LE MYSTÈRE DE L'ÊTRE

 

Quand le Je disparaît il cède sa place à l'Être cette méditation peut vous aider à Le découvrir... il est extrait de Intériorité et Révélation avec l'aimable autorisation des éditions Présence

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Fut-on jamais fasciné quelque part comme on le fut en Inde par le mystère de l'être ? 
On chercha certes ailleurs aussi à l'étreindre, et à le circonscrire,
on théorisa à son sujet,
On s'essaya à le réduire en concepts... en formules , en propositions
mais nulle part sans doute ce secret des secrets, le secret royal de la cellule intérieure, 
ne pénétra la vie et la pensée comme il le fit, comme il le fait toujours en Inde.

Les actes seconds de penser et de vouloir, de voir, d'entendre, de parler, etc., 
tous
ex-tases  de l'acte d'être, apparaissent à l'Inde essentiellement dans cet acte d'être lui-même, 
leur source et leur terme,
dans leur
en-stase 
en cet acte d'être
unique,
indépendant du temps et de l'espace... et de tout ce qu'ils conditionnent, 
de tous ces actes même, « extérieurs » par rapport lui
 qui n'ont d'autre fonction dans la réalité que de le manifester et de conduire à lui.

 L'Inde ne les veut connaître que dans le
kevala,
 l'absoluité, la nudité de l'acte d'être. 

Ce que l'Inde cherche, c'est la nue conscience d'être...qui est l'acte d'être lui-même,
et à qui nul attribut n'est attribuable.

C'est à cette nue conscience d'être que se ramènent, et en elle que s'immergent,
par réflexion chez le jnani ( l'éveillé)
par expérience directe chez l'atmavid ( celui qui connaît le Soi, l'âme en son essence), toutes ces divergences de noms et de formes, 
toute cette diversité d'actes, dont est fait et dont s'entretient le monde,
monde de lila ( jeu, plaisir divin), 
jeu de la shakti ( énergie créatrice) 
monde de la maya (monde de l'illusion) divine.

Le sage ne voit plus les différences . 
Non seulement par ce qu'il a le regard fixé aux choses du dedans 
il est  "celui qui a le visage tourné vers l'intérieur" 
il est "celui qui est fixé en soi" 
mais
d'abord et essentiellement parce qu'en tout il est désormais incapable de voir autre chose que le dedans,
cet unique sein de l'unique fond,
inhérent à tout, 
essentiel à tout, 
en qui s'en-stasie tout acte pour le voyant 
quelque aspect et quelque nom qu'il puisse revêtir au regard de celui dont les yeux n'ont
pas encore été dessillés et qui ne sait voir que le dehors


De celui qui, ne s'étant jamais penché vers son dedans
 n'y a jamais entendu résonner
 le OM de mystère et de silence qu'y murmure Arunachala.
(montagne sacrée)


A quoi bon alors interroger le sannyâsi, le moine,l'ermite ?
 ou bien interroger l'atmavid ,celui qui connaît l'Atman, le Soi par vocation 
et qui vient demander à votre porte l'aumône d'un peu de riz...
 ou qui se cache aux grottes de la colline ?
 
A quoi bon lui demander son nom et son âge ?
son lieu de naissance et ses pèlerinages ?
sa caste et sa famille ?
toutes choses pour lui désormais totalement dépourvues de sens... 

A un dignitaire d'un monastère hindou qui lui demandait un jour ses impressions sur tel ou tel lieu, sur tel ou tel pays 
et les différences qu'il y avait rencontrées, un sadhu , un moine errant ne sut que répondre

 « Qui voit les différences sinon les gens du monde! 
Pour le moine, quelle différence où et jamais peut-il y avoir? »


 Et cet autre renonçant ( sanyasi) était beaucoup plus proche de la réalité qui s' enquérait de même, en son tamoul très recherché :

« Ce corps, dans lequel présentement vous vous trouvez,
 en quel lieu de ce vaste monde est-il venu à l'existence ? »

Alors à quoi bon même demander au jnâni ( au sage, à l'éveillé) son expérience ?
 et ses voies spirituelles ?
 Il ne vous répondra que s'il n'a pas l'expérience...
 car si jamais il a éprouvé son fond, 
il ne saura que se taire et vous regarder en silence. 

Et quant au chemin de la montée, comment davantage pourrait-il en parler ?
 
S'il est vraiment parvenu au sommet,
 il ne sait plus qu'un jour lui-même eût à gravir la pente... 

...et il vous renverra à ceux qui parlent doctement
 et qui s'acharnent en leurs discours sur la Voie ... 
à moins que vous-même n'entendiez son silence....

 Et si vous lui demandez la relation entre Dieu et lui-même... 
il vous répondra qu'il n'en sait rien...
ou du moins qu'il ne sait y penser.
 
Sans doute un certain aham, un certain "
je" résonnait en lui autrefois...
 et ce "je" accaparait toute sa vie... 
un jour - comment cela se fit-il ? ...il l'ignore ?..., mais cela arriva
ce "je" s'évanouit au sein de sa conscience...

 Et si le "je" continua à sortir de ses lèvres, ce fut comme par habitude...
 à la façon dont l'on use d'un vêtement dont n'importe ni la forme ni la couleur...
par pure nécessité pratique...
car sa vie, en attendant la suprême délivrance , n'est pas totalement séparée des hommes et de l'univers...
 
En réalité, au tréfonds de sa conscience, c'est un autre JE ,-qui désormais s'élève...
 que seul il entend...
 le « JE » unique et suprême.

Pourquoi se tracasser qu'il soit un ou deux avec Dieu selon le dilemme que lui posent les soi-disant sages ? 
Pour le  << savoir », ne lui faudrait-il pas quitter sa contemplation ?
la fixité de son regard intérieur sur l'unique Soi ?
retomber en un monde qui pour lui n'existe plus, au mirage de maya ?
 

Le pût-il, à quoi bon le faire ? 
Sa foi le renseigne en cette matière, 
il se" contente" des formules que lui ont léguées ses pères. 
Pour lui, il est entièrement fixé au Mystère du Moi et du Soi divins,
 au Mystère de Celui qui EST.

 Que les savants ici encore discutent et théorisent
.Lui,
 dans le silence et la paix,
 ... se contente d'être...

Aussi bien nous ne savons guère en Orient nous intéresser à demain, à tout à l'heure, à la façon dont le font les Occidentaux,
soit pour les rêver,
soit pour les préparer.(...)

 Seule nous intéresse vraiment, quoi qu'il puisse en paraître,
 cette atteinte, en notre tréfonds, de l'acte d'être, en son éternel présent,
cet instant, insaisissable aux hommes engagés au tourbillon du samsàra 
instant qui sépare ce qui fut et n'est plus avec ce qui sera...

L'Occident est fasciné par le futur, finalisé par le futur;
 il lui faut oeuvrer, il lui faut agir.
 Il lui faut réaliser l'avenir,
 Il lui faut se projeter dans l'avenir, faire l'avenir sien.
 Il fait des plans à courte ou longue échéance,
 il vit dans les lendemains
 il vit dans ce qui n'est pas, dans ce qui peut-être jamais ne sera

Je ferai ceci et je ferai cela... 
je construirai de nouveaux greniers, j'y entasserai mes richesses, et mon âme aura de quoi se réjouir pour de nombreuses années....
Insensé ! dit Dieu... cette nuit-même, ton âme ne te sera t-elle pas redemandée ? (Luc 12,18-20).

Ainsi il s'agite et est-il toujours en avance de minutes, de jours, d'années.
Il se presse,  se précipite.... 
Et le jour où pour lui le temps s'arrête,
 à la façon de l'avion lancé à pleine vitesse qui brusquement touche le sol,
 c'est la culbute, le capotage
 Car jamais, il n'a su s'arrêter, calme et tranquille ,
 là précisément où il était.

Le sage qu'a formé l'Inde vit, lui, dans le
présent;
sa préoccupation n'est pas de réaliser un avenir quelconque ou de se réaliser en un futur imprévisible... 
il ne s'agit pour lui que de réaliser le présent,
de se réaliser soi-même en son éternel présent, 
de découvrir son propre être en l'éternité de l'instant présent.
 
L'être et le présent ne sont-ils pas de mesure divine ?

Certains spirituels d'Occident ont préconisé parfois la valeur ascétique de l'attention au moment présent :
 « Le sacrement du moment présent » l'ont-ils même appelé.
 
Combien plus profond encore est le sens donné par l'Inde à cette pratique;
 et combien réellement le moment présent a-t-il valeur sacramentelle :
 c'est lui seul qui nous donne Dieu.

Le sage se contente d'être. 
L'unique travail pour lui, est d'écarter successivement les voiles, de plus en plus ténus, qui cachent son être, 
qui lui cachent le présent, 
qui lui cachent l' éternité.

 Et lorsqu'il a découvert l'être en le moment présent 
en sa conscience d'être, 
l'éternité désormais sans durée ni succession de cet instant sacramentel,
avec quelle félicité (ananda),
avec quelle  paix (shanti), 
avec quelle  plénitude ne vit-il pas en cet instant éternel 
en cet Être qu'il a enfin rejoint en soi et en toute créature !

Il est !

Il est dans le feu de branchages sur lequel il souffle,
Il est dans le bois qu'il ramasse.

 Il jouit de l'être !

Il jouit dans l'oiseau qui  chante, 
dans le vent qui lui frôle le visage, 
dans le dévot qui se prosterne devant lui, 
dans celui qui l'insulte et lui refuse l'aumône

L'Être seul est pour lui
 
Toutes ses formes sont maya ( illusion) 
l'être Lui  est absolument pur, 
dans sa majestueuse nudité 

Il est fasciné par l'acte d'être,
 au point de ne plus pouvoir même avoir d'attention pour les colorations maya-iques 
-qui le révèlent et le voilent à la fois aux hommes, "à ceux de ce monde" -
 
Il n'a plus d'attention pour les multiples et diverses manifestations de cet acte d'être, 
pour les nama-rupa, les noms et les formes des choses de l'univers.

Et en soi d'abord, cet acte d'être est conscience d'être,
conscience libérée de toutes ses limitations ,
toute immergée en cette Suprême paix et cette Félicité Suprême
shànti, ânanda
en laquelle il n'est plus ... (sinon de façon transcendante)...
ni peine ,ni plaisir,
ni crainte ,ni désir,
ni hier ,ni demain
ni altérité ,ni paire d'antinomies  quelconques.


Cette conscience d'être, 
partout répandue, partout retrouvée, 
« une fois atteinte, le moyen d'agir s'appelle le repos ».
(Bhagavad Gità, VI,3)

 


Les dévots vont de temple en temple,
 de lieu sacré en lieu sacré, 
de pèlerinage en pèlerinage. 

Un seul pèlerinage sied au sage,
le pèlerinage du dedans,
le pèlerinage qui se dirige vers l'être,
le pèlerinage dont le but est le Soi
la révélation du fond,
la révélation du Soi, 
en cette ineffable pure conscience d'être.

Et c'est ainsi que la Bhagavad Gitâ obtient son sens définitif, lorsque le sage a enfin découvert que Sri Krishna est dans son mythe la prestigieuse personnification de l'Être, 
de la conscience d'être, 
vers laquelle s'efforce et qu'atteint le dévot,
le pèlerin de l'être, sous toutes les formes du dehors d'abord,
et bientôt, mystérieusement attiré par la sibilance intérieure, 
dans le recueillement au sein du fond.

La conscience d'être...
 
La conscience d'être c'est la ruine de la conscience d'être ceci ou cela. 
La notion « je suis ceci ou cela » disparaît définitivement quand luit au centre de la crypte du coeur,
 le JE suprême,
 à la façon dont s'évanouit au matin la lumière réfléchie de la lune, fût-elle en son zénith, lorsqu'à l'horizon apparaît le soleil,
Celui qui par soi-même resplendit.

Simplement être,
 
sat

 Et dans cette nudité d'être (kevala),
 la conscience  et la félicité (cit et ananda),
 le Mystère du connaître et de l'amour se révèlent...

Au sein du fond, en la ténèbre suprême de la crypte une seule flamme jaillit. 
Qui dira jamais le secret que cache la flamme en son intime, 
le Mystère de l'être ?
le Mystère des Trois ?



 Celui-là seul le connaîtra,
 mais plus jamais ne saura le redire,
 qui en la flamme tombé,
 en la flamme consumé,
 sera devenu l'Unique...

 

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