Dans la tradition chrétienne il existe au moins trois formes d'expérience du désert...
Le désert comme fuite du monde, comme lieu d'affrontement avec les démons: le désert des ascètes...
Le désert comme fuite vers Quelqu'Un...lieu de rencontre et de noces avec l'Absolu: le désert des mystiques...
Le désert comme expérience du Rien et de la Vanité de toute chose...lieu de lucidité où tous les êtres sensibles et intelligibles se révèlent dans leur impermanence: le désert de l'Absolu...de la méditation transcendentale...
Ces trois déserts ne sont pas à opposer les uns aux autres...ils peuvent se vivre simultanément de façon complémentaire...
La plus ancienne communauté ascétique du Proche-Orient est
celle des Juifs esséniens qui se retirèrent dans les falaises de la mer Morte au IIe
siècle avant J.C. (dans le célèbre monastère de Qumran)
" La foule est grande de ceux qui sont attirés chez eux par le
dégoût de la vie ou les aléas de la fortune...ainsi depuis des siècles dure une nation
éternelle dont l'accroissement est du à la pénitence" ...
Plus tard ce sont les chrétiens qui partent vers le
désert...dés le début du IVe siècle ils attirent des disciples ...et pendant plus de
deux siècles " le désert fleurira" tranformé en " pré spirituel"
par des milliers d'anachorètes qui s'intallent dans des grottes, des trous creusés dans
le sol ou des cellules sommaires.. la grande famille des ermites....
Cachés dans des endroits inaccessibles ou groupés en véritables communautés
monastiques dans des déserts demeurés célèbres ( la Thébaïde, mont Sinaï , Gaza)
ils cherchent la Présence de Dieu par les voies externes de l'ascèse et de la
solitude...
Certains sont très connus: Antoine le tourmenté, Macaire l'intrépide, Pacôme qui après avoir mené une vie d'ermite crée en Thébaïde les premiers monastères chrétiens...
Le bruit des mots...des paroles sans consistance... avive en
eux une soif innée de silence..
.le quotidien érigé en absolu... l'histoire d'une famille... d'un village ou d'un pays
qui se prend pour le centre du monde leur apparaît comme une forme repoussante
d'idolâtrie...
Les yeux douceâtres de la convoitise...les cris répétés de la colère...les affirmations péremptoires d'êtres sans fondement...tout celà fait monter en eux l'haleine fétide des lassitudes et du dégoût...
Le désert leur apparaît comme une
issue à ce monde sans issue...
Là-bas peut-être trouveront-ils quelque apaisement... et un peu de silence pour leur
âme ?...
Il faut fuir la ville... ses étalages de fiente et ses montagnes d'ordures qui se cachent
parfois sous la peau trop douce des femmes et des enfants...
Et tous ces velours cramoisis que sont les richesses...la puissance et l'arrogance de ceux
qui bientôt étoufferont dans leurs grands airs... et pourriront comme tout ce qui est
matière...
Quelques uns restent au milieu du monde...on les prend pour des brutes, des fous... tellement sont insupportables leurs indifférences ou leur différence...et leur mépris des valeurs pour lesquelles se passionnent, s'enthousisasment... et se tuent la plus part des hommes...
Ceux qui quittent ainsi le monde par mépris ou par dégoût
ne tarderont pas à le retrouver...
La violence avec laquelle ils s'attaquaient à autrui se retourne contre eux-même...
Le dégoût de leur corps et de leur âme est proportionnel au dégoût qu'ils avaient des
vanités et des richesses...
Mais au désert l'Ennemi, le Mal, le Mauvais n'est plus à l'extérieur...il est au
dedans...il hante les nuits...brûle les membres de l'ascète...enflamme son imaginaire...
Le silence du désert apparaît alors plus encombré de cris...de chuchotements, de
blasphèmes...que les rues de la grande ville...et l'espace vide des sables plus habité
de verges tendues et de tétines halettantes que les maisons à lanternes de la
nauséabonde cité...
On connait le récit des tentations de Saint Antoine ! ...certains ont vu dans les démons qui l'assaillent les éléments non intégrés de sa psyché ...la projection sur l'écran vierge du désert de ses phantasmes les plus refoulés...
Il ne faut cependant pas passer à
côté de l'essentiel...
Le désert ce n'est pas fuir quelque chose...un quelquechose qui vous poursuit et que vous
retrouverez ailleurs...au plus profond de vous- même...
Le désert c'est fuir vers Quelqu'un ...
C'est une histoire d'amour qui ne supporte pas la distraction ou l'oubli...
On va au désert pour retrouver la mémoire de l'Etre qui nous fonde et qui SEUL peut nous donner la Paix...
Tu nous as fait pour Toi Seigneur et notre coeur est sans repos avant qu'il ne se repose en Toi !
Le vrai combat... au delà de cette lutte trop
complaisament décrite contre la chair ou un aspect du composé humain est avant tout une
lutte contre un esprit...un esprit qui pervertit l'homme dans son innocence et sa
profondeur...
Combat contre Satan ( l'obstacle)...l'obstacle entre Dieu et l'homme...entre l'homme et
l'homme...
ou contre le "diable" (diabolos)...celui qui divise...qui déchire l'homme en
lui-même...qui déchire sa relation privilégiée et naturelle avec le Divin...
Ce combat décrit dans l'Evangile lors de la Tentation du Christ au désert est la référence des anachorètes... ( Lire Matthieu 4, 1-11 ou Luc 4,1-13)
Il faut bien sûr relire Matthieu 4, 1-11 ou Luc 4, 1-13...et méditer longuement à l'aide de l'Esprit...
Sans chercher à faire l'exégèse de ce texte, rappelons que cet épisode explicite le refus qu'oppose Jésus à la tentation de s'imposer par la puissance, la magie ou la politique...et qui feraient de Lui un Messie triomphant...
Dieu est tout Puissant en Lui,...mais cette toute Puissance n'est pas celle des hommes qui cherchent à dominer...c'est celle de l'Amour, de l'Humilité et de la Patience qui cherche à servir et à sauver...
Au triple égarement du peuple de l'exode (
désir de la satisfaction immédiate, mise à l'épreuve de Dieu, idolâtrie...) Jésus
oppose une triple renonciation ( mort de soi-même, confiance, adoration)...
Chaque fois qu'au cours de son ministère il se retire dans un lieu désert, Il le fait
pour restituer à DIEU SEUL la Gloire de ses miracles... et pour renouveler le choix fait
une fois pour toutes dans le désert...
Christ refuse toutes les solutions qui ont la prétention de combler
le désir et de ne laisser subsister dans l'homme aucun "manque"...aucun
espace pour sa liberté...
Les hommes et les femmes du désert, à la suite du Christ, témoignent qu'il existe une AUTRE REALITE que la réalité terrestre...et que le désir
et la liberté de l'homme ne sauraient se satisfaire du "meilleur des mondes"...
surtout si ce monde ignore ce qu'il y a dans l'homme...son ouverture à la
Transcendance...à cet Incréé sans lequel il n'y aurait pas d'issue pour ce qui est
créé...
Le meilleur des mondes demeure un monde pour la mort...
L'espace du désert nous rapproche physiquement de l'Incréé qui nous fonde...mais la
proximité de cet abîme réveille en nous des peurs et des résistances...
Le moi tente encore de s'affirmer quand bien même il se dit sûr de sa défaite...il y
aura combat tant qu'il y aura un moi pour combattre...tant que l'homme ne sera pas "
non duel"...tant qu'il ne sera pas devenu désert..
...une grande place nue pour la Lumière...!
Si le désert est abyssal, il n'est pas
toujours sans visage...
Dire que le désert est vide n'est peut-être encore que la
projection du vide qui est dans l'homme...
Le désert est habité pour l'homme habité...pour l'homme a qui la Lumière incréée
s'est révélée non pas comme Rien mais comme Présence...
Le désert est alors un
lieu de Noces...
le lieu de la Rencontre entre Dieu et l'homme...
L'attirance pour le désert n'est plus fondée sur le dégoût du monde...ou sur la
nécessité d'une purification et d'un combat contre les illusions avec lesquelles
s'identifie l'homme...mais sur un appel...un désir
d'intimité avec la Transcendance perçue comme " Bien aimée"...comme Amant et
comme Aimant...vers lesquels on se sent irrésistiblement attiré dans l'oubli de tout le
reste...
" Voici que Je l'attirerai à Moi, Je la conduirai au désert et Je parlerai à son coeur...Je te ferai mon épouse pour toujours, Je te ferai mon épouse dans la Justice et le droit, dans la bienveillance de l'Amour " ( Osée 2, 16-21)
Saint Bernard se fait le chantre d'un tel désert et invite avec véhémence ses disciples à tout quitter pour mieux rejoindre un Dieu- Epoux de l'âme :
" Fuis le monde, fuis
même ta famille, éloigne - toi même des amis les plus intimes...
Celui qui désire entendre la Voix de Dieu qu'il se retire dans la solitude...
Cette voix ne résonne pas sur les places...
Un conseil secret exige une écoute secrète...
Dieu ne parle pas avec ceux qui se tiennent à l'extérieur d'eux-mêmes..."
Dans une lettre Saint Bruno dira aussi sa Joie
à l'occasion de ses expériences du désert...
mais sa Joie n'est pas celle d'un ermite qui a vaincu son ego et qui a désseché en lui
toute vie émotionelle...c'est la Joie d'un amoureux embrasé de l'amour de Dieu...
" Quelles délices
procurent la solitude et le silence de l'ermitage à ceux qui l'aiment...seuls ceux qui en
ont fait l'expérience le savent...
Ici l'oeil acquiert ce regard simple qui blesse d'amour l'Epoux...
il permet dans sa Pureté de voir Dieu !"
Dans ce désert il ne s'agit pas seulement de
se fondre dans l'UN ...
mais d'être uni à l'UN ...
et de demeurer dans cette communion qui n'efface pas ,mais au contraire affirme les
distinctions et la dualité du créé et de l'incréé...
Le désert est le lieu béant où se vit plus intensément
l'abîme qui sépare l'homme et Dieu...
abîme que seul l'Amour peut combler...
et cet Amour prend le Visage du Fils...
archétype de la synthèse sans confusion et sans séparation
entre l'homme et Dieu...
Quoi d'étonnant que les chrétiens trouvent au
désert non pas le vide... mais le Christ qui leur est plus intérieur à eux-même
qu'eux-même...
C'est en Lui et son Esprit que se réalise l'union avec Dieu...
Mais Saint Jean de la Croix le montre bien, que ce désert des mystiques tout rempli des ferveurs de l'Etreinte et des langueurs de l'Absence ...est aussi le désert des ascètes...il suppose la Purifiction des sens...de l'imaginaire...et de l'intellect...et le rejet du péché...
Tout ce qui est" humain trop
humain" est souvent réduit à néant dans la Présence de Celui qui se présente
parfois comme une "brise légère"... mais aussi
comme "un feu dévorant..."
Jean de la Croix n'est pas loin du désert des métaphysiciens quand il décrit la vanité
des appréhensions et des représentations d'un Dieu sans doute infiniment proche...mais
aussi inaccessible ...( sauf au gré de Sa Grâce...)
" L'âme en cette vie ne
peut goûter Dieu essentiellement...
Toute la suavité qu'elle éprouve fût-elle de la plus intense spiritualité ne peut
être Dieu !
Dès lors la volonté doit nier toutes ses affections distinctes...
Non seulement en effet nulle d'entre elles n'est Dieu...mais nulle d'entre elles n'est
l'Amour..
or la volonté ne peut s'unir à Dieu que par l'Amour..."
Comment décrire un tel Amour ?...
Qu'est-ce que Dieu que je ne puis ni penser, ni imaginer, ni sentir ?...
un Dieu désert ?
Saint Jean de la Croix nous invite à nous aventurer dans cette terre déserte...sans eau...sèche... et sans chemin que décrivait David et qui lui permettait cependant d'entrevoir la Gloire de Dieu :
" les suavités
spirituelles nous écartent de Dieu, mais la sécheresse figurée par la terre déserte
nous conduit vers Dieu...
Les concepts que notre intelligence construit ne nous approchent pas de Dieu...
alors que l'impuissance à fixer en Dieu le concept et à nous mouvoir à travers le
discours de la considération imaginaire...impuissance figurée par la terre sans chemin...nous
ferait sentir et voir la Force de Dieu... "
La métaphore de la nuit se substitue chez les
mystiques carmélitains à celui du désert...
il s'agit néanmoins d'une même expérience de dépouillement et de liberté à l'égard
du connu..
nudité dans laquelle peut se révéler l'essence de
l'Etre...dont l'étreinte d'Amour est comme l'écho et le symbole...
"Suivre NU le Christ NU voilà tout mon désert "
disait un moine de l'Athos à un groupe de jeunes attirés par des exotismes moins rudes auxquels ils donnaient complaisamment le nom de désert !
Le monde c'est la trop lourde présence des
choses où l'on sent parfois la trop vive Absence de Dieu...
Le désert c'est la trop dure absence des choses où l'on sent parfois la trop douce Présence de Dieu...
Cette Présence on aura de nouveau la tentation
de lui donner une forme...et de l'appeler par un Nom...
"Celui qui Est" est le nom le moins précis...hanté de vastitude comme le mot Etre...à condition qu'on le garde dans l'Ouvert...c'est à dire qu'on le conduise au
désert...
Emmener notre psyché ou notre psychisme au
désert c'est l'aider à faire le deuil de ce Dieu " Sujet supposé combler le manque
ou le consoler"...
c'est faire le deuil d'un Dieu psychique...d'une idée...d'une
idole...
Le désert nous conduit AU-DELA du Dieu psychique...
Il ne comble pas le manque mais l'OUVRE au contraire à une plus vive Vacance...
Les chercheurs de l'Absolu ne sont pas toujours
à l'aise avec les effusions des mystiques et leurs langage nuptial trop "
chosifiant"...
Ils ont leurs mots propres pour essayer de traduire une expérience tout aussi ineffable que la leur...et à côté de termes particulièrements
abstraits feront appel eux aussi à la métaphore du désert...
Nous citerons Maître Eckard et son commentaire anonyme qui résument bien l'esprit de ces penseurs qui des Rhénans ( Echkard, Tauler, Suso) du XIVe siècle aux théologiens apophatiques des premiers siècles ( Grégoire de Nysse, Grégoire de Naziance, Denys...) verront dans le désert non seulement un lieu de conversion et de combat ... un lieu de Rencontre et d'Amour avec le Créateur de tout ce qui Vit et respire... mais aussi un lieu où s'aventure l'Esprit au delà du tout intelligible dans le pur espace de la Déité...
Ce point immobile où l'instant et l'éternité ... le créé et l'incréé ne font qu'UN...
Ce point est la montagne
à gravir sans agir
Intelligence !
Le chemin t'emmêne
au merveilleux désert
au large, au loin
sans limite il s'étend
Le désert n'a ni lieu
ni temps
il a sa propre guise...
Ce point , ce grain de sable qui est auusi tout
le désert, il faut le gravir sans agir...
il est hors d'atteinte de notre vouloir ou de notre pouvoir...(
on retrouve là le rôle de la Grâce...)...
Ce point c'est la solitude suressentielle et insondable de la Trinité...de la Majesté
Divine qui est vraiment déserte et non foulée...car Elle est en un mot singulière et
cachée à toute créature...et il n'est donné à personne de La connaître telle qu'elle
EST...en vérité...
Car Dieu, personne ne l'a jamais vu et personne
ne le verra jamais...( humainement parlant)...
Toutes choses sont par l'Etre divin... mais IL est inhérent à aucune d'entre elles, car
IL est absolument pur de tout mélange...
C'est pourquoi parlant de la solitude ou singularité de ce désert... en quoi l'Etre
Divin passe toutes les bornes de l'intelligibilité... l'auteur ajoute:
Il a sa propre guise...
car c'est celle d'un être au-dessus de l'être qui donne toutes choses d'être...
Eckhard tente de dire ce qu'est ce désert...l
le Bien sans doute, mais quel est-il ce Bien ?...
Nul n'y est allé celà EST ... mais personne ne sait QUOI ?...
Le langage d'Eckhart se fait plus
paradoxal...il tente d'unir les contraires et de les dépasser...autant les affirmations
que les négations...car il est tout aussi faux de dire que celà est ou que cela n'est
pas...
comme il est vain de dire qu'au désert il n'y a rien à voir ou qu'il y a quelque chose
d'invisible à voir...
il faut casser les mots ...lire à tavers les lignes ou le grillage des lettres...
Ce désert est le Bien
par aucun pied foulé
le sens créé
Jamais n'y est allé
Cela est ...
mais personne ne sait quoi
C'est ici et c'est là
c'est loin et c'est près
c'est profond et c'est haut
c'est donc ainsi
que ce n'est ni ceci ni cela
c'est lumière et clarté
c'est la ténèbre
c'est l'innommé
c'est l'ignoré
libéré du début ainsi que de la fin...
Pourquoi ajouter des mots aux mots...dire ce qu'on ne peut dire ?...
Le poême d'Eckhart nous invite au Silence...
Le désert est ainsi silence de
l'esprit,...apaisement du mental... simplicité du coeur...
la béatitude des "pauvres en esprit" dont parle l'Evangile...
On rejoint ainsi par delà d'autres civilisations et d'autres horizons...d'autres écoles de pensée où le rien se fait TOUT...le Bouddhisme et le Zen en sont un riche exemple...
" Celui-là connaît parfaitement Dieu en cette vie, qui à son sujet garde le silence sachant que tout ce que l'on en peut penser ou dire est toujours moins que ce qu'est Dieu..."
La spiritualité du désert est aussi la
spiritualité de l'enfance...
Poser sur tout ce qui est un regard innocent, délivré de jugements et d'opinions...
voir les choses telles qu'elles sont sans surimposition de mémoires...sans projections...
Celà suppose un certain anéantissement du moi et un renoncement au vouloir
s'anéantir...
car qui veut être délivré de l'ego si ce n'est l'ego ?...
Il s'agit de dépasser l'être autant que le
non-être...vivre sans souci...sans pourquoi...l'homme désert ne cherche plus le
désert...
Un esprit devenu pure vacuité...pure réceptivité... accueille indifféremment le vide
et le plein...
Il ne suit plus aucune voie...son chemin a perdu toute borne...
Au désert seul comptent la Source et la Soif que donne l'Instant ...
Deviens tel un enfant
Rends-toi sourd et aveugle !
Tout notre être
Doit devenir néant
Dépasse tout être et tout néant
Laisse le lieu et laisse le temps
Et les images également
Si tu vas par aucune voie
Sur le sentier étroit
Tu parviendras jusqu'à l'empreinte du désert
Le commentateur ajoute:
" Denys enseigne qu'il y a trois voies qui mênent à Dieu.
La première est celle de l'apophase ou négation: "
Dieu n'est ni ci ni ça"...
La deuxième est celle de l'éminence: quand on trouve en la
créature une quelconque puissance on doit l'attribuer à Dieu ...
La troisième est celle de la causalité, comme lorque
l'effet nous conduit à la connaissance de la cause ou la connaissance du mouvement à
celle du moteur...
Je réponds qu'aucune voie ne peut parfaitement mener la créature au Créateur car
l'esprit qui pense à Dieu défaille, puisqu'Il est incompréhensible...
Le sens ne Le perçoit pas, puisqu'Il est invisible...
La langue ne peut Le dire ni l'expliquer puisqu'Il est ineffable...
Le temps ne peut Le mesurer, puisqu'Il est sans bornes...
Le lieu ne peut Le saisir, puisqu'Il est inassignable...
L'écriture ne peut Le donner à comprendre, puisqu'Il passe l'estimation...
la vertu ne peut L'atteindre, puisqu'Il est inaccessible...
et Il transgresse l'ordre des désirs et des souhaits, puisqu'Il n'est comparable à
rien...
en un mot toute créature rapportée à Dieu défaille, puisqu'il n'y a pas de proportion
de l'infini au fini...
ainsi pour celui dont l'intention est Dieu... il n'est pas de Voie qui conduise à la
terre déserte qui n'a jamais été foulée...
ET POURTANT...
Il y a un sentier étroit entre ce qui Est et
ce qui n'est pas ...
et qui sous la conduite de la Grâce conduit ainsi à la solitude abandonnée...
là ou l'errant ... orant contemplatif... est dit recevoir une
"maison"...le repos...un tabernacle...
dans la terre du sel...habitacle mobile dans le site brûlant de la sagesse...
Tu parviendras jusqu'à l'empreinte du désert ...
C'est LUI qui prendra l'initiative et viendra te chercher...ne l'a-t-il pas déjà montré..." Où es-tu ?...Où te caches tu ?..."
Il viendra à son heure...dans ce monde ou ailleurs...à Sa manière à Lui...la seule adaptée à ton cas..." Au gré de Sa Grâce "...
Qu'il soit ascète ...mystique ou chercheur d'Absolu... le chrétien revient du désert avec deux ou trois évidences...
La première est la Soif
l'autre est Poussière
la troisième pourrait être l'inattendu toujours espéré de la Source...
Source qui rendra possible cet habitacle mobile dans le site brûlant...
où nous sommes enfermés...comme ceux de la caverne de Platon...
Source...
Réponse à la Soif... et acqièscement à la Poussière...
Lumière. ..aussi
JESUS !...
Pourtant l'Esprit ne conduit pas au
désert pour faire de Jésus une idole...
Comme Jean- Baptiste s'efface devant le Christ " il faut qu'il croisse et moi que je
diminue"... le Christ lui-même s'efface devant le Père : " Celui qui croit en
Moi ce n'est pas en Moi qu'il croit mais dans Celui qui m'a envoyé..."aussi
" Il est avantageux pour vous que Je m'en aille..."
La Source ayant répondu à la Soif, creuse un
autre puits...avive une autre Soif...et conduit vers le lieu même d'où elle jaillit...
lieu qu'il ne s'agit plus de penser ni même de nommer...
Où est mon séjour où toi
et moi ne sommes ?
Où est la fin dernière vers laquelle je dois tendre ?
Là où l'on en trouve pas
Ou dois-je donc aller ?
Je dois monter encore plus haut que Dieu
Dans un désert...
Là... il n'y a plus ni Juifs, ni Chrétiens, ni Taoïstes ,ni Musulmans , ni Bouddhistes, ni athées...ni...
Il y a des hommes et des femmes que le désir de Vérité a conduit au-delà d'eux mêmes...
Il n'y a plus de Réalité si ce n'est la Réalité...
...et le vent violent ou la brise légère qui donne formes à ses dunes...
+
FIN de la méditation écrite...une autre commence...
( on retrouvera le texte complet accompagné de poêmes du Père Leloup dans
l'ouvrage " Désert, déserts" paru chez Albin Michel Collection Spiritualités
vivantes...
Que l'auteur et l'éditeur soient remerciés de l'autorisation donnée à publier ces
pages)