Sur le mal...

 

Il y a longtemps que l'on me demande une méditation sur ce sujet...
pourtant il n'est pas facile d'écrire sur ce thème...on hésite au moment de toucher Le Mystère...
on le porte en soi secrètement à l'état de question...parfois même de torture..
.et quand il faut parler comment se sentir prêt ?...

Pourtant le problème du Mal est sans aucun doute à l'origine de ma Foi...et de celle de beaucoup d'autres...

Alors je me mets en route... esperant  ne pas trop  blesser...ne pas trop choquer... ne pas trop éluder non plus..
conscient que je n'épuiserai pas le problème et me contenterai de poser quelques jalons...
et persuadé que seul LUI peut nous répondre...dans le silence d'une oraison...

et bien sûr humblement à votre écoute... : Rmitte@aol.com

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En guise de première approche...

 

Quand on parle du mal  me vient tout de suite à l'esprit le livre de Job( qui sera prochainement disponible dans la Bibliothèque)...
Je vous invite à le relire...

En présence de la souffrance ...les amis de Job firent d'abord silence...les mots n'avaient plus cours...

" Fixant les yeux sur Job, ils ne le reconnurent pas...alors ils éclatèrent en sanglots...chacun déchira son vêtement et jetta de la poussière sur sa tête...puis s'asseyant près de lui restèrent ainsi pendant sept jours et sept nuits...aucun ne lui adressa la parole au spectacle d'une si grande douleur ( Job 2, 12-13)"...

Ce silence permettra à Job de crier sa détresse ... de hurler sa douleur...

Ce n'est que lorsque que la plainte deviendra trop amère et trop longue qu'ils se permettront de lui répondre...
mais leurs paroles au lieu de soulager ne feront qu'enfoncer davantage...
ils ne pourront se résoudre à ce face à face avec l'absurde... 
le manque d'explications devant la souffrance...

La souffrance la plus insupportable est celle à laquelle on ne peut donner sens...   
ses amis comme lui y sont confrontés ...
... diagnostics...explications...et autres recherches de causes qui accablent plus qu'ils ne soulagent...qui culpabilisent plus qu'ils n'apaisent...

Ainsi devant la souffrance à quoi bon accuser... se lamenter... discourir... ou expliquer...
la première attitude est de seulement  de prier...
prier et faire silence...
prier pour chercher à appaiser...

Un être se recueille en son fondement pour écouter l'autre dans ce même fondement...
de coeur à coeur...dans le silence de la prière...
pour rencontrer l'autre en vérité...
ou pour confier à l'Autre le soin de le faire ...
silence pour écouter...
pour permettre à la douleur de se dire...de se raconter...
silence pour mieux appaiser...

Puis

Suivant ses propres racines... culturelles ou religieuses...
Suivant ses convictions , ses croyances les plus intimes...
surtout pour celui qui subit... l'approche se fera différente...

Pour certains la souffrance, la maladie, la mort sont considérées comme plus ou moins  illusoires...
elles appartiennent à la condition d'un être relatif .. le MOIi...l'EGO...
...paquet d'empreintes... amas de mémoires...de projets ... de prétentions...
dont l'existence ne résiste pas à l' analyse méditante, rigoureuse et constante...
attitude du Bouddhisme...
que l'on retrouve aussi dans la Bible  chez le Qohélet...
nous l'avons détaillée déjà...il vous faut lire ou relire...

Pour d'autres ...
le plaisir, la souffrance, la maladie et la mort ne sont que des épiphénomènes... des enchainements de cause à effet du Karma..de sa roue infernale...du Samsara...
.
Nous méritons par nos actions notre destin... il faut s'en prendre à soi-même...
nous pouvons toujours renforcer ou alléger la tension de ces chaines...
cela ne dépend que de nous...

Mais tout acte même s'il ne se juge pas se paye...
les actes" positifs" pouvent  conduire à la délivrance ultime ,définitive et attendue... "vie" désormais sans retour...
déconditionnée des entraves de l'espace et du temps...

Dans le cas contraire la vie doit continuer de corps en corps...
" à la façon d'un homme qui a rejeté ses  vieux vêtements pour en prendre de nouveaux..."
......l'âme quand à elle (atman) passe de corps en corps...
le corps n'est qu'un accident...
l'Atman seul est réel...

Personne à accuser... pas de dieux à maudire...
je ne suis que ce que mes actes m'ont fait...il suffit d'accepter...
d'ouvrir l'ego vers le Soi...si l'on veut s'en sortir ..
pour aller demeurer indéfiniment dans le grand Tout...

Le fleuve retourne à la mer et la goutte d'eau redécouvre  l'océan dans l'effacement des vagues...
...ainsi le Gange  charrie les résidus de la mort...
cendres légères qui semblent montrer que l'Atman a rejoint sa vraie patrie...

tu peux relire à ce sujet mes textes sur l'Hindouïsme

 

Pour d'autres encore...

La souffrance, la maladie et la mort sont des scandales dont il faut se préserver ... se délivrer à tout prix !
La mort marque la fin definitive de la vie... et de l'être...
...interruption d'un fonctionnement biophysique et neurophysiologique...
...fin de l' inter-relation aléatoire de nos atomes et de nos molécules...
du jeu sans règle de nos synapses et de l'agitation angoissée de nos matières grises...   aptes seulement à produire quelques élucubrations consolantes...
qui ne vaudront jamais un bon remède ...
...ou le calme retrouvé d'une camisole chimique...
ou mieux encore d'un vrai cocktail lytique...

souffrir le moins possible et trouver son plaisir au jour la journée...comme l'écrira un jour Voltaire à Mme du Deffand:

"Vous m'affligez Madame, je voudrais vous voir heureuse dans ce plus sot des mondes possibles, mais comment faire ? c'est déjà possible de n'être pas du nombre des imbéciles et des fanatiques qui peuplent la terre... c'est beaucoup d'avoir des amis... voilà deux consolations que vous devez sentir à tous les moments....
Si avec celà vous digérez bien, votre état sera tolérable...
Je crois que toute réflexion faite qu'il ne faut jamais penser à la mort, cette pensée n'est bonne qu'à empoisonner la vie...
.La grande affaire est de ne pas souffrir car pour la mort on ne sent pas plus cet instant que celui du sommeil.
Les gens qui en parlent, qui l'annoncent en cérémonie sont les ennemis du genre humain, il faut défendre qu'ils ne s'approchent jamais de nous.
La mort n'est rien du tout. L'idée seule en est triste.... N'y songeons donc jamais et vivons au jour la journée. Levons-nous en disant: <<Que ferais-je aujourd'hui pour me procurer la santé et de l'amusement ?>> C'est à quoi tout se réduit à l'âge où nous
sommes"

Longue  tradition qui depuis Sénèque nous exohorte à mépriser la mort...
attitude qui justifie tous les mensonges... toutes les fuites...
ne pas attrister...ne pas dire...
seulement distraire... et mentir...
laisser rêver à de futurs voyages...des projets de fêtes ou de constructions à venir...

Pourtant l'homme est structuré pour mourir...c'est un être pour la mort...
sa grandeur et son sens sont dans la contemplation de cette évidence...

Je suis né sans savoir pourquoi
J'ai vécu sans savoir comment
Je meurs sans savoir pourquoi ni comment

 

Las...le désespoir survient alors bien vite !...
l'aspiration au suicide... à l'euthanasie ... à l'avortement aussi...
tout ce qui fait mal ou encombre on le jette...
que ne ferait-t-on pas pour préserver son petit ego !...
...ou du moins l'image immédiate que l'on s'en fait...
tant pis pour les autres !...
et heureusement que ceux-ci n'ont pas eu encore pour nous le même idée !...


Celui qui refuse comme une fiction toute ouverture spirituelle, métaphysique ou religieuse...
un autre chose que la matière..
Celui qui ne sait pas contempler et s'émerveiller devant la nature et la vie...
n'en connait pas non plus le prix !

Sa vue et sa vie se limitent aux replis de son ventre...
tels sont hélas le plus souvent beaucoup de nos contemporains assoupis...

Pour d'autres enfin...

la mort  et la souffrance sont des lieux de passage... des temps d'épreuves auxquels ils savent donner du sens...
Tel est le message des chrétiens en ce monde...

Pour eux la mort peut être considérée comme un passage... dans un espace-temps intermédiaire...
ou comme un passage dans un non-espace-temps que l'on appellera vie incrée ...ou vie éternelle...

La pire des souffrance est celle à laquelle on ne peut pas donner de sens...

Nous avons tous été malade un jour...  ressenti un malaise quelconque..
et ce que l'on appelle la  douleur...qu'elle soit physique... ou  morale...

Dès l'instant où l'on commence à résister à cette douleur... à refuser qu'elle soit... elle se transforme en souffrance...
la douleur fait partie des conditions mêmes de notre vie biologique...
et si les techniques actuelles permettent de la diluer...
la souffrance elle ...elle n'est pas inévitable...

Elle est fonction de notre conditionnement de notre mode de penser...
qu'est-ce que la souffrance si ce n'est notre façon de réagir à la douleur ?

Dürckheim note 4 façon de réagir devant la douleur...

La première est la plus commune et la plus fréquente...
la douleur n'a pas de sens... il faut à tout prix s'en débarasser... l'éviter...
c'est le recours au Thérapeute..

C'est aussi la première démarche de Jésus ...
qui ouvre aussi dans le même mouvement une autre voie...
prendre la douleur sur soi... la traverser...
la douleur peut être un chemin et non pas forcément une impasse...
un chemin vers une Ressurection...

la deuxième attitude non moins fréquente est de faire  occasion de la douleur  pour se prouver à soi même ...et surtout à l' entourage sa force de caractère... son abnégation....
Attitude qui n'est certes pas dénuée de valeur...
même si le plus souventce sont l'orgueil et la vanité. qui la guident..
ou le désir de plaire...parfois même à soi...

La troisième attitude est patience et endurance...
... remplie  parfois de pulsions plus ou moins masochistes...
temoins ces religieux assoifés de tourments ...qui croient plaire à Dieu en accumulant des mérites par une docilité totale à la douleur..
.Faisant fi du Psaume:


Si j'offre un sacrifice tu n'en veux pas
tu n'acceptes pas d'holocauste
Le sacrifice qui plaît à Dieu c'est un esprit brisé
tu ne repousses pas ô mon Dieu un coeur brisé et broyé (
Psaume 50)


Ce n'est pas en se faisant complaisant à nos pulsions de mort...que l'on s'abandonne en vérité au Dieu du Vivant !

Ce qui est sûr ...c'est que cette attitude favorise la maturation de l'être et l'oriente vers plus d'intériorité...
quelqu'un qui n'a pas souffert...ou peut souffert ne sait pas...il ne peut comprendre...
la valeur de la Vie...et de la santé...

"Heureux qui a connu l'épreuve Il est entré dans la Vie !" ( evangile de Thomas)

Reste qu'un certain nombre de personnes ne se posent pas de questions à propos de la douleur et de la souffrance...
attitude peut être des simples ou des sages ?...
attitude des animaux qui vivent au jour le jour leur douleur... mais n'en font jamais une souffrance...
... Innocence en deça  de la dualité et des oppositions plaisir/déplaisir,... bonheur/malheur... vie/mort...
état d'apathéia des Saints qui adhèrent à tout ce qui Est...
sans interprétation ni jugement... comme  manifestation de l'Unique Réel...
comme manifestation de l'Être ...

La fuite de la douleur qui est le plus sûr moyen pour que celle-ci nous rattrape et nous submerge...
cette fuite est souffrance..
ne plus fuir...faire face... ou plutôt ne faire plus qu'UN avec elle...l'épouser...

Pas vers la grande   Profondeur...
saut sur le Chemin qui mène à la Renaissance ...à  l'Unité avec le Soi...
mais qui suppose d'abord l'anéantissement de l'ego...

... le grand Meurs et deviens !

 

Il faut franchir les limites naturelles de notre capacité de sentir et de souffrir...pour que se lève une Lumière jusque là inconnue ..
il faut traverser les ténèbres...

La souffrance devient alors féconde...aussi longtemps qu'elle n'éteint pas ou n'altère pas la conscience...
accepter l'inacceptable...
il est alors possible d'atteindre l'échelon supérieur...de traverser le mur...
l'impasse qui se rétrécit... ne permettant bientôt plus que le saut devant l'inéluctable...

 

A ces 4 attitudes on peut en ajouter une cinquième...

celle rencontrée dans certaines formes de Bouddhisme et dans le Christianisme...

Là, la douleur est occasion  de grandir en courage et en conscience...
occasion de témoigner aussi de la liberté d'un Esprit au-delà de la souffrance...
de témoigner  d'un plus grand Amour dont les qualités humaines et supra-humaines sont rédemptrices...
occasion d'offrande..pour le bien être de tous ...
offrir car on ne comprend pas...
offrir parce que nous ne sommes que créature...
offrir notre confiance aussi...
offrir notre cerrtitude que tout cela a du sens...
offrir notre foi...
offrir notre merci de l'existence...

Telle est aussi l'attitude des boddhisattvas qui acceptent de recueillir toutes les nuisances et négativités du monde... pour les transformer dans le creuset d'un coeur aimant en flamme d'Eveil...

Telle est l'attitude de Thérèse, de Van ...ou de Jésus...

Lui pourtant le Fils du Suprême qui se retrouve là...avec les autres...sans savoir pourquoi...
mais qui dans sa détresse et fidèle à son Père crie suspendu à son bois
"Tout cela je te l'offre pour eux...ils ne savent pas...montre-leurs... Je les aime...et Je t'aime Père..."

Ne pas avoir peur de la souffrance et des impuretés du monde ...
mais les aimer...
non pour s'y complaire, mais pour les transformer...

La grande compassion Bouddhique a fait voeu de partager  la souffrance humaine ... pour emmener tous les Êtres vers l'Eveil...
et d'en prendre soin jusqu'à ce que tous soient délivrés...

Résonnances étonnantes avec les propos de Paul de Thrace:
" achever dans sa chair ce qui manque à la passion du Christ... continuer dans son Esprit cet acte d'Amour pour que Dieu soit Tout en tous.."
Voie de Thérèse de Lisieux et de Saint Francois d'Assise..
il n'y a rien à faire d'autre que d'aimer...
et tant que cet Amour ne sera pas aimé...
la vie sera blessée de douleur...

Il ne s'agit nullement d'ajouter de la souffrance à la souffrance...
d'être malheureux parce que les autres le sont...
Il faut de la santé pour soigner les malades...
et seul celui qui est dans la Joie peut-être réellement blessé par le malheur d'autrui...

Pour être responsable de tout et pour tous ...
il faut d'abord mettre un peu de paix et de bonheur dans l'Univers...
aimer l'autre ...et soi même..
il y a un devoir à être heureux pour le bien de tous

mais souvenons nous

" Sans la traversée de la dérilection il n'y a pas pour l'homme de rédemption dans l'Être essentiel...il existe une séparation avec Dieu qu'il nous faut supporter"...

elle est inscrite dans notre nature même ...

C'est justement à celui que la grâce de l'union avec l' Être  divin a visité que cette grâce sera retirée...
Il se sentira alors abandonné de Dieu...la prière ne lui sera plus possible ...et comme anéanti il aura l'impression d'être rejeté, renvoyé à lui même...
il ne verra pas la raison de cette épreuve...

En fait elle est purificatrice...il faut détruire l'idole...celle de ses représentations...celle qu'il se construit de lui même...et celle qui s'est construite de Dieu et de Son Univers...


Il ne reste qu'à veiller avec patience... et silence...
veiller à tenir une lueur..
fidélité...sans savoir pourquoi...

Vivre le réalisme de l'humilité...
qu'as-tu que tu n'aies reçu ?

Peut-on aller plus loin que le Christ :?
qui crie "Pourquoi m'as tu abandonné ?"

...et puis il faut rêver du passage ...de la métamorphose profonde dont on ne peut rien dire...
elle nous déroute tant..
continuer d'être... sans plus d'espace ni de temps...
être Plein enfin...
comme Dieu...dans ce vide et cette absence...

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