Sur Dieu
Le Christ n'est pas seulement pour nous un maître à imiter.
Le Christ ne s'est pas contenté de nous fixer des règles de conduite.
Il nous a laissé son propre genius (A. Watts) c'est-à-dire son Esprit.
Ce que j'ai fait, vous le ferez et vous ferez davantage encore".
L'Esprit qui est à l'oeuvre en moi sera aussi à l'oeuvre en VOUS.
Un Bach, un Mozart n'ont pu laisser que des règles et des exemples. Ils n'ont pu laisser leur propre génie d'artiste.
Nous possédons, nous, le « génie » du Christ. La loi de la Nouvelle Alliance c'est l'Esprit en nous, le Saint Esprit [en tamoul]" le Christ lui-même.
L'Esprit est Feu, Vent, Eau. Source d'eau vive en nous. Venant non d'ailleurs mais de notre plus intime.
Les Occidentaux ne peuvent se mettre en tête que c'est le Seigneur qui agit en tout ce qu'ils agissent.
C'est lsvara qui se réjouit en mangeant, en tant que mangeur, et qui se réjouit en étant mangé en tant que nourriture. C'est le sens profond de l'Aitareya Upanishad.
[ ... ] Il n'est pas d'acte de l'homme ni de quelque créature que ce soit, si intime, si vulgaire soit-il, qui n'engage le Seigneur, qui ne soit
l'oeuvre d'lsvara plus réellement encore que de la créature qui l'accomplit.
[ ... ] L'Esprit déploie librement sa lilà [jeu] en moi comme en chaque créature. L'Esprit, la mystérieuse Personne impersonnelle, en qui mon ego se perd.
Accepter la réalité, c'est-à-dire que mon ego est immergé en l'Esprit !
[ ... 1 Et l'Esprit fera en son temps se lever à l'Orient de mon âme l'Ego suprême, le Brahmà aham asmi, le véritable aham [je].
Il est faux de dire TU à l'Esprit, car l'Esprit n'est pas autre que moi.
L'aham qui s'élèvera en moi sera l'aham du Fils. Et le dialogue s'échangera - s'échange éternellement - réciproquement entre le Fils et le Père.
Aham Brahmà asmi [Je suis Brahman]. Tat tvam asi [Tu es cela]. Chacun d'eux dit à l'autre chacune des deux phrases.
Mais l'homme ne saurait pénétrer le tvam [tu] divin.
Il ignore un Toi qui soit encore un Moi.
Car le Fils et le Père sont Un. Et dans ce[t] [aldvaita du Père et du Fils au-delà de l'advaita de l'Esprit ni le Fils ni le Père ne s'adressent réciproquement comme à un autre". Ego et Pater unum sumus [« Le Père et moi, nous sommes un »,
( Jn. 10, 30].
[...] Nous essayons de fixer l'Esprit dans un nunc « temporal », autant essayer de renfermer le courant, d'air, d'eau ou d'électricité.
L'Esprit est à la fois dans le nunc éternel et dans la succession temporelle.
Ne pas confondre.
Ou bien se laisser aller au courant (temporel) de l'Esprit emporté par lui, variant avec lui, qui est multiforme puisque a-forme.
Ou bien dépasser la sphère de l'espace-temps et nier la succession, non pas au profit de l'un des instants fugitifs de cette succession, mais au profit de l'in-succession, de l'in-temporalité, de l'éternité.
Ou mieux encore à la façon divine, à la façon de l'Esprit lui-même Temporalité et éternité ne s'excluent pas, pas plus que Dieu et la
créature, l'Absolu et le relatif.
Pour s'exclure il faut être du même ordre Être à la fois dans le nunc éternel et dans la succession temporelle
Dans le nunc de l'être et dans le moment de la manifestation.
Car la manifestation, réellement n'est autre que l'Être lui-même.
Il y a autant d'Esprit dans l'acte de cuire une patate ou de préparer du thé que dans l'étude ardue
de la Somme.
Dieu n'est pas moins Dieu, l'Esprit n'est pas moins Esprit quand il donne le mouvement à l'aile d'une mouche que lorsqu'il « aspire » la divine génération.
Car nous autres hommes nous avons fabriqué des catégories et nous voulons y faire rentrer Dieu.
Nous n'arrivons pas à accepter que Dieu dépasse nos catégories.
L' Incarnation a pourtant été une rude leçon. Quel mépris souverain de nos conventions prolétariennes aussi bien que bourgeoises.
Dieu n'est pas un problème.
Dieu ne pose pas de problème.
C'est nous qui, borgnes et complexes, posons Dieu comme un problème.
La vie serait trop simple et trop belle.
L'homme ne veut ni de simplicité ni de la beauté vraie.
Il lui faut mettre partout son nez et son odeur.
On plaint les pauvres gens qui ont tout pour être heureux et se compliquent en vain l'existence.
Le bonheur est simple, disait Pierre l'Ermite.
C'est chaque homme qui mérite ainsi moins encore la pitié que le rire. Car l'homme est trop bête.
Chaque acte que j'accomplis est un acte divin.
Chaque acte qu'accomplit n'importe laquelle des créatures,
chaque mouvement des inconscients et des inanimés eux-mêmes est un acte divin, autant que la divine génération elle-même.
Dieu est tout entier et totalement en chacune de ses manifestations (de même que le Christ est dans chaque hostie et dans chaque parcelle d'hostie).
C'est un moment de l'incessante lilâ de la Sagesse divine ludens in orbe terratum jouant sur la surface de la
terre, Pr. 8, 3 11. Car chaque « moment » temporel est éternité.
L'éternité est tout entière en chaque instant du temps,
l'absolu en chaque aspect, en chaque stage du relatif.
Mais le moment figé n'est plus de l'éternité car l'éternité ne « dure » pas, elle « est ».
Le moment qui dure est irréel, cela n'a pas de sens.
Le monde est un jeu divin.
Nous le prenons beaucoup trop au sérieux et à la fois pas assez.
Nous le prenons beaucoup trop au sérieux de manière humaine, et pas assez de manière divine.
Nous lui appliquons nos catégories, nos jugements de valeur, faits par des myopes pour des myopes. Et nous oublions qu'en chaque acte, en chaque être, quel qu'il soit, Dieu est tout entier.
Car le jeu divin est un jeu sérieux.
L'enfant se prend au sérieux quand il joue ; totalement au sérieux. Souverain détachement et souverain intérêt à la fois, telles sont les caractéristiques du Joueur divin devant sa lilà.
[...] Aujourd'hui un pick-up, installé pour des mariages sans doute, m'agace de son bruit insupportable.
« D'autres » se réjouissent à l'entendre ; le Seigneur suprême se réjouit en eux l'entendant.
Et donc comment moi, aham, ne pas me réjouir en eux, en « Lui », en « Moi », se réjouissant.
Il ne s'agit pas de s'abstraire du monde mais d'entrer au contraire à plein dans le monde.
L'Esprit est répandu intérieurement depuis l'origine des mondes.
L'Esprit n'est lié à aucune forme. Dieu n'est lié par aucune limite. L'Incarnation elle-même n'épuise pas la capacité créatrice de Dieu. « Le plein sort du plein, le plein demeure intact. »
Il ne s'agit point d'atteindre l'union avec Dieu, mais d'en jouir.
La connaissance de Dieu c'est savoir qu'il n'y a que Lui.
Qu'il est lui le Connaisseur et le Jouisseur que mon ego prétend être, et à la fois le Connu et l'objet de la jouissance de ce pseudo-sujet.
Il ne s'agit pas d'atteindre à la connaissance de Dieu ou à la Présence de Dieu, mais de reconnaître, de réaliser que cette Présence
est, et fondamentalement
que cette connaissance est, l'origine de toute connaissance particulière. « Celui qui crie: Ah! » (Kena Up. 4, 29).
Il y a deux manières d'être en paix : en dominant sa responsabilité, en ignorant sa responsabilité.
Ceux qui ignorent la leur comprennent mal l'impatience des autres qui connaissent la leur propre et n'arrivent pas à la surmonter.
Cependant tout étant fait de notre côté, pourquoi se tracasser de demain ?
Non-désir total, vivre de la plénitude de l'éternel la Présence.
Le sannyàsi n'a besoin ni des choses
ni des hommes,
ni de leur intérêt,
ni de leur amour,
ni de leur haine,
car l'âtman où il vit est plénitude. Plénitude qui domine le temps, étant éternité, Plénitude qui domine la diversité de pensées, etc.
[Suit un long passage en tamoul. La traduction est littérale. Les mots suivis d'un astérisque sont ceux dont l'original n'est pas celui couramment utilisé dans un tel contexte. Svâmiji a forgé certains mots, et adapté les autres à ses idées.]
Je ne [suis] pas ceci.
Je suis au-dessous ou au-dessus de ceci.
Je suis sa source.
Je ne devrais pas avoir - ne pourrais pas avoir - d'inquiétude ou de désir à ce sujet.
Je ne suis pas ceci.
Je suis plus en profondeur.
Je suis immergé dans la profondeur de la source.
Au-dessous de ceci en son centre ne ressentant rien je vois tout dans la paix.
[Je] ne devrais permettre aucun [bruit]. Je veux briser cette profondeur et pénétrer à l'intérieur.
Atteindre sat cit ànanda,
m'immerger en eux et réaliser mon Je réel.
Je suis plus éloigné, au-dessous, plus profond que le soi
parlant, mangeant, regardant, écoutant, marchant, pensant, désirant.
Quand je dors je n'ai aucun désir, aucune pensée, je ne marche pas.
Cependant, je suis.
Je peux briser la forteresse de ce corps et chercher ma propre demeure.
Bien que je dise ma propre demeure, ce n'est pas une demeure.
Aham n'a pas de [corps] pas de nom.
En brisant la forteresse du corps, en pénétrant à l'intérieur, je suis au-delà du lieu et du temps.
En disant ici [bien quel sans lieu.
En disant maintenant [bien quel sans temps.
Je loue mon aha[m]tvam [état de Je essentiel].
L'Esprit Saint enseigne à certains à faire des miracles, à d'autres à parler en langues, à d'autres à enseigner, et ainsi de suite. A ceux qui [en ont] la grâce, il montre la voie de l'aha[m]tvam
Le Père et moi sommes un.
Même si je ne vis pas intégralement la vie d'un sannyàsi, je suis un sannyàsi.
Le sannyàsa dans l'Esprit c'est un corps sans vie. Il apparaît sous une forme extérieure. C'est une fausse apparence. Un sannyàsi sans la vie peut porter la robe safran, manger de la nourriture reçue en aumône, vivre seul et en silence. Tout ceci ne sont que des signes extérieurs. Ils [ces sannyâsi] suivent les observances des sannyàsi avec
difficulté
Pour un faux sannyàsi le silence est difficile [à observer].
Pour un sannyâsi authentique, parler est difficile, c'est une contrariété
.
Ne pas considérer mon ahamkaram [ego superficiel] différent de l'àtman, et que celui-là doive disparaître pour laisser la place complète à celui-ci dans ma conscience.
Mon ego superficiel n'est autre que l'àtman lui-même ; en effet, y a-t-il autre chose que l'àtman ?
ekam eva advitîyam [un seul sans second],
C'est l'àtman en forme de limitation. Parvenir à l'àtman au-dedans même de cet ego, c'est simplement délimiter l'ego, délier l'ego de son lien au deha [corps], y compris, bien entendu, le manas [mental] et la buddhi [intelligence].
Pour celui qui a réalisé le Soi, ce deha n'est pas plus intéressant que tous les autres deha qui peuplent l'univers. C'est un entre les autres simplement.
L'aham c'est l'ego superficiel libéré des upàdhis [limitations surimposées], de jada [matière inanimée] et karvam [orgueil], d'espace temps. C'est considérer son propre « deha » sub specie aeternitatis [du point de vue de l'éternité] du Nunc [présent] éternel.
(1952)