Relativité...
Le monde paraît bien irréel
pour celui qui se met en marche...mais au fur et à mesure qu'il progresse il
pense pouvoir trouver un Absolu solide et la terre ferme...
mais dès que l'Absolu est rencontré existe-t-il encore une terre ferme ?
Cette méditation est extraite de " Intériorité et Révélation" parue aux éditions Présence
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Que le Sage médite les Écritures!
Sans cesse et sans relâche, qu'il en scrute les secrets !
Cependant quand au fond de son coeur
a lui la connaissance du Brahman suprême,
qu'il les laisse tomber, elles aussi,
comme on fait du tison qui alluma la lampe!
(Amritanùda Up. 1)
Au nom de l' expérience, sages et mystiques hindous
affirment à l'envi la relativité foncière de tout ce qui est accessible
aux sens et à la pensée de l'homme.
non seulement les vérités que l'homme
peut découvrir par son intellect,
mais aussi celles qu'il dit avoir
reçues directement de Dieu par voie de révélation....
croyances, rites
et institutions religieuses de toute espèce...
Aussi longtemps que
l'homme différencie entre le « je », le monde et Dieu,
les dogmes
et les rites sont légitimes et nécessaires....
Il ne suffit pas d'avoir lu dans les Écritures ou entendu de son propre guru que la vérité finale est
advaita
ou non-dualité.
La liberté inhérente à l'état de délivrance
s'acquiert par l'Expérience....
Nulle conviction purement
intellectuelle ne la procure,
car tout acte de l'intellect demeure
inéluctablement au niveau dualiste de l'expérience commune.
Cependant,...
cependant ni les Écritures ni le culte ni les dogmes ni les sacrements
n'ont une valeur définitive
Tout cela, c'est le radeau dont parlait le Bouddha ...
on s'en
sert pour traverser le fleuve...
ou on en construit un soi-même si
on n'en trouve pas...
mais qui penserait à l'emporter sur ses épaules
une fois atteinte l'autre rive ?
tout comme le tison ...
on s'en sert pour allumer la lampe...
mais on le jette
sans plus même y penser dès que la lampe est allumée.
L'homme
est capable d'avoir une Vraie conscience du Soi;
il n'est pas fait
pour demeurer à jamais à ce niveau élémentaire de conscience où
sa perception sensorielle, tournée constitutivement vers le dehors,
l'entraîne et cherche à le maintenir'.
Le petit enfant, bien sûr,
a d'abord besoin de lait
, mais le lait n'est pas sa nourriture
exclusive :
il lui faut d'abord le sein de sa mère;
mais la vie au
sein de sa mère n'est pas pour l'homme l'état final,
pas plus que
le papillon ne peut demeurer indéfiniment chrysalide....
Les étapes préliminaires de la démarche de foi ne sont pas pure
illusion...
La vérité qu'elles contiennent
a sa valeur,
mais une valeur limitée au plan où elle est expérimentée.
La Réalité perçue ne s'évanouit pas pour autant quand
l'Expérience suprême prend possession de l'esprit.
La théorie
d'Euclide a-t-elle perdu de sa vérité quand les
mathématiciens modernes ont découvert qu'elle n'était qu'un aspect
particulier de la science géométrique ?
Le monde est réel pour le jnàni comme il l'est pour l'ajnani.
Seulement...
seulement le
jnànî a accès à
un niveau supérieur de la réalité...
Celui qui a atteint le niveau de la conscience de soi ne prétend
pas pouvoir dire que la perception ordinaire est irréelle...
Il sait trop bien pour se
permettre de formuler un jugement sur la Réalité
du monde
sur son existence particulière,
sur la différenciation ou la multiplicité des choses.
Tout ce qu'il se permet... c'est de murmurer
« il
n'y a pas deux »,
a-dvaita, car l'Être est indivisible....
Le défi que porte la spiritualité orientale au christianisme
- comme d'ailleurs à toute forme de religion et de philosophie -,
le force à faire face au dilemme :
se
maintenir pour toujours au plan du multiple et du relatif...
ou
accepter de dissoudre sa propre identité dans l'expérience dévastatrice de
l'Absolu....
Se prosterner devant Dieu est,
sans aucun doute, chose pleine de noblesse;
cependant...
cependant par le fait
même qu'il se prosterne, le fidèle ne s'affirme-t-il pas en quelque
sorte devant Dieu?
Ne mesure-t-il pas Dieu à son aune d'homme ?, même quand il proclame que Dieu est au-delà de toute mesure...
Est-il utile de parler encore de LUI ?
En fait il n'y a plus rien à dire,
l'advaita seul demeure,
l'unique vérité
définitive.
Même quand l'Ancien Testament exprime l'idée
d'alliance entre Dieu et l'homme nous sommes en face d'une des plus hautes conceptions que l'homme
se fit de ses rapports avec Dieu.
Cependant ...
cependant qui es-tu, homme,
pour te poser en partenaire de Dieu ?
pour lui demander des comptes
comme Job ?
Plus encore,
qui es-tu, toi qui te poses ainsi?
Qui est celui qui se pose?
Dès que l'Absolu est rencontré
il n'y a plus de terre ferme...
Au contact de l'Être, tout ce qui
osait se dire participer de l'Être, retombe dans le néant,
ou plutôt
disparaît dans l'Être même.
Dans l'éclat du Soi,
le moi qui ose
s'en approcher n'est plus capable de se reconnaître lui-même...
de sauver son identité au sein de cette aveuglante Lumière.
Il a disparu à ses propres yeux.
Tout ce que l'homme essaie de dire ou de penser sur
Dieu ne peut avoir qu'une valeur relative.
A tous les développements ultérieurs de la religion de l'Alliance
ne suffit-il pas d'opposer les paroles révélé
à Moïse sur le mont Horeb ?
: « Je suis Celui qui Est. »
l'homme peut-il continuer d'exister en face de Dieu ?
quel est sa véritable autonomie dans le contexte de sa contingence ?
assurément
ces problèmes,
comme tous les autres problèmes appartiennent uniquement à la
sphère de la raison, de la « science ».
C'est l'individu qui les pense
et les pose,
et il le fait précisément parce qu'il ne s'est pas encore
reconnu dans la vérité dernière de son être.
Mais qui les posera
encore
le jour où il se sera découvert enfin au-delà des limitations
et des liens de son existence phénoménale, ?
hors de la succession
des instants qui passent...
et de sa connexion avec le monde de sa
perception, tout aussi évanescent ?
Les problèmes du rêve ne
s'évanouissent-ils pas spontanément au moment du réveil?
Philosophies 'Comme théologies n'ont d'autre but que d'acheminer
l'homme vers la connaissance libératrice.
Elles n'entreront jamais
dans la cella centrale du « château intérieur »;
comme à Moïse, il leur sera interdit d'entrer dans la Terre promise.
Elles ne la
contempleront et ne l'admireront jamais que de loin,
du mont Nébo
du savoir discursif
ou des paroles même par lesquelles Dieu fit connaître
son Message
et qui toutes requièrent une élucidation préalable dans l'Esprit.
Elles qui n'ont d'autre fonction que d'amener
l'homme à se réveiller,
à réaliser sa véritable nature
à se libérer
peu à peu de son moi illusoire qui projette son univers de rêve.
Hélas pourtant...
trop souvent
l'homme s'attache à ce monde de
rêve
pour lui-même...
et en arrive à en espérer un salut de rêve !
Pourtant...
Doctrines, lois et rituels, n'ont qu'une valeur de signes indiquant
la voie vers ce qui est au-delà.
Mais un jour, au plus profond de son
âme, l'homme ne peut manquer d'entendre résonner le Je suis qu'y
profère « Celui-qui-est ».
Il y verra briller la Lumière qui n'a
d'autre source que lui-même, l'unique Soi...
Quelle place
demeurera-t-il alors pour quelque pensée, obligation, ou acte cultuel
que ce soit?
qu'en deviendra-t-il du philosophe et du théologien,
du scribe et du prêtre,
du prophète
et du maître de la loi?
La voie chrétienne, dans son essence la plus
intime, est un processus de mort et résurrection.
elle saisit tout ce qui est naturel,
le dépouille de
tout ce qui est relatif et caduc,
et l'élève à un plan supérieur, à
celui de la grâce.
En ce plan, la nature se retrouve elle-même toute
renouvelée du dedans et comme
transformée
au plus intime de
son être;
transformée
non en quelque chose d'autre, mais comme
en une réalité et une vérité plus profonde encore d'elle-même
Ainsi en fut-il de la nature humaine qu'assuma
le Seigneur.
Ainsi en est-il de la personnalité humaine de tous ceux
qui répondent à l'appel de l'Esprit et accèdent à la condition de
fils de Dieu.(...)
Chaque homme doit
« renaître », comme le Christ l'explique à Nicodème (Jn 3, 3).
et c'est au point même ou l'être jaillit du néant que la grâce rencontre l'homme et
en fait un fils de Dieu.
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