C'est toujours une poursuite des lectures que l'on peut faire dans les différents ouvrages de Père Leloup que l'on trouvera ici...je m'en suis largement inspiré...sur ce sujet je vous conseille fortement la lecture de "Manque et Plénitude - éléments pour une mémoire de l'Essentiel-" chez Albin Michel (1994)...
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" C'est venu...
c'est venu... un moment... alors que les yeux de cet enfant de cinq ans luisaient de leur
éclat limpide...
C'est venu... quand cet arbre au lourd feuillage était immobile au soleil de midi, au
centre du jardin...
C'est venu ...quand le rocher blanc a surgi au milieu des broussailles en haut de la
montagne...tout près du ciel et des nuages...
C'est venu ...quand la goutte d'eau s'est gonflée au bout du
robinet chromé...puis s'est détachée...
...Dans l'instant où elle tombait avant d'atteindre la cuve blanche du lavabo... tout
celà s'est passé...tout celà...et bien d'autres choses encore...
L'infini... l'éternité qui étaient en moi ont fait explosion...ont avalé le monde qui
les contenait...ont avalé le corps qui les portait..."( Le Clézio)
... bon exemple de ce qu'est le Numineux...un
terme employé par Otto, Jung ou Dürckheim pour désigner l'expérience à la fois fascinante et terrifiante qui est à l'origine de tout devenir
spirituel ou mystique...
...d'autres parleraient d'illumination...de prise de conscience ..de
vision ...ou d'Eveil...
appréhension d'un "mystérium,
tremendum, fascinans."...
il est vrai que le mot mystique vient de Muein qui en grec signifie : se
taire, fermer la bouche...les yeux...devant ce que seul le Silence sait dire...
" Il y a des
instants où nous nous sentons soulevés hors de la réalité familière...Ce que nous
éprouvons alors semble ne pas être de ce monde...Il s'agit de moments singuliers,
empreints d'un merveilleux qui nous touche soudain...
Tout ce que nous vivons est alors imprégné d'une qualité particulière...une sorte
d'enchantement nous rend à la fois étranger et tout à fait nous-même...
totalement protégé en quelque chose de familier...
...impossible de dire ce que c'est...
et d'ailleurs si celà n'était pas indicible ce ne serait plus cela...
Même s'il s'agit d'un sens inconnu..cet insaisissable...ce "Tout Autre" est
cependant réel... car une force qui lui est propre en
émane...
...elle baigne d'une clarté et d'une valeur singulière notre conscience de vivre...pour
un instant, dégagé des puissances quotidiennes nous éprouvons une impression
d'extraordinaire liberté...
Si nous avons " des oreilles pour entendre" la Voix d'un Maître..(.qui n'est
pas notre petit moi centré sur lui-même )...est perceptible à ces instants...
Et à condition de posséder l'intuition juste, nous pressentons là, à travers les murs
de notre conscience...une vie inconnue et pourtant profondément familière...
cette vie fait de l'Être essentiel notre patrie...L "
( in Dürckheim Méditer)
Mystérium: la
Réalité que l'on éprouve n'est pas compréhensible... comparable à quoi que ce soit de
connu..
ce n'est pas seulement de l'inexpliqué ou de l'énigmatique...
mais nous sommes en présence du dissemblable...du non-pareil...du non-même...
...d'où stupeur...étonnement...surprise...
mais aussi...émerveillement...admiration...
Trémendum: le corps est toujours partie prenante dans l'expérience...secoué parfois de manifestations psycho-somatiques...bonheur devant cet inconnu, doublé d'angoisses face à cette Réalité à la fois incontournable et inassimilable...
Fascinans: Il y a dans cette expérience un " je ne sais quoi" qui attire...on touche à une Réalité "autre" ni bonne ni méchante...qui est les deux...mais ni leur somme ni leur mélange...mais qui est troisième...
Le Numineux nous introduit dans la Présence
d'un Absolu ou d'un Inconditionné que nous sommes...
Faut-il parler d' Être essentiel ?...
n'est-ce pas trop "chosifier" l'Ouvert dans lequel nous sommes ?...
mieux vaut parler comme Denys le Théologien d'un " mieux qu'être"...ni
être...ni non-être...
Que Dieu soit " Tout Autre" "au delà de tout" quoi de plus
compréhensible...Il est transcendance...
Que Dieu soit "tout nôtre" au dedans de tout quoi de plus
compréhensible...IL est immanence...
Mais que le " Tout Autre" soit précisément ici...que
l'au delà de Tout soit au plus près de nous ...voilà qui est proprement
incompréhensible !?!!...
Or, dans le langage théologique celà
s'appelle l'Incarnation...dans l'Evangile celà se nomme " Emmanuel"...
"Dieu avec nous"...
Dans le langage analytique on dira que le Numineux est ce moment ou un corps est
totalement investi par son Logos...
Il a toutes ses racines et tous ses espaces de sens...
l'être parlant s'exprime en lui de la moelle aux pores
la bouche bée crie sans mots...
L'étude ou l'anamnèse de ce moment
privilégié constitue pour Dürckheim le commencement d'une " psychologie
initiatique"...l'initiation étant pour lui ce chemin par lequel quelqu'un est
conduit au seuil de son propre Mystère...
centre ou noyau qu'il nomme "Être essentiel"
cet Être que l'on peut appeler aussi l'Ouvert ou l'Inconditionné...
Il faut se souvenir que le moi n'est pas tout... que toutes les représentations du Réel ne sont pas le Réel...il convient donc de se laisser saisir par une plus pure profondeur que le Soi...qui à travers les méandres de l'inconscient et du conscient me parle...
La nature
Pour beaucoup la nature est le premier
temple où le Numineux vient à notre rencontre...nous sommes alors touchés par une
qualité d'être ou de lumière qui ne relève pas seulement de la simple émotion
esthétique...ce n'est pas seulement beau comme un coucher de soleil...un lever de brume
au printemps...ou la très précise clarté du coquelicot parmi les blés...
c'est un moment où nous sommes cloués au sol...ouvert au ciel ...sans un mot dans les
veines...
Impossible de soulever
un brin de paille
sans soulever une étoile
( Isaac le Syrien)
Cette étroite interconnection de toutes choses
que découvre la physique contemporaine...nous l'éprouvons alors , avec toutes les fibres
de notre être...
tout à coup nous ne sommes plus seuls au monde...mais frères de galaxies..de sytèmes...
poussières d'étoiles...
La conscience duelle qui pose sans cesse le sujet devant l'objet est comme abolie...
Une unité qui n'est pas un mélange...mais le tutoiement innombrable des êtres et des
choses se révèle à nous...nous sommes réellement "dans " le paysage et non
plus "devant"...l'interprétation mentale que notre cerveau donne de ces ondes
sonores ou colorées que nous appelons "paysage"...
Alors c'est l'arbre..c'est la montagne qui viennent à nous...
Tout est immobile...tout est calme...tout est paisible...seul l'oeil du Merle a
tremblé...il nous regarde...
Nous connaissons ainsi un moment
d'entente..d'entièreté...avec cet autre qu'est la Nature...
Nous découvrons que le Logos qui informe toute chose est UN...
il y a écho entre notre sang et toutes les sèves du monde...
Le mystère est que le monde soit compréhensible, disait Einstein...que l'intelligence qui est en nous entre en résonnance avec l'Intelligence qui est dans l'univers...
Le Numineux est le moment de cette résonnance...
L'Art
Mais pour certains la nature est une langue
morte...un chiffre clos...et le sable du désert ensevelit plus qu'il ne caresse...
A ceux là le langage de l'art parlera peut-être davantage...c'est là que l'Être
viendra les toucher...au deuxième accord d'une symphonie...ou ce "bleu" sur une
toile dont on ignore l'auteur...
Le privilège cependant n'est pas seulement
d'écouter la musique ...mais aussi de pouvoir en jouer... aimer regarder les tableaux
...mais aussi de peindre...
on se sent alors investi d'un souffle plus grand que le sien...on se sent"
inspiré."...
ce n'est plus moi !...c'est la musique en moi !...
ce n'est plus moi..c'est la danse en moi...je suis dansé !...
ce n'est plus moi qui écrit! ...les personnages m'échappent disait Bernanos !
Cela ne dure que quelques instants...mystérieuse coïncidence de l'homme avec le plus profond de lui même...que l'on appelera muse ou génie...
On est frappé de l'humilité des grands
artistes ...comme des grands savants...
ils ressentent comme indécent de s'attribuer à eux-même la qualité de leur
inspiration...même s'il leur faut avouer beaucoup de travail pour traduire le
bouillonnement de leurs sources...
Le Tout Autre n'est pas nommé...il peut parfois être nié par une partie d'eux-mêmes...pourtant ils attendent la visite de l'Inconnu qui les inspire...qui les" ex-hausse" ... et qui parfois les brise...
Mais le transcendant ne parle pas qu'aux
artistes...il existe des façons inspirées d'écouter de la musique, de lire un poême...
ou tout simplement de danser...
on s'abandonne quelques instants à ce qui vous porte...et cet instant a une clareté qui
dure...et qui peut au détour d'une mémoire éclairer encore l'avenir...
la rencontre
la rencontre de l'autre peut être source de Numineux...
Elle peut commencer au simple niveau
érotique:" si vous saviez comme la peau est profonde" disait Valéry...
c'est là pour beaucoup de nos contemporains une voie d'accès au Sacré...
...plus que la Nature ou l'Art...
là une Vérité les a touché...là... Dieu s'est incarné...
Sous l'opacité du masque c'est parfois la
rencontre d'un visage ...de celui qui est reconnu comme soi même...
...ou dans son étrangeté..sa totale différence qui nous fascine et nous attire...quand
ce n'est pas sa fragilité d'être ou sa souffrance que l'on voudrait tant apaiser...
une porte s'est ouverte...par où s'est engouffré l'air pur d'une autre façon de
voir...de raisonner...de penser...
...une autre échelle de valeurs...et au fond une incroyable identité...
Il faudra pour celà peler l'oignon des différents masques qui permettaient l'échange...les cutures...les ego...les vécus...les inconscients...les héréditaires...pour découvrir le Soi dans sa nudité...l'Être...l'Autre...le Tout-Autre...
Ce qui se révèle n'est pas seulement un
"toi et un moi"...mais aussi un grand Troisième..
....parce que l'amitié ou l'amour ne dépendent pas seulement du toi ou du moi...mais de
ce Troisième...
nous pouvons alors nous rencontrer grâce à Lui dans nos différences...sans en être
séparé pour autant...
...l' Être nous unifie...et nous différencie dans le même mouvement...
...on peut bien être séparé de la personne aimée...ce qui nous a unis dans la
profondeur de l'instant essentiel demeure..
...le temps n'a pas d'emprise sur la qualité du Soi...quand bien même il éroderait au
point de les détruire les qualités du moi...
Il ya une certitude qu'expérimentent parfois
les amants au creux de leur corps...mais qui peut se vivre aussi dans la rencontre de deux
pensées: " Ce que je me formulais à peine, voici que tout à
coup que sa bouche l'exprime !"...
Dans la communion des pensées, on s'ouvre à la Présence de l'Esprit ou de la Conscience
qui l'a rendue possible...
Le corps, les pensées, les sentiments passent...ce qui s'est manifesté à travers eux demeure...
L'Etre au creux de la rencontre éveille
l'homme tout entier... corps, âme et esprit...
...alors on a l'impression que cette rencontre n'était pas le fruit du hasard...
...quelqu'un semblait la guider...et la gratitude devient Prière...
" Je ne remercierai jamais assez celui qui Est de t'avoir
rencontré..."
la liturgie
c'est un lieu privilégié de manifestation du
Numineux...est-ce le but recherché ?...
une religion ou une liturgie qui n'ouvrirai pas ( ou n'ouvrirai plus...suivez mon regard
!...) l'homme à cette dimension est une religion morte...quelque soient les grandes
idées qu'elle agite ou les effusions sentimentales qu'elle provoque...elle ne nourrit
plus alors l'homme en profondeur...
La liturgie ne s'adresse pas d'abord à l'homme
conscient...mais à travers rites et symboles elle vise l'inconscient et est plus proche
de la " sensation" que de la raison...
Il s'agit davantage de "sentir" que de comprendre..
les orthodoxes le savent bien quand ils parlent de la "sensation de Dieu
"... proximité avec ce qu'Il peut avoir de fascinant et de terrifiant en lieu et
place de "compréhension" de Dieu...qui est impossible...
" Quand j'étais
enfant...je ne comprenais rien lorsque j'allais à l'église...mais je sentais
infiniment...j'étais à genoux et je regardais...j'écoutais sans rien
comprendre...l'odeur de l'encens... les chants,...les beaux gestes du prêtre dans ses
merveilleux vêtements... le tintement des clochettes... les lumières des bougies... la
foule en prière...
...toute cette combinaison de couleurs, de sons et d'odeurs me plongeaient dans une
ambiance mystérieuse..et je m'y blotissais...
Il se passait alors quelque chose...quelque chose de très haut,
de"très profond, de très grand...
...ce ne sont ni les images, ni
les pensées qui comptent au cours d'une liturgie...c'est l'attitude...être là dans une
attitude de don ou d'abandon..
...alors, alors seulement "quelque chose" ou plutôt Quelqu'un peut naître et
se développer en nous...
Parce que la messe m'était incompréhensible mais chargée de mystères elle me tenait en
haleine...la Vérité dans l'insaisissable..."
( Göetman in dialogues sur le chemin initiatique )
Mais même si la liturgie est une
"cérémonie pour" il y aurait bien sûr un piège a vouloir à tout prix faire
cette expérience et "vouloir"connaître cet éveil à travers elle...
dans un lieu sacré comme ailleurs l'expérience numineuse relève de
l'innatendu...on ne saurait la provoquer...elle est pure
Grâce...
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Mais Hélas !....
Le Numineux n'apparait pas seulement dans des expériences aussi gratifiantes et lumineuses...c'est parfois ...et peut être plus fréquement que l'on ne l'imagine au cours d'expériences de souffrance et de destructuration de l'individu qu'il se manifeste...c'est la Via Crucis...la voie de la Croix...la voie sur laquelle le chapitre suivant vous invite...