Grégoire de Thessalonique
QUE, TOUS LES CHRÉTIENS DOIVENT PRIER CONTINUELLEMENT
Qu'on n'aille pas penser, frères chrétiens, que seuls les prêtres et les
moines ont le devoir de prier continuellement, et non les laïcs.
Non, non....tous les chrétiens ont en commun le devoir de se trouver toujours en prière.
Le Patriarche de Constantinople Philothée écrit dans la Vie de saint
Grégoire de Thessalonique, que celui-ci avait un ami bien-aimé nommé Job,
homme très simple, très vertueux. Un jour que le saint était en
conversation avec lui, il lui parla de la prière, il lui dit que tout chrétien devait
simplement toujours s'efforcer de prier, et prier continuellement, comme l'ordonne l'apôtre Paul à tous: "Priez continuellement
"'... et comme le dit le
prophète David, bien qu'il fût roi et eût tous les soucis de son
royaume : "J'ai toujours le Seigneur devant moi "', c'est-à-dire : par la prière, dans
mon intelligence, je vois toujours le Seigneur devant moi. De même, Grégoire le Théologien enseigne à tous les chrétiens qu'il nous faut, dans la
prière, nous souvenir du nom de Dieu plus souvent que nous prenons notre respiration
.
La chose parut nouvelle au vieillard Job, et il se mit à
contester.
Il dit au saint que la prière continuelle est le seul fait des ascètes et
des moines qui vivent en dehors du monde et de ses distractions, mais qu'il
est impossible que prient toujours ceux qui sont dans le monde et ont tant de
soucis et de travaux.
Le saint lui donna encore d'autres témoignages,
d'autres preuves irréfutables. Mais le vieillard Job ne se laissa pas persuader.
Alors le divin Grégoire, fuyant le bavardage et la discussion, se tut.
Et
chacun rentra dans sa cellule.
Plus tard, quand Job priait seul dans sa cellule, un ange du Seigneur lui apparut, envoyé de Dieu qui veut le salut de
tous les hommes.
L'ange lui reprocha d'avoir contesté ce que lui disait saint
Grégoire et de s'être opposé à lui sur des choses dont il est évident qu'elles
sont la source du salut des chrétiens.
Il lui ordonna au nom du Dieu saint
d'être attentif désormais et de se garder de rien dire contre une telle oeuvre si
utile à l'âme, car il s'opposerait à la volonté de Dieu.
Il lui interdit donc
d'accepter en lui désormais une pensée contraire, et il lui demanda de considérer les choses conformément à ce que lui avait dit le divin Grégoire.
Alors
le vieillard Job, cet homme simple, alla aussitôt voir le saint. Il tomba à ses
pieds et lui demanda pardon de s'être opposé à lui et d'avoir contesté ses paroles. Et il lui révéla ce que l'ange du Seigneur lui avait dit.
Voyez-vous, frères, que tous les chrétiens, du plus petit jusqu'au plus
grand, ont tous en commun le devoir de prier continuellement, de dire la
prière intellectuelle "Seigneur Jésus Christ, aie pitié de
moi", et
d'accoutumer leur intelligence et leur coeur à la dire toujours ?
Considérez-vous
combien cette prière plaît à Dieu et quel avantage elle nous donne, dès lors
que, dans son extrême miséricorde, il a envoyé un ange céleste pour nous le
révéler, pour que nous n'ayons plus là-dessus aucun doute ?
Mais que disent les hommes qui vivent dans le monde ?
"Nous sommes
au milieu de tant d'affaires et de soucis. Comment est-il possible de prier
continuellement ? "
Je leur réponds: "Dieu ne nous a rien demandé d'impossible. Il ne
nous a ordonné que ce qu'il était en notre pouvoir de faire.
Tout homme
qui, en s'en donnant la peine, cherche le salut de son âme est capable de
parvenir à la prière continuelle. Car si la chose était impossible, elle le serait
pour tous les laïcs, et il ne se trouverait pas tant d'hommes dans le monde
pour y parvenir.
Le père de saint Grégoire en est un exemple entre bien
d'autres. Cet homme admirable, nommé Constantin, travaillait dans le palais
du roi. On l'appelait le père et le maître du roi Andronique. Il s'occupait
chaque jour des affaires royales, sans parler des affaires de sa propre maison, car il était très riche, avait de nombreux domaines, des serviteurs, sa
femme et ses enfants.
Malgré tout, il ne se séparait jamais de Dieu. Il était si
adonné à la prière intellectuelle continue qu'il en oubliait souvent ce que lui
disaient le roi et les ministres du palais à propos des affaires du royaume, et
qu'il devait les interroger plusieurs fois sur les mêmes affaires. Il arrivait
que les autres ministres, quand ils ignoraient la cause, en étaient contrariés
et lui reprochaient d'oublier si vite et de troubler le roi en répétant ses
questions. Mais le roi, qui savait la cause, le défendait et disait: "Constantin,
l'heureux homme, a ses propres pensées. Et elles l'empêchent d'être attentif
aux affaires provisoires et vaines dont nous parlons. Mais son intelligence est attachée à ce qui est
vrai, aux choses du ciel. Et il oublie les choses
terrestres. Car toute son attention est dans la prière et tournée vers Dieu."
Comme le raconte le saint Patriarche Philothée, Constantin était donc
vénéré et aimé du roi et de tous les grands et des ministres du royaume,
comme il était aimé de Dieu au point qu'il lui fut donné de faire des
miracles.
(...)
Frères chrétiens, je vous en prie donc avec le divin Chrysostome, pour
le salut de vos âmes, ne négligez pas cette oeuvre de la prière.
Imitez ceux
dont nous avons parlé. Et autant que possible, suivez-les. Si la chose vous
parait difficile au début, soyez sûrs et certains, comme venant de Dieu
lui même qui domine l'univers, que le propre nom de notre Seigneur Jésus
Christ, invoqué par nous chaque jour et continuellement, aplanira toutes nos
difficultés, et qu'avec le temps, quand nous nous serons accoutumés à ce
nom, quand nous aurons été comblés de douceur en lui, nous saurons d'expérience que son invocation continuelle n'est ni impossible ni difficile, mais
possible et aisée. C'est pourquoi le divin Paul qui, mieux que nous, savait
le grand bien que nous fait la prière, nous exhorte à prier continuellement
.
Or il n'a pas voulu nous recommander une chose difficile et impossible,
que nous ne pourrions pas faire; nous aurions alors nécessairement désobéi,
nous aurions transgressé son ordre, et par là même nous aurions été
condamnés. Mais le but de l'apôtre en disant
"Priez continuellement"
était
que nous priions avec notre intelligence; ce qu'il nous est toujours possible
de faire. Quand nous travaillons de nos mains, quand nous marchons,
quand nous nous asseyons, quand nous mangeons, quand nous buvons,
nous pouvons toujours prier avec notre intelligence et porter en nous une
prière intellectuelle qui soit vraie et plaise à Dieu.
Nous pouvons travailler
avec le corps et prier avec l'âme.
L'homme extérieur peut accomplir toutes
les tâches corporelles, et l'homme intérieur être entièrement consacré à
l'adoration de Dieu, toujours porter cette oeuvre spirituelle de la prière de
l'intelligence.
C'est ce que nous demande Jésus, le Dieu Homme, quand il
dit dans le saint Évangile : "Quand tu pries, entre dans ta chambre, ferme la
porte sur toi et prie ton Père qui est dans le secret '."
La chambre de l'âme
est le corps. Les portes de notre être sont les cinq sens. L'âme entre dans sa
chambre quand l'intelligence cesse d'aller et venir dans les choses du
monde, mais se trouve au milieu de notre coeur. Et les sens demeurent fermés, quand nous ne les laissons pas s'attacher aux choses sensibles et
visibles. Ainsi notre intelligence est libérée de toute activité du monde. Par
la prière intellectuelle secrète, elle s'unit à Dieu son Père. Le Christ dit
alors : "Ton Père qui est dans le secret te donnera clairement ta récompense
." Dieu, qui connaît le secret des coeurs, voit ta prière intellectuelle,
et il la récompense en te donnant de grands charismes visibles.
Car cette prière intellectuelle est la
vraie prière, la prière parfaite. Elle
emplit l'âme de grâce divine et de charismes de l'Esprit, comme le parfum
dont l'odeur, dans le vase, est d'autant plus forte que tu l'y as enfermé.
Ainsi de la prière.
Plus tu l'enfermes dans ton coeur, plus elle comble le
coeur de grâce divine.
Bienheureux ceux qui s'adonnent à cette oeuvre
céleste. Car par elle ils surmontent toutes les tentations des démons malins,
comme David a vaincu l'orgueilleux Goliath ; par elle ils éteignent les
désirs désordonnés de la chair, comme les trois enfants ont éteint la flamme
de la fournaise ; par elle ils apaisent les passions, comme Daniel calma les
lions sauvages ; par elle ils font descendre la rosée du Saint-Esprit dans les
coeurs, comme Elie fit descendre la pluie sur le Carmel .
C'est cette prière
intellectuelle qui monte jusqu'au trône de Dieu, et est gardée dans des
coupes d'or, d'où s'élève son parfum vers le Seigneur, comme dit Jean le
Théologien dans l'Apocalypse : "Les vingt-quatre vieillards se prosternèrent devant l'Agneau avec leurs cithares et des coupes d'or pleines de
parfum, qui sont les prières des saints ." Cette prière intellectuelle est une
lumière qui éclaire toujours l'âme de l'homme et allume son coeur aux
flammes de l'amour de Dieu. Elle est une chaîne qui joint et unit Dieu et
l'homme.
Ô la grâce incomparable de la prière intellectuelle !
Elle donne à l'homme d'être toujours en dialogue avec Dieu.
Ô chose vraiment
merveilleuse !
Tu es avec les hommes par le corps, et tu es avec Dieu par l'intelligence.
Les anges n'ont pas de voix matérielle. Mais ils ne cessent de
glorifier Dieu avec leur intelligence. C'est leur oeuvre. Et ils y consacrent toute leur vie.
Donc
toi aussi, frère, quand tu entres dans ta chambre et
fermes la porte, c'est-à-dire quand ton intelligence ne se disperse pas ici et
mais quand elle entre dans ton coeur, quand tes sens demeurent fermés et
s'attachent pas aux choses de ce monde, quand ainsi tu pries toujours avec ton intelligence, tu es pareil aux saints anges, et ton père qui voit la
prière cachée que tu lui offres dans le secret de ton coeur te donnera en
récompense de grands charismes spirituels.
Mais que veux-tu d'autre et davantage qu'être toujours uni à Dieu par
le
noûs
comme nous
l'avons dit et continuellement t'entretenir avec lui, sans lequel, ni ici ni dans l'autre
monde nul homme jamais ne pourra être bienheureux ?
Donc, frère, qui que tu sois, quand tu prendras dans tes mains ce livre et
liras pour le bien de ton âme, je te prie, souviens-toi d'invoquer Dieu, de
"Kyrie
eleison" pour l'âme pécheresse de celui qui s'est donné la peine
composer ce livre et de celui qui l'a publié. Ils ont grand besoin de ta
prière, pour que la pitié divine vienne sur leurs âmes comme sur la tienne.
A