Koïnonia

C'est en ces termes merveilleux que s'exprime dom Le Saux au sujet de la démarche de l'ermite ou du renonçant qui associe sa foi chrétienne à la merveilleuse expérience de l'advaïta

"La diversité harmonisée dans l'amour, la multiplicité transcendée dans la communion, telle est la merveilleuse expérience du jnâni chrétien.
  L'Esprit l'a emporté au-delà de l'expérience advaitine de non-dualité de l'être,
 jusqu'au Mystère même de l'expérience de Jésus en tant que fils unique du Dieu Un. 
Pour lui désormais, rien n'existe que dans la Lumière du Dieu vivant;
 il ne connaît plus rien que dans le Mystère ,
 là où repose le secret de tout ce qui existe."

 Koinônia... c'est ce terme grec souvent employé dans le Nouveau Testament qui équivaut au latin communio.
 Selon le contexte, on va le traduire par « communion », « communauté », « participation », « association », mais aucun de ces termes n'épuise en fait sa signification.
 Il signifie en clair une mise en commun totale des biens, des intentions, des volonté des vies, et par-dessus tout de l'Esprit
 le tout dans la vrai Amour- agapè. 

Tout ce qui existe dit le Père Le Saux est communion,
 depuis sa source dans le Père jusqu'à l'Esprit...

"En chaque moment du temps, en chaque point de l'espace  comme en chaque atome de matière, la nature essentielle de l'Être en tant qu'être avec, communion, est comme en appel et en puissance. Ceci est impliqué et se manifeste dans la cohésion interne qui, confère une existence distincte à chaque atome, molécule, cellule, et organisme vivant, et, en même temps, dans l'attraction mutuelle qui maintient l'unité de l'univers : cohésion et attraction ne sont pas de simples phénomènes survenant selon les lois physiques, mais rappelant à la conscience l'essence la plus profonde des choses en rendant l'homme attentif aux « empreintes de Dieu>>
vestigia Dei présents dans la création." 


Si l' homme semble trouver sa plénitude dans la pleine manifestation individuelle
 l'individu, lui ne peut trouver son achèvement que dans la Totalité.
 Dieu lui-même est à la fois un et multiple en son Mystère,
 il est
non un, an-eka, et non deux, a-dvaita 
 De par sa nature même, la plénitude, le plérome comme l'appelle le Père Le Saux à laquelle tend l'humanité est celle même du Christ,
puisqu'il est le commencement et la fin de tout.

 Le monde est en chemin  vers la pleine manifestation de son Mystère,
 à la fois dans le coeur des hommes 
mais aussi  dans le rassemblement dans l'unité de tous 
en ce grand corps que Saint Paul avait déjà entrevu : le Corps Mystique où chacun a sa place

Depuis le début des temps, même les plus infimes éléments de la nature et de la vie sont attirés vers ce plérôme, cet aboutissement.
 Et quand, enfin, le niveau  de la conscience fut atteint dans l'être humain, cette tendance devint délibérée et personnelle: les lois physiques qui régissent la nature font place à la koinônia librement choisie ..
. Même lorsqu'il n'a pas encore eu l'occasion d'apprendre le nom du Seigneur , l'homme collabore à l'oeuvre de l'Amour et à l'accroissement de la communion et de la charité
Tout ce qu'il fera , 
tout ce qu'il accomplira sous la mouvance de l'Esprit,
 tout cela contribue  à la réalisation du plérôme et à la formation de l'ensemble dont on fait partie

 Le Christ est vraiment l'archétype de l'Homme  qu'avaient mystérieusement entrevu les mythes antiques, tel le Purusha cosmique du Rig- Veda, 
 cet homme primordial dont le sacrifice donna naissance à l'univers et à toutes ses parties
 
. Le Christ est le sommet...
 C'est en lui en tant qu'archétype et par lui  comme élément transparent à son génome que tout parvient à l'unité et que chaque conscience humaine s'éveille à elle-même,
 et non seulement au plus profond de soi 
mais aussi dans la koinônia universelle de l'Esprit.

 C'est en Lui  que chaque conscience subsiste au Mystère de son incommunicabilité et de son individualité. 
Le Christ est omniprésent en son Mystère, 
néanmoins sa présence demeure totale et indivisée,
 Il se multiplie sans perdre son unité, 
 Il se révèle dans l'intime profondeur de chaque conscience sans réduire en quelque manière son extension à tous les temps et à tous les lieux de l'univers. 

Ainsi peu à peu dans la solidarité universelle, et dans la communion ecclésiale, de cette Eglise vraie qui rassemble tous les êtres...et non la caricature qu'en donnent certains, l'homme se trouve en face de Dieu.

 L'expérience chrétienne de koinônia s'effectue au plus profond du coeur de l'homme, puisque c'est là qu'il se retrouve en Dieu comme en sa source propre.

Mais dans l'acte même de se retrouver en Dieu il n'est rien qu'en Dieu il ne retrouve aussi...
 et, présent à Dieu il est présent à tout ce qui est, à tout ce qui fut ou sera, à tous les temps et à tous les lieux. 

"Pas plus qu'à Dieu, il n'est à l'homme de « dedans » ou de « dehors ». 
Cette distinction n'existe pas pour lui :
 la sphère de son activité intérieure s'étend à toute la création et celle de son activité extérieure se déroule au Mystère le plus intérieur de l'Esprit.
 
Il n'est point vraiment de dualité, de séparation ou de distinction entre sa progression personnelle vers Dieu et celle de l'univers et de l'Église ( au sens large) vers la plénitude du Christ Total 
En trouvant Dieu il approfondit sa communion avec l'humanité;
 en trouvant ses frères, il approfondit sa communion avec Dieu. 
Immergé dans le temps, il atteint l'éternité, 
et c'est dans l'éternité qu'il s'engage dans le temps.
 C'est dans l'intégration à soi de chaque instant du temps que l'homme aime, se donne et entre en communion avec tous
Sa montée intérieure vers la communion totale est une avec la montée de l'humanité, de l'univers, vers la koinônia ultime ."


"C'est par l'amour que l'homme réalise cette koinônia,
 et c'est pourquoi le commandement suprême, sinon unique, de la nouvelle Loi est le commandement de l'amour.
 L'amour, c'est le don de soi à l'autre, 
c'est faire de l'autre le centre même de sa propre vie . 
L'amour n'est possible qu'à celui qui se possède pleinement lui-même.

 C'est précisément parce que la conscience humaine a valeur d'absolu que l'homme est capable d'oeuvrer personnellement et efficacement au Mystère de la koinônia du Seigneur.

S'il est vrai de dire que l'homme est présent à Dieu de par le fait même de sa propre relation avec tout l'univers, avec tous ses frères les hommes , il ne l'est pas moins de dire que l' homme est présent à Dieu dans son « esseulement » au secret dernier
 de son être. 
Ceci est précisément le Mystère de la personne humaine qui fait qu'elle transcende tout l'univers.
 Et c'est en chacune de ces consciences que l'univers atteint son but, qui est Dieu."

Nous précise avec justesse Le Père


Tout
tout dans l'univers est ordonné à la conscience,
 tout converge vers elle. 

C'est par rapport à elle-même que chaque conscience situe le monde
 et regarde tout ce qui existe dans le temps et l'espace 
 y compris les autres consciences 
 comme existant en relation avec un centre qui n'est autre qu'elle-même.

 Tout lui semble se mouvoir autour d'elle sur des cercles de plus en plus lointains et inconsistants à mesure qu'augmente la distance qui sépare les événements de ce point d'espace et de temps où elle,cette conscience est insérée.

Il dira aussi:


"
L'absolu est par définition même, liberté.
 « L'Absolu », c'est ce que rien ne lie, ce qui est seul et totalement maître de soi.

 En raison de leur insertion dans la matière ou de l'émergence de celle ci, les êtres conscients peuvent être considérés comme étant multiples,
 ils peuvent être juxtaposés et ordonnés entre eux.
 
Mais dans leur essence, dans leur centre, dans leur « apex », ils ne son pas multiples, mais uniques et supérieurs à quelque lien que ce soit. 
Leurs relations mutuelles, à l'inverse de celles qui existent au niveau matériel ou physique, sont gouvernées par un choix autonome et spontané.
 Chaque individu décide, au secret de son coeur, de ses relations et connexions avec autrui.
L'attitude d'un être conscient envers un autre ne peut être que don de soi ou refus de soi,
 amour ou haine, 
car même ce qu'on appelle indifférence est déjà un refus de soi. 
Tout homme se trouve ainsi placé devant ce qui sous-tend toute vie consciente
l'inévitable dilemme de la liberté qui sous-tend toute vie consciente

Quand  l'homme  se donne, le Mystère de la charité se scelle et se déploie en agapè et koinonia.

 Seuls l'amour et la communion qui naît de l'amour peuvent résoudre l'antinomie des consciences humaines placées ainsi les unes en face des autres, au plan des formes matérielles en lesquelles elles s'expriment. 
En leur centre spirituel elles demeurent, par contre, absolument incommunicables et chacune, transcendantalement unique.
transcendantalement déterminées aussi en leur génome

Seule la charite (agape) est capable de dépasser la distinction sans la nier.
 C'est à cette condition même que la charité est fondée, qu'elle s'appuie sur elle, la transforme, la spiritualise et l'élève jusqu'au mystère intime de la Divinité. 
La charité respecte et englobe dans une unité supérieure le double mystère de la personne:
son unicité  individuelle et sa présence réciproque aux autres.
La charité ne peut exister, en effet, hors de ces deux conditions fondamentales de la personnalité, tant dans l'homme qu'en Dieu.
 Si un ces deux éléments venait à manquer - que ce soit l'unicité ou la relation réciproque - c'en est fait de la charité :
 nulle communion, nulle koinônia en laquelle s'exprime nécessairement l'amour, n'est plus possible. 
Si l'un des deux éléments pouvait s'effacer même au profit supposé de l'autre, l'importance de cet autre diminuera dans la mesure même où le premier aura voulu s'effacer pour lui laisser davantage de place."


La koinônia qui est le but final de l'univers ne peut être réalisée sans l'intervention du libre vouloir humain,
 mais il n'en demeure pas moins vrai qu'elle est en même temps une donnée originaire de la création. 

Elle ne dépend pas des imprévisibles résultats des choix humains mais est la condition même de l'existence même de l'homme,
 si la koinônia est inscrite dans la nature humaine, elle n' existe pas de fait avant qu'il n'y ait eu communion exprimée entre deux êtres.

 Nous retrouvons ici le problème constant  de la relation entre Dieu et l'homme,
 entre l'Être et le devenir,
entre l'éternité et le temps.

 L'élan primordial est de Dieu  seul, et ne peut venir que de lui seul,
 la maturation de création dans le temps s'opère au moyen des causes secondes.
Au niveau de l'homme, cette participation devient volontaire et librement choisie. 
Néanmoins, il n'y a pas deux agents :
 l'acte de Dieu et celui de l'homme
ne peuvent être juxtaposés ni s'additionner. 
Toute tentative de les concevoir à part ou de les amalgamer est vaine. 

Si on insiste sur le rôle de Dieu, on tombe dans providentialisme, 
si on insiste sur celui de l'homme, on tombe dans l'« anthropocentrisme ».
 
On ne répétera jamais assez le fait que pour comprendre quoi que ce soit concernant l'homme ou l'univers il est toujours nécessaire de se référer au Mystère transcendant à toute conception.

 Pas plus que Dieu ne peut diviser son Être,  et ne peut se donner partiellement, l'homme ne peut diviser ce qu'il est. 
Sans doute ce que l'homme a est multiple, mais ce qu'il est, est un. 

Tant qu'il ne donne que ce qu'il possède, et non ce qu'il est, il ne s'est pas encore donné lui-même, 
l'amour n'a pas encore enflammé son coeur, et l'étincelle de la koinônia n'a pas en jailli entre lui et son frère.

Le don total de soi n'est réalisable que si son identité demeure totalement inviolée. 
C'est
tout de soi qui doit être donné 

 C'est en renonçant à son contenu propre, en le donnant librement,
c'est en cessant d'exister pour soi-même 
que la personne s'exprime librement dans la nature commune de tous.
 
En renonçant à son bien particulier, elle se dilate infiniment et s'enrichit par tout  qui appartient à tous'. 
 C'est en s'ouvrant à l'autre à la façon de Dieu que l'homme véritablement s'ouvre à soi, s'éveille et se découvre dans la splendeur de son unicité.

L'ordre de l'univers atteint son point culminant dans la communion mutuelle, la koinônia des êtres . 
Elle en est l'accomplissement et l'achèvement sur le plan le plus élevé, de la liberté. 
Elle est cependant d'un autre ordre que l'harmonie naturelle dont elle est le couronnement. 

Au niveau de la nature chaque chose, dans le temps et l'espace, est essentiellement ordonnée au tout. 
Nul être particulier, en tant que tel, n'a de droit à survivre dans la montée de l'univers vers Dieu :
 il n'est qu'un maillon...
 la chaîne de l'évolution universelle, destiné à être remplacé et reforgé en des formes toujours neuves.
 Par contre, sur le plan de la communion interpersonnelle des consciences, le temps est transcendé, et la perpétuelle transformation des éléments de l'un prend fin. 
Le devenir a été élevé à l'être, et le temps est devenu porteur d'éternité.

Mais l'homme peut aussi se refuser aux autres. ...
Le péché c'est ce refus d'un « absolu » d'entrer en communion avec d'autres « absolus », et par conséquent avec l'Absolu suprême qui est Dieu

 Le péché rend la multiplicité - le non-un, l'aneka - monstrueuse. 

A l'origine, la multiplicité n'est qu'un fait de la nature, une silencieuse invitation à la koinônia, à la communion ultime de tous les esprits en l'Esprit. 
Mais avec le péché, elle devient la matière même de l'opposition et de la division des êtres conscients. 
Le péché de l'homme affecte tout l'univers, y compris la matière

Du fait que l'homme a  péché, la chair se rebelle contre l'esprit, et la nature matérielle, se sentant comme offensée et violentée, se révolte aussi contre lui.

 C'est la Chute de l'homme qui précipite la décadence et la désintégration des choses et la division .
 Ainsi, la distinction naturelle entre les choses et la diversité des consciences se fige souvent par le péché et devient refus de la koinônia de l'Être.

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