoïciens
ou platoniciens. Pour lui, même les meilleurs d'entre eux ont ignoré
l'humilité, car « celle-ci vient d'ailleurs, écrit-il, de celui qui, étant
le Très-Haut, a voulu s'abaisser pour nous ». Pour Augustin, l'humilité chrétienne
appelle un abaissement auquel seul Dieu peut donner un sens, et dont lui seul
aussi pouvait nous donner l'exemple dans son propre Fils.
A ce titre, elle est véritablement une étape essentielle de toute expérience
chrétienne, et lui est intimement liée. Il s'agit donc bien davantage d'un
parcours existentiel, extrêmement concret, que d'une recherche intellectuelle
ou d'une visée morale. Parler de l'humilité de Jésus, ce n'est pas d'abord
faire le catalogue des qualités morales qui furent sûrement les siennes,
mais c'est avant tout décrire un véritable parcours sauveur, dont la première
étape a consisté en un abaissement inévitable.
Dans ce sens, on ne rencontre pas la véritable humilité en dehors de la
tradition chrétienne. C'est notre chemin de vie à la suite du Christ qui
nous provoque par son exemple: en entrant dans son expérience, nous apprenons
à devenir « doux et humble de coeur », et à goûter ainsi individuellement
et collectivement au salut qu'il nous promet.
Vous
parleriez donc davantage d'une manière d'être au monde?
- Si vous voulez. A ce propos, il est préférable de parler d'un état
d'humilité, au sens originel de la parole grecque tapeinôsis, un état
d'abaissement, ou du latin humilitas, qui vient de humus, sol: un état où
l'on se retrouve réellement « au ras du sol ».
Cette situation extérieure est pratiquement indispensable pour que la véritable
humilité intérieure, celle qui conditionne la « vertu » d'humilité,
puisse en naître. Encore faut-il bien comprendre ce terme de « vertu ».
Celui-ci provient du mot latin virtus, qui signifie « force ». C'est dire
qu'au coeur même de cette expérience d'abaissement, une force nouvelle peut
se révéler qui a le pouvoir de changer une existence.
Saint Bernard l'avait déjà noté: « Sans abaissement concret, il n'y
a pas d'humilité! » Par ailleurs, nous savons tous que, en bon nombre de nos
« abaissements » extérieurs, beaucoup de vanité réussit à se faufiler!
C'est pourquoi Isaac le Syrien précise: « Même sans oeuvres, l'humilité
obtient le pardon ( ... ), mais sans elle, les oeuvres ne sont d'aucun profit
( ... ) Ce que le sel est à la nourriture, l'humilité l'est aux vertus, mais
sans elle, toutes nos oeuvres sont vaines, toute. vertu et toute ascèse. »
Isaac dit bien que l'humilité est le sel des vertus. Car si l'on tient
absolument à lui reconnaître la qualité d'une vertu, encore faut-il en
faire une vertu tout à fait à part. Saint Basile l'appelle d'ailleurs
panaretos, la « toute vertueuse », une vertu que l'on pourrait appeler
englobante, parce qu'elle contient toutes les autres.
Vous
semblez dire ce que nous pressentons souvent au quotidien, qu'il y a lieu de
distinguer vraie et fausse humilité.
-Les écrits des Anciens en témoignent déjà. « Croire que l'on n'est pas
orgueilleux, disait saint Jean Climaque, est une des plus claires
manifestations de l'orgueil. »
Et on pourrait ajouter: croire qu'on est humble est sans doute une
illusion pire encore!
Ainsi, distinguant la fausse humilité de l'authentique, les Anciens
s'exerçaient à discerner et à décrire, sans parvenir à les nommer, des
structures psychologiques qui de tout temps sont entrées en conflit, non
seulement avec la bonne volonté de tout homme, mais aussi avec la grâce qui
travaille celle-ci de l'intérieur.
Pour signifier cette ambiguïté fondamentale qui régit tout effort humain
pour parvenir à l'humilité, et qui le transforme bon gré mal gré en
terrain miné d'avance, saint jean Cassien utilise une image qui exprime bien
ce qu'elle veut dire. «Les Anciens, écrit-il, ont joliment décrit la nature
de ce mal, en le comparant à un oignon: quand on lui ôte la peau, on en
trouve aussitôt une autre, et autant on en retire, autant on en retrouve. »
C'est dire que le chemin qui nous conduit à notre pauvreté radicale, là où
Dieu peut nous enfanter à sa vie, n'est jamais achevé.
-
Mais comment alors les distinguer?
- Le même saint jean Cassien nous donne un conseil qui, passant par saint
Paul, remonte au Livre des Proverbes: «Utiliser, sous le souffle de l'Esprit
du Seigneur, le discernement, la discretio, comme un gouvernail pour suivre le
chemin de la vertu avec une grande précaution, sachant que nous nous
briserons aussitôt contre les rochers si nous dévions un tant soit peu à
droite ou à gauche. »
Discerner, voilà bien le maître-mot de toute expérience spirituelle, à
condition de s'en servir en se laissant guider par les motions de l'Esprit.
Pour qui s'y exerce, une séparation nette entre l'humilité vraie, celle qui
est évangélique et qui sauve, et l'humilité fausse qui est source inépuisable
d'illusion, se dessine progressivement. Cette séparation est celle qui existe
entre ce que l'on peut appeler « l'humilité-abaissement » (ou « l'humilité-humiliation
»), en laquelle seule la grâce de l'Esprit peut nous entraîner, et « l'humilité-projet
» ou « l'humilité vertu » (ce mot étant employé ici dans son sens paien),
laquelle est encore principalement gérée par le surmoi, cette structure
inconsciente qui est à l''oeuvre en chacun de nous.(...)
- La vie spirituelle est fondamentalement l'histoire d'une rencontre entre
l'homme et Dieu. Or, rencontrer Dieu ne se fait pas sans mettre en oeuvre
l'ensemble des instances psychiques qui sont constitutives de l'être humain,
et parmi celles-ci, particulièrement le surmoi.
Celui-ci se révèle à travers deux instances intérieures que j'appelle
volontiers: le « gendarme » et le « miroir » intérieurs.
Le « gendarme intérieur » représente la cristallisation des nombreux échos
que les interventions répétées de l'autorité, sous toutes ses formes, ont
laissés dans l'inconscient. Il est à la fois une chance et un risque.
Une chance, au sens où il constitue une réserve d'interdits et de
permissions enregistrés jadis, qui peuvent aider au discernement d'un agir
efficace, et qui permettent de se rapprocher de ses véritables désirs pour
les apprivoiser et les intégrer harmonieusement.
Mais il implique aussi un risque, au sens où, pour peu que l'interdit
ait prévalu de façon excessive, celui-ci peut étouffer toute capacité de désirer
et conduire à une course à la perfection morale, dont on connaît les dérives.
L'une des plus courantes sera la recherche obsessionnelle d'une perfection idéalisée,
image on ne peut plus narcissique de soi-même, qui joue le rôle d'un «
miroir », dans lequel on aime contempler ses vertus supposées.
Chez les débutants, un tel miroir ne fonctionne qu'au niveau des
impressions primaires. Bien vite cependant, il se met à sécréter un idéal
de vie, un schéma de perfection, voire même une idéologie ou une
philosophie. Une « spiritualité » aussi. « l'idéal » de vie chrétienne
n'échappe pas à cette subtile ambiguïté. Il est important de la reconnaître,
mais plus encore de la surprendre en soi, comme « en flagrant délit », pour
éviter de réduire une vocation ou un parcours spirituel à la contemplation
de ce miroir narcissique où chacun admire ce qu'il souhaiterait être, au
risque, comme Narcisse, de s'y noyer. L'humilité qui est appelée ici «humilité-projet»
n'est qu'un produit de ce miroir. Le débutant risque tout simplement de s'y
perdre, victime de ses propres rêves de perfection et de toute-puissance.
-
Mais ne passons-nous pas tous par une telle expérience ?
- Probablement. Et ce n'est pas sans intérêt, puisqu'un tel « idéal »
d'humilité laisse quelques traces en nous qui peuvent nous conduire
progressivement sur le bon chemin. Cependant aussi longtemps que le coeur
n'est pas devenu sensible à l'action de l'Esprit Saint, l'idéal souffre
d'une incorrigible connivence avec cette force narcissique, sournoise et
tyrannique, qui s'infiltre dans les efforts les plus généreux et les
pervertit de l'intérieur. Cassien la range sans hésitation parmi les
agissements pernicieux de la vaine gloire dont il est si difficile, voire
impossible, de se libérer.
-
L'humilité vraie serait donc un don de l'Esprit?
- Oui. Mais elle n'est généralement accordée, comme il a été dit plus
haut, qu'au coeur de la tentation. Car c'est là que le croyant éprouve
l'absolue nécessité de l'aide de Dieu.
C'est au coeur d'une telle crise que va naître, comme don de l'Esprit, la véritable
humilité.
Celle-ci est à la fois le sentiment éprouvé de notre faiblesse et l'expérience
du secours de Dieu. « Apprenons donc, nous aussi, écrit saint jean
Cassien, à ressentir en chaque action à la fois notre faiblesse et le
secours de Dieu, et à.proclamer quotidiennement avec les saints: « On m'a
poussé pour me faire tomber, mais le Seigneur m'a soutenu; ma force et ma
louange, c'est le Seigneur: il fut pour moi le salut » (Ps 117, 13-14). Mais
quelle est alors la part de l'homme dans ce combat au coeur de la tentation?
me direz vous. Elle se réduit, explique Cassien, à « suivre à la trace,
humblement et chaque jour, la grâce de Dieu qui nous attire ».
Et il précisera un peu plus loin le sens de l'adverbe « humblement »,
en ayant recours au repentir de David.
Sa part à lui fut de reconnaître son péché, après avoir été
humilié; et celle de Dieu fut alors le pardon.
Ces deux mouvements qui se conjuguent et se rencontrent dans la même expérience
sont essentiels, car la tentation la plus perfide n'est peut-être pas celle
qui précède le péché, mais bien plutôt celle qui lui fait suite: la
tentation du découragement et du désespoir, auxquels seule l'humilité,
enfin apprise, permettra d'échapper. En effet, un des signes les plus sûrs
de l'humilité est la confiance inébranlable dans la miséricorde de Dieu
dont les pécheurs que nous sommes tous pressentent quelque lueur jusqu'à
travers leurs chutes.
Car ce jeu divin, où s'affrontent la tentation et la grâce, est un jeu
d'amour. Loin d'être un bourreau, Dieu s'y révèle un éducateur infiniment
aimant et patient, doux et humble de coeur, qui cherche à nous façonner à
son image. Peut-être est-ce encore saint jean Cassien qui nous en a tracé la
plus touchante image? Dans l'histoire de nos tentations, il voit l'expression
de la délicatesse de Dieu qu'il ose comparer au tendre jeu qui s'instaure
entre une mère et son petit enfant, dont le but est de faire grandir
celui-ci: « [La mère] porte longtemps son bébé dans les bras, écrit
Cassien, jusqu'à ce qu'enfin elle lui apprenne à marcher. D'abord, elle le
laisse ramper. Puis, elle le dresse et le soutient de la main droite, pour
qu'il apprenne à poser les pieds l'un devant l'autre. Bientôt, elle
l'abandonne un instant; mais le voit-elle chanceler, vite elle le prend,
soutient ses pas hésitants, le relève s'il est tombé, ou bien le retient
dans sa chute, ou bien, au contraire, le laisse tomber doucement, pour le
relever ensuite. » C'est de la sorte, conclut Cassien, que le Père céleste
agit avec chacun de nous. Il sait mieux que nous « qui il doit porter sur les
genoux de sa grâce - in sinu gratiae suae -, qui il doit mettre à l'épreuve
sous son regard, en le laissant maître de sa liberté, en l'aidant dans ses
labeurs, en l'exauçant quand il appelle, en ne l'abandonnant pas lorsqu'il le
cherche, et en le retirant parfois du danger sans qu'il s'en aperçoive ».
-Mais
quels sont les signes d'une telle humilité?
- L'humilité ne se laisse pas mesurer à l'aune de nos critères moraux
habituels, elle est d'un tout autre ordre. On ne peut la réduire à l'estime
plus ou moins grande, plus ou moins tempérée, que l'homme se porte à lui-même,
comme l'ont imaginé les philosophes grecs, auxquels une certaine morale
scolastique doit beaucoup.
En fait, elle transcende le domaine des qualités et des vertus car elle
s'identifie avec l'être nouveau, né de la grâce du baptême, qui porte
enfin tout son fruit.
Un tel homme se sait faible et pécheur, mais il a fini par détourner les
yeux de sa misère, pour ne plus contempler que la miséricorde de Dieu.
Le brisement de son coeur, la contrition, s'est insensiblement transformée en
joie humble et paisible, en amour et en action de grâce.
Ainsi, de cette ascèse de pauvreté - patientia pauperum - se lève chaque
jour un homme nouveau. Il est tout entier paix, joie, bienveillance, douceur.
Il reste à jamais -marqué par le repentir, mais un repentir plein de joie et
d'amour qui affleure partout et toujours, et demeure à l'arrière-plan de sa
recherche de Dieu.
Un tel homme a désormais atteint une paix profonde, car il fut brisé et
reconstruit dans son être tout entier, par pure grâce.
Pour ses frères et ses proches, il est devenu un ami si bienveillant et si
doux. Il comprend leurs faiblesses. Il n'a plus confiance en lui-même, mais
en Dieu seul. C'est pourquoi il est pauvre aussi, vraiment pauvre - un «
pauvre en esprit » - et proche de tous les pauvres et, de toutes les formes
de pauvreté, spirituelle et corporelle.
C'est pourquoi aussi il sait frayer, tel un égal et un frère, avec
tous les pécheurs du monde. Il se sent proche d'eux, car il ne se sent pas
meilleur que les autres.
Comme y insiste si souvent Isaac le Syrien, avec tous les auteurs de la
Tradition spirituelle syriaque, il a un égal amour pour les justes et pour
les pécheurs. Il ne fait même plus aucune différence entre eux, à l'image
de Dieu qui fait pleuvoir également sur les justes et sur les pécheurs (Mt
5, 45).
D'ailleurs, sa prière préférée est désormais celle du publicain, devenue
comme sa respiration, et comme le battement du coeur du monde, son désir le
plus profond de salut et de guérison, pour lui-même et pour tous les hommes:
« Seigneur Jésus, prends pitié de nous, pécheurs! »
En guise de conclusion, permettez-moi de citer, en le commentant rapidement,
un apophtegme qui illustre bien la façon dont les anciens moines opéraient
un parfait discernement entre une humilité contrefaite ou une fausse
culpabilité, produits d'instances psychologiques qu'ils ne savaient pas
encore nommer, et le repentir vrai, fruit indubitable de la grâce. Voici
d'abord l'apophtegme.
"Un frère habitait dans le désert des solitudes et sa prière était
toujours la suivante: « Seigneur, je n'ai pas ta crainte, mais envoie-moi la
foudre, ou une autre calamité, ou une maladie, ou un démon, afin qu'au moins
ainsi mon âme insensible vienne à te craindre. » Et il priait aussi Dieu,
en disant: « Maître, s'il est possible, dans ta miséricorde, pardonne-moi,
et si cela n'est pas possible, châtie-moi, ici-bas, Maître, mais pas là-bas.
» Il persévérait ainsi tout le temps à gémir. Un jour qu'il était assis
à terre, et qu'il était à bout, sous le coup du découragement, il
s'endormit. Et voici que le Christ se présenta à lui et lui dit sur un ton
et avec un air joyeux: « Qu'as-tu, frère ? Pourquoi pleures-tu ainsi ? » Il
lui dit: « Parce que je suis tombé, Seigneur. » L'apparition lui dit: « Eh
bien! lève-toi! » Lui qui gisait répondit: «je ne le puis si tu ne me
donnes la main. » Et lui tendant la main, le Seigneur le releva et lui dit
toujours gaiement: «Pourquoi pleures-tu, frère, et pourquoi es-tu dans la
peine ? » Le frère: « N'acceptes-tu pas, Seigneur, que je sois dans la
peine, alors que je t'ai donné tant de peine ? » Puis l'apparition étendit
la main, et plaça sa paume sur la tête. Le frère finalement la saisit et
l'apparition lui dit: « Ne t'afflige pas. Dieu vient à ton secours: désormais,
puisque tu as été dans la peine, je ne serai plus dans la peine contre toi;
car si à cause de toi j'ai donné mon sang, combien plus donnerai-je ma miséricorde
à toute âme qui se repent. » Et revenant à soi, le frère trouva son coeur
rempli de joie.
Le sens de cet apophtegme est assez transparent, malgré son aspect de prime
abord un peu confus.
Ne nous laissons pas induire en erreur par les deux formules de prière qui
ouvrent l'apophtegme. Il s'agit de « mauvaises » prières. Elles sont
seulement l'écho du surmoi et du découragement que celui-ci inspire.
Par la première, le moine tenté voudrait obtenir de craindre Dieu. Il
demande donc à Dieu de lui faire peur, espérant que la peur lui donnera de
se comporter de façon plus vertueuse.
La seconde est tout aussi mal inspirée: la justice de Dieu étant ce,.qu'elle
est, pense le frère, mieux vaut recevoir le salaire de ses fautes dans la vie
présente que dans l'au-delà.
Ces deux prières sont adressées non pas à Dieu, mais à la source du
sentiment de culpabilité qui torture le frère en question: le gendarme intérieur
qui à la fois inspire de telles prières et se hâte de les exaucer. A
l'Esprit Saint elles ne doivent rien, car d'amour ou de miséricorde il n'est
question dans aucune des deux.
D'ailleurs, accablé et découragé par une prière aussi culpabilisante,
voici que le frère s'est endormi. Un songe, dans lequel Jésus en personne le
visite, lui révèle alors qu'il est un racheté de l'amour, et non pas un
possédé par le démon de sa quasi-insolvabilité.
A l'inverse du gendarme, le Maître intérieur, Jésus, et lui seul, ne
condamne ni ne châtie. Au contraire, il relève le pécheur, le caresse et le
console, au coeur même de son humiliation.
Et voilà que le vrai repentir - merveille éminemment évangélique - inonde
de joie le pécheur pardonné. Merveilleux exemple de discernement
spirituel, d'une étonnante justesse, qui a déjà su identifier, sans pouvoir
la nommer, cette instance intérieure que la psychologie, bien plus tard,
appellera le «surmoi», et dont depuis toujours le Malin ne sait que trop
bien se servir, afin d'éviter que la grâce ne vienne la transformer à
l'image de Celui qui, infini dans sa miséricorde, confirme tout homme dans
son amour, et trouve sa plus grande joie en pardonnant.
(...)
Psaume 68 ( portion)
Sauve-moi, mon Dieu
Les eaux montent jusqu'à ma gorge
J'enfonce dans la vase du gouffre
rien qui me retienne
Je descends dans l'abîme des eaux
le flot m'engloutit
Je m'épuise à crier ,ma gorge brûle
Mes yeux sont usés d'attendre mon Dieu
Plus abondants que les cheveux de ma tête
ceux qui m'en veulent sans raison
ils sont nombreux mes détracteurs
à me haïr injustement
Moi qui n'ai rien volé
que devrai-je rendre ?
Dieu , Tu connais ma folie
mes fautes sont à nu devant Toi
Qu'ils n'aient pas honte pour moi, ceux qui T'espèrent
Seigneur, Dieu de l'Univers
qu'ils ne rougissent pas de moi ceux qui Te cherchent
Dieu d'Israël
C'est pour Toi que j'endure l'insulte
que la honte me couvre le visage
je suis un étranger pour mes frères
un inconnu pour les fils de ma mère
L' amour de Ta Maison m'a perdu
On T'insulte et l'insulte retombe sur moi !
Si je pleure et m'impose un jeûne
je reçois des insultes
si je revêts un habit de pénitence
je deviens la fable des gens
on parle de moi sur les places
les buveurs de vin me chansonnent
Et moi, je te prie, Seigneur
c'est l'heure de Ta Grâce
dans Ton grand Amour, Dieu, réponds-moi
par Ta vérité, sauve-moi !
Tire-moi de la boue, sinon je m'enfonce
que j'échappe à ceux qui me haïssent
à l'abîme des eaux !
Que les flots ne me submergent pas
que le gouffre ne m'avale !
que le gueule du puits
ne se ferme pas sur moi !
+
Réponds-moi, Seigneur !
Car il est bon Ton Amour
dans Ta grande Tendresse
regarde-moi !
Ne cache pas Ton Visage à Ton serviteur
je suffoque: vite, réponds-moi !
Sois proche de moi, rachète-moi
paie ma rançon à l'ennemi
(...)