C'est ce message même d'întériorité que l'Inde a reçu de l'Esprit la mission de rappeler et de transmettre au monde. 
Ne point annoncer à l'homme des mythes nouveaux ou lui proposer de nouvelles explications théologiques de son être et de l'univers
 mais lui indiquer ce centre de soi-même, au-delà de tout mythe comme de toute théologie, 
lui faire découvrir non
« ce qu'il est mais d'abord qu'IL EST.

En ces temps de bouleversements culturels et religieux, le message d'intériorité de l'Inde est plus urgent que jamais. 
Les vie, mythes sont tous bousculés et tout autant les systèmes de pensée qui prétendirent en prendre la relève. 
Une atmosphère de relativisme généralisé a envahi les esprits ; 
l'homme a été arraché de bases traditionnelles et il ne sait plus où reprendre pied.
 C'est la crise tragique de la théologie en ces années précisément.
 Tant que l'homme et le croyant n'auront pas découvert ce centre de soi rebelle sans doute à toute formulation, la base même cependant de toute pensée, ils ne pourront qu'être indéfiniment ballottés emportés aux vagues et aux tourbillons successifs de l'histoire culturelle.


De par vocation même l'Église se trouve placée au confluent des grandes forces spirituelles qui mènent le monde, et de quel côté qu'elle se tourne elle est challengée.
 Héritière de la tradition chrétienne judéo-grecque, elle se trouve confrontée de nos jours d'un côté avec un humanisme qui lui reproche moins de minimiser directement la réalité du monde que d'enfermer son expérience dans un amas de mythes et de concepts qui l'égarent dans un autre monde - et d'un autre côté par l'expérience drastique de la meilleure tradition orientale, lui rappelant énergiquement que Dieu, le Soi, le Mystère demeurent à jamais au-delà de toute pensée toute formule, de toute loi que pourront proposer les hommes.

Elle se trouve ainsi à l'un des tournants les plus graves de histoire. 
Elle est sans doute plus apte que quiconque à diriger l' avenir spirituel de l'humanité en raison de sa tradition et de sa connaissance unique du coeur de l'homme. 
Encore est-il qu'il faut qu'elle assume cette mission d'intériorisation qui seule redonnera au monde cette base qui lui manque si cruellement. 
N'est-ce pas justement ce que cherche à lui rappeler l'Esprit en la mettant actuellement en contact avec la tradition de l'Inde ? Si elle manque ce tournant, ce sera plus tragique encore que si elle avait manqué le tournant grec qui la sauva de demeurer enfermée dans l'étroitesse du monde et de la pensée juive, quoi qu'il en soit du prix qu'elle paya par ailleurs.


L'Église de l'Inde est en train de prendre conscience, bien que fort lentement, de sa mission et de son devoir en ce contexte nouveau. 
Sans doute demeura-t-elle fort longtemps sur la réserve. 
L'Église arriva en Inde presque identifiée avec cette culture occidentale qu'elle jugeait seule valable. D'autre part elle semblait n'avoir lu dans la Bible que les pages où les soi-disant « païens » sont chargés de tous les crimes et sont tout juste bons à être voués à l'anathème ici-bas et à l'étang de soufre et de feu au jour de Yahweh. Elle ne pouvait imaginer que des perles quelconques pussent se rencontrer là où elle ne voyait qu'immondices. Quant à ceux ,qui rappelaient timidement que l'Esprit souffle partout et « atteint d'une extrémité à l'autre de l'univers » et lisaient d'un oeil ouvert et avec sympathie les textes sacrés de l'Inde ils étaient simplement suspects....
Le Concile vint et on commença à se réveiller. On se mit à étudier un peu plus sérieusement la philosophie indienne dans les séminaires, et non plus seulement pour la réfuter... Cependant l'évolution était encore fort lente. Si on étudiait maintenant la pensée de l'Inde avec attention et honnêteté, c'était toujours à partir de, et par rapport à la philosophie d'Occident et la théologie chrétienne occidentale. On étudiait les thèses des penseurs, on cherchait, et.. avec soin, les points de comparaison avec ce qu'on pensait et croyait soi-même ; on notait les divergences et on définissait les altérations que cette pensée devait subir pour devenir chrétienne. On y voyait au mieux une lointaine Preparatio evangelica, une espèce d'escabeau qui pourrait éventuellement aider l'esprit indien à la compréhension et à l'acceptation du « système » chrétien. Surtout on s'occupait de la pensée indienne selon les expressions de détail et sans se référer pratiquement à son intuition fondamentale, un peu comme si quelqu'un se mettait à disséquer les différents dogmes chrétiens en laissant à l'arrière plan la foi fondamentale en la résurrection du Seigneur.
Et cependant, moins peut-être que n'importe quelle autre pensée de l'histoire culturelle universelle, la pensée de l'Inde n'est elle compréhensible qu'en fonction de son intuition fondamentale. 
Or cette intuition fondamentale, l'Expérience est rebelle essentiellement à toute formulation conceptuelle. 
Tout essai de comparaison est faux, justement parce qu'il  réduit en noéma, en concept.
 Dans les scolasticats jésuites de l'Inde on fait maintenant des « essais» sur le Yoga et les Exercices, ou bien sur l'expérience du jnâni et la contemplatio ad amorem, etc... 
Cela sans doute a son utilité pour amener les non-initiés à prendre intérêt et à venir finalement s'abreuver à la source elle-même
 Pourtant, tant que, toutes amarres brisées, on ne se sera pas jeté à fond, on n'aura encore rien compris du Mystère de l'Inde ni du message que par elle l'Esprit fait entendre aux Églises.

Cela ne signifie pas pour autant que l'on ait à accepter les mythes et les formulations de la tradition hindoue. L'expérience dont témoigne cette tradition est au-delà de tout mythe et de tout concept. 
L'hindou le sait bien qui ne se sert de ses mythes que comme un tremplin pour atteindre à l'Expérience indéfinissable. 
Mais cette Expérience demande que l'on accepte de se laisser emporter au silence qui est au-delà de toute pensée, que l'âme soit forte et animée d'un unique désir, celui d'atteindre au Mystère final et non pas à quelque expression que ce soit de lui, mais à lui en soi, défiant toute expression, au-delà de tout.

Si cela parait absurde à un esprit occidental, qu'il demeure où il est... l'Inde continuera son chemin, et l'Esprit la gardera dépit des ironies qu'il lui prodiguera... 
Mais le chrétien qui a purifié sa foi en cette expérience du fond, sait bien qu'à nouveau tout lui est redonné, dans une Lumière incomparable et dans la liberté des enfants de Dieu.

Ce fut certainement un grand espoir de voir la place que donna le « Séminaire pastoral de toute l'Inde » à Bangalore 1969 au renouveau spirituel de l'Église de l'Inde. L'idée qui dirigea, tous les débats à ce sujet fut la nécessaire intériorisation de notre vie spirituelle, exigence évangélique déjà, mais rendue plus pressante par le contexte même où nous vivons au contact de la spiritualité hindoue. Sans doute quand on en arrive à ce que nous devrions emprunter de la tradition hindoue, peu acceptèrent , que les chrétiens eussent à recevoir d'ailleurs quoi que ce soit qu'ils possédassent pas encore ; mais tous furent d'accord pour reconnaître que l'exemple de l'Inde hindoue est pour le moins un pressant rappel en mémoire de certaines richesses de notre propre tradition insuffisamment mises en valeur. Et des résolutions
pratiques furent prises par le Séminaire en vue d'initier des cercles de plus en plus élargis à cette spiritualité intériorisante et contemplative.


La difficulté est le manque d'hommes qualifiés pour cette initiation. Trop longtemps en effet la spiritualité chrétienne s'est réduite à quelques pratiques d'ascèse et à de pieuses spéculations dénommées méditation. Pour qui fut formé longuement à ces méthodes, l'ouverture à l'oraison vraie et à la contemplation ne peut être que difficile. Pour ces mêmes personnes, le contact avec la tradition spirituelle de l'Inde, s'il demeure théoriquement possible, est en fait fort difficile, car, en plus des différences de langage et de pensée, il y a ce climat essentiellement contemplatif auquel la préparation susdite a souvent rendu les âmes presque imperméables.

Ce n'est pas tant d'instituts de vie contemplative dont l'Inde a besoin que de contemplatifs authentiques, d'âmes qui ont senti la brûlure intérieure et dont le regard en reste marqué pour la vie. 
Ces âmes, il y en a sans doute, çà et là, souvent inconnues de leur milieu même. 
Quand de telles âmes se « rencontrent » c'est une vraie joie, et ce sont celles-là seules d'ailleurs, qui sont capables de se « rencontrer » avec les contemplatifs du monde hindou, commençant ainsi avec eux, même en silence, le dialogue au niveau du fond - hors duquel tout dialogue même publié à grands frais ne sera jamais que bruit de cymbales.

C'est dans le coeur des contemplatifs chrétiens de l'Inde qu'est en train de naître en vérité l'Église de l'Inde ; dans ces âmes au fond desquelles s'est réalisé en l'Esprit l'osmose entre leur expérience d'être en le Fils unique, enfants du Père et celle, plus mystérieuse encore d'être en l'Esprit, en ineffable non-dualité avec le Père et le Fils.
Ce sont de ces charismatiques dont l'Eglise de l'Inde a indubitablement le plus besoin. 
Sans eux, tous les efforts actuels de renouveau du ministère, de la théologie, de la liturgie, demeureront extérieurs et sans vrais fruits. 
Bien plus, les très graves problèmes que commencent à se poser les jeunes théologiens de l'Inde qui ont pris contact avec l'expérience spirituelle hindoue, ne seront jamais résolus que par les esprits qui auront senti au fond d'eux mêmes l'angoisse de ces problèmes et au-delà leur dépassement dans la « paix qui passe toute expression »

.
Un Benoît de Nursie quitta un jour Rome et ses écoles pour s'enfuir dans la solitude de Subiaco. Il devint le père et patriarche des moines d'Occident. 
Vers la fin du siècle dernier, un adolescent de Madura quitta de façon analogue collège et famille pour s'enfuir en la montagne d'Arunâchala. Il devint le sage jnani le plus pur de notre temps ; disciples et pèlerins affluèrent près de lui et il est maintenant connu du monde entier sous le nom Sri Ramana Maharshi .


La vie monastique chrétienne de l'Inde s'épanouira à son tour quand un jeune chrétien de l'Inde aura entendu de l'Esprit l'appel qui transforma un Benoît, un Ramana. On peut espérer alors que dans le sillage d'une vie monastique chrétienne renouvelée « jaillissant du fond », la contemplation trouvera sa vraie place dans la vie spirituelle des chrétiens de l'Inde. Et à travers l'Eglise de l'Inde, le message de l'Esprit « qui appelle » au-dedans se répandra sur toute la Catholica et sur le monde.

 


.*JUSQU'A LA SOURCE, L'EXPERIENCE DE NON-DUALITE


Dès les premiers pas de sa rentrée au-dedans, l'âme rencontre le signe du Dieu intérieur, son Image, son « Ange » aurait dit l'Ancien Testament.
 Bientôt elle goûte un indicible bonheur en la compagnie de cet Hôte très aimé, au sein des Trois, adorant, rendant grâces, s'offrant, réparant, expiant, intercédant...
 Et l'âme croit parfois déjà réalisées en elle les promesses de jésus dans saint jean
« Mon Père l'aimera, nous viendrons et nous ferons en elle notre demeure... je viendrai et je souperai avec toi... »
C'est le stade pour l'hindou du saguna brahman , de « Dieu avec formes », de la dévotion intérieure intense, la bhakti, les jeux de Shiva qui dans son amour se fait voir à ses dévots, les jeux aussi des gopî (les bergères) et du divin Gopâla... des âmes et de leur Amant.

Vient alors un jour où se faisant de plus en plus intérieur, l'Hôte du dedans intériorise l'âme elle-même. 
C'est une pénétration en soi, qui peu à peu prend l'apparence d'une descente vertigineuse dans un gouffre, de l'engloutissement dans un abîme. 
L'âme perd pied. 
Ce doit être quelque chose comme cela qui se passe au moment de la mort, quand l'âme sent se retirer d'elle même - et elle-même en même temps se retirer d'eux - les organes de son corps et tout le contact avec le monde extérieur qu'ils signifiaient et tout le prolongement d'elle-même en le monde qu'ils réalisaient et tout le passage du monde en elle-même qu'ils  rendaient possible, bientôt aussi, la pensée consciente, le vouloir,
tout ce monde intérieur auquel l'âme s'était peu à peu identifiée
 Alors c'est comme si l'âme, comme si le soi n'avait plus de support
 C'est comme un engouffrement dans un Soi si profond si enveloppant et à la fois si simple, et si clair, le Soi essentiel et primordial, que l'âme ne sait plus où se raccrocher, où se retenir. Et se sent emportée comme dans un au-delà ontologique d'elle-même où semble s'évanouir son sens même d'exister à part .
C'est l'expérience du kevala, de l'Absolu, de l'Esseulement, expérience de la solitude infinie de Dieu, 
non pas de la solitude avec Dieu, 
ni de la solitude en Dieu,
mais celle du seul à Seul, du seul avec le Seul,
 mais du Seul infiniment et essentiellement Seul.
 La solitude même de Dieu.


 L'Éxpérience de l'ekam eva advitîyam, l'Un seul et sans second, de Celui à qui il n'est point d'autre, 
l'unité en qui ne trouve plus place la distinction du connaissant du connu,
 de l'aimant et de l'aimé...
 la « nuit » que chante jean de la Croix, nuit de félicité et nuit d'agonie.

Le Père Le Saux la décrit ainsi

 « Au plus profond de moi, au miro plus caché de mon coeur, j'ai cherché à découvrir l'image de Celui dont je suis Celui qui vit et règne dans l' « espace infini de mon coeur ». Mais le reflet peu à a pâli, bientôt il s'est abîmé dans l'éclat essentiel. De palier en palier je descendis ce qui me paraissait comme des profondeurs successives de mon moi véritable,
mon être, ma conscience d'être, ma joie d'être. 
Finalement il n'y eut plus que lui, l'Unique,  Seul et infiniment seul, Etre, Connaissance, Félicité, Saccidânanda.
  Au sein du Saccidânanda j'étais retourné à mes origines essentielles. « Tat tvam asi », Tu es Cela,  dernier mot que mon coeur entendit, et je m'endormis du sommeil de l'être,
dormivi et soporatus sum » (Ps. 3.6). »


C'est en ce point précis semble-t-il que se situe l'intuition mystique fondamentale des Rishis hindous, cette expérience de l'advaïta, de la non-dualité du soi de l'homme et du Soi suprême de l'âtman et du brabman  
- une intuition que l'esprit, quoi qu' il tâche à l'intelliger et à la réduire en concept, voit comme s'évanouir devant lui, dans son effort même pour la saisir.
Brahman parut devant les devas  raconte la Ki Upanishad, mais ceux-ci ne le reconnurent pas. Ils demandèrent entre eux : « Qu'est-ce cela ? » Ils s'approchèrent d'Indra « Toi le plus grand d'entre nous, tâche de découvrir ce que c'est que cela ». Indra courut vers cela, il n'y avait plus rien...

Tel est le point central de toute la mystique hindoue, le but même que, tout au long des âges, poursuivent les spirituels de l'Inde, ceux qui ont été marqués du signe, ceux qui ont entendu l'appel du dedans. Telle est la raison d'être finale de tous les exercices des Yogis, de toute l'austérité des ascètes, de toute la ferveur des saints.

 Comment pourrait alors se flatter d'avoir compris quoi que ce soit à l'âme de l'Inde celui qui soi-même n'aurait pas été au moins frôlé par cette expérience, qui du moins n'aurait jamais tenté d'en soulever le voile ?

Que dans la conceptualisation de cette expérience il y ait des erreurs, 
que dans sa recherche il y ait des illusions,
 que des bhaktas ou dévots prennent pour cette réalisation des transes pathologiques,
 que des yogis considèrent la suppression de la pensée obtenue à coup d'exercices comme l'état ineffable lui-même...
cela peut-il faire oublier la grandeur de l'idéal proposé aux chercheurs et amants de Dieu par l'antique tradition spirituelle de l'Hindouisme ?
En terminologie mystique hindoue, cette expérience se nomme samâdhi. 

Tant qu'elle n'est encore que passagère et accompagnée d'une sorte de suspension des sens, c'est le nirvikalpa-samâdhi. 
Quand elle est devenue permanente, toute « naturelle », on l'appelle le sahaja-samddhi, l'état « connaturel » (litt : né avec) et « primordial » où nul n'est jamais né, où nul ne mourra jamais. Cet état est identique à l'Être lui-même. Il est paix, il est non mort, il est non-crainte, il est non-vieillissement. 

C'est l'état suprême, l'état au-delà, le turîya ( état de consciences au delà de l'état sde veille)  de la Mândûkya Upanishad.
Qui a pénétré au sahaja est devenu jîvanmukta, le libéré, le délivré-vivant. Bien qu'il demeure encore en chair, il a rompu tous les liens de la chair, tous les liens même de la pensée et de l'entendement, il a échappé à toute servitude. C'est dans la fine pointe de son être, l'âtman, le Soi, que désormais il a conscience d'être, inaccessible à toute limitation du temps et des circonstances.
N'est ce pas, analogiquement, l'état de ressuscité dès cette vie qui est d'après saint Paul, la situation du chrétien ici-bas,
aussi paradoxal que cela puisse sembler. De par notre baptême, ne sommes-nous pas déjà « ressuscités dans le Christ» , « libérés de la mort ? »  et appelés chacun d'entre nous, dans la mesure où de notre côté ne se trouvent ni obstacles ni refus, à cet épanouissement plénier de la condition de résurrection anticipée que l'état dit « d'union transformante » ?


La tradition hindoue tout entière exalte cet état de « libéré vivant » (jîvanmukta). Si celui-ci demeure encore en ce monde par son karma ou destinée, ou bien en raison d'une mission providentielle, il y vit désormais comme n'en faisant plus réellement partie, ou plutôt il y est comme Dieu lui-même y est, présent partout, au fond de tout, mais en même temps libre et souverain, maître de tout, au-dessus de tout.
« Sans mien, ni moi, patient, égal au malheur comme au bonheur, content, toujours uni, maître de soi...
Ni joie, ni impatience, ni crainte ne l'agite...
Il n'a ni joie ni haine, ni chagrin, ni désirs, égal à l'ennemi comme à l'ami, et de même à l'estime comme au mépris, à la chaleur comme au froid, au plaisir comme à la douleur,
Libre d'attaches, il fait un cas égal de l'éloge et du blâme, il se tait, content, quoiqu'il advienne

Avec les contacts extérieurs son soi n'a pas d'attaches car il trouve dans le soi son bonheur
Celui dont le bonheur et le plaisir sont intérieurs, dont la lumière est intérieure ce  yogin passe au nirvana brahamique ( atteint la délivrance en Brahman lui même devenu Brahman)

 Passé en Içbvara, le Seigneur suprême, le Seigneur du monde, il est devenu lui aussi en quelque sorte le Maître du monde. Son comportement extérieur n'est plus que la manifestation en lui, au-dehors, de l'Esprit en qui il est passé. Comment serait-il possible au chrétien de ne pas penser ici à certains versets de saint Paul


« qui adhère au Seigneur est avec lui un seul esprit » (I Cor. 6, 17).
« Ceux qui sont mûs par l'Esprit de Dieu sont fils de Dieu » (Rom. 8, 14).


Il a comme franchi les limites de son corps, de sa pensée, de sa conscience individualisante elle-même.

 Qui en effet a éprouvé qu'il était, qui a fait l'expérience d'être, l'expérience de l'Être, comment pourrait-il se tenir, se maintenir dans les limites au sein desquelles l'Être se manifeste en lui ?
 Il regarde, dit encore la Bhagavad Gîtâ, l'âtman de tous les êtres comme son propre âtman, le soi de chaque être comme le sien propre : Dieu n'est-il pas en Soi partout ?


« Soi-même résidant en tous les êtres, tous les êtres résidant en lui
voilà ce que contemple celui dont tout l'être est unifié par le Yoga et qui porte sur toutes choses un regard égal ('3).
« Qui me voit partout et voit tout en Moi, de quelque manière qu'il soit, cet ascète c'est en Moi qu'il est »


Il a coupé les « noeuds du coeur » hridaya granthi, selon l'image hardie de la tradition, les noeuds par lesquels, le Soi, le je le plus intérieur, s'est lié aux manifestations diverses de son être au plan des sens et du mental.


« Quand se rompent tous les noeuds du coeur, alors le mortel devient immortel »
« alors en sa sagesse, secouant le bien et le mal, sans tache, il accède à l'identité suprême »
« Quand le Soi est réalisé comme unique,au-dedans comme au-dehors, aussi clairement que le monde l'est par l'ignorant, c'est alors qu'est coupé le noeud du coeur » chante la Shrî Ramana Gîtâ.

La mort physique n'aura plus pour lui le sens qu'elle a pour les mortels, 
car lui, n'est plus mortel .

 Son corps achèvera sans doute son prarabdha karma, la partie résiduelle des conséquences des actions d'une vie antérieure, 
c'est-à-dire que son mouvement durera, à la façon d'une machine, qui, même le moteur arrêté, continue quelque temps encore à tourner de par la vitesse acquise.

 Son corps, - si sien encore il peut être dit par accommodation aux catégories habituelles du langage des hommes, - cessera ensuite de vivre : mais lui ne mourra pas. A quoi donc pourrait-il mourir désormais ? 
Simplement de jîvanmukta, de délivré-dans-un-corps, il deviendra videha mukta, délivré-sans-corps. 
Il demeurera à jamais ce qu'éternellement il est .


En dehors de la révélation du Seigneur Jésus, il était difficile semble-t-il, d'entrer plus profondément que ne le firent les Rishi hindous au Mystère le plus intime de l'homme et de Dieu.

 Même la part faite aux échecs, aux illusions et aux orgueils, il reste que beaucoup de spirituels de l'Inde ont pénétré au fond . de soi, au milieu de ce Mystère, 
ont atteint jusqu'au lieu de l'Être,
 au-delà de la connaissance comme de la non- connaissance, na-prajn-â, na apraj,nâ, de la pensée et de la non-pensée.


Qui peut faire entrer là, sinon Dieu lui-même ? 
car c'est le lieu propre de Dieu, le plan de l' « Imparticipable », auquel pour tant, nous savons par révélation que nous sommes appelés.

 Nul ne peut voir Dieu sinon le Fils de Dieu, Dieu lui-même, et ceux à qui il a donné de participer à sa divine filiation.
 Il n'y a pas de doute que de tels sommets n'ont pu être atteints que par un don tout gracieux du Seigneur, qui a voulu se servir des Rishis de jadis pour orienter à jamais l'élan spirituel de l'Inde et qui a continué d'attirer secrètement à Lui, à Soi, ceux qui sur leurs traces se sont mis sincèrement et de toute leur âme à la recherche de l'Unique, Kevala Brabma mâtra. 

Comment ne pas penser que l'Esprit de Dieu soit déjà la subministrans (Phil. 1, 19), appelant de ses « gémissements inénarrables » la consommation du Mystère divin dans ces âmes, la révélation de leur adoption divine...
« L'Esprit qui remplit tout et disperse tout avec force et douceur » (Sagesse VIII) de la tradition sapientielle biblique,
« le pur Esprit répandu en tout et qui, réside au coeur de tous les êtres », (Shankara, Upadeshasâhasrî 11, 1), de la tradition védantique.


Pour aller plus avant cependant, la révélation purement intérieure de l'Esprit ne pouvait suffire. « Il vous enseignera tout », dit en effet jésus, « mais d'abord il vous rappellera tout ce que je vous ai dit » (Jn. 14, 26). Il faut d'abord avoir entendu du Christ la révélation suprême : celle du Père, que « nul n'a jamais vu sinon Celui qui vit au sein du Père » et qui s'est manifesté ici-bas, précisément pour nous « parler de Lui » (jn. 1, 18)
.
La tradition chrétienne tient qu'il n'y a pas de mariage spirituel (l'état mystique suprême) sans quelque aperception au moins du Mystère des divines Personnes. Il serait donc téméraire d'assimiler sans plus l'état de jîvan-mukti et celui d'union transformante, malgré leurs ressemblances et leur parenté indéniables.

 L'expérience mystique chrétienne en son sommet doit aller au-delà même du kevala, de l'esseulement de l'Être, au-delà de l'ekam eva advitîyam, de la non-dualité de l'Être. Elle est « trans-advaïtique » si on nous permet ce mot.

Le chrétien qui est descendu en soi, jusqu'au tréfond et à la source de son être, ressent d'abord et découvre son « unité » mystérieuse avec Dieu, tout comme son frère advaïtin.

 Cependant au delà de cet instant ultime qui lui ouvre l'éternité, il se reconnaît issu du Père en le Fils Monogène. 

A la limite de son esseulement dans la solitude divine, il s'éveille à une nouveauté d'au-delà et d'au-dedans à la fois. « Le Seigneur m'a dit : Tu es mon Fils, en ce jour je t'ai engendré », comme le chrétien chante avec le Christ à Noël. - « je m'éveille et toujours je suis avec Toi », comme à nouveau avec le Christ, il chante à Pâques : l'éternel éveil au Père du Verbe, naissant de Lui en non-dualité de nature et non-unité de personne.

 L'Esprit-essentiellement et personnellement l'UN - s'est révélé comme l'Unité issue des Deux, comme le Non-deux issu du Non-un. En ramenant au Père, il clôt le cycle divin, le cycle
l'Être.
Mais si l'expérience de non-dualité et de l'Être est déjà tellement indicible, qui pourrait qualifier et surtout redire
cette expérience de l'au-delà de l'au-delà
cette résolution, cette « fission de l'atome insécable ? 

Là où tout nombre est transcendé,
 où non-deux et le non-un, l'advaïta et l'aneka ne sont plus contradictoires l'un de l'autre...


 Dans son « journal » le 5-10-67, le Père Le Saux écrit : « L'autre rive...
 l'homme n'y atteint que par la fission de soi,
 le forcé-ouvert (break open) de soi plus profond.
 Et cela est incommensurable avec tout rite, toute formule, toute prière, toute loi que ce soit.

 Jésus passa à Dieu quand il dit : « Eloï, Eldi, lama sabachthani
 « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ? »
 Dans ce renoncement à tout soi, seulement tout est retrouvé, sauvé. 
Mais tant qu'on fait ce renoncement dans l'idée de se retrouver, ni on ne se perd ni on ne se retrouve. »