Un texte à méditer et à prier...lentement...en respectant les pauses...
Un grand MERCI ! au Père Leloup et aux éditions Albin Michel qui m'ont autorisé à publier ces pages tirées du livre " désert , déserts"...
Qu'évoque pour nous le mot désert ?
Silence, vastitude, vent brûlant ?...
Mais aussi mirages, soif, scorpions...
et la rencontre du plus simple de soi-même dans le regard étonné de l'homme ou de
l'enfant jailli d'on ne sait où entre les dunes ?
Il y a des déserts de pierres et de sables, du Hoggar, de
l'Assekrem, du Ténéré, du Sinaï et d'ailleurs...
le désert est toujours l'ailleurs...
un ailleurs qui nous conduit au plus proche de nous-même...
Il y a les déserts à la mode ,...où l'on se retrouve en
peuple bavard ...dans des espaces choisis où nous sont épargnés les brûlures du vent
et les soifs radicales...
On en revient bronzé comme d'un séjour à la plage...mais avec en plus des prétentions
à la "grande expérience" qui ferait de nous pour toujours de "grands
nomades"...
l'hommre aime tant faire semblant...même quand il s'agit de choses spirituelles...
Enfin il y a les déserts intérieurs, c'est de ceux-là
qu'il nous faut parler... sachant reconnaitre ce qu'ils ont de douloureux et de torride...
En essayant aussi d'y découvrir la Source cachée...
l'Oasis...la Présence inattendue qui nous accueille sous un palmier...
dans un sourire... autour d'un feu ...
où la danse des passants se joint à celle des étoiles...
Le désert n'est pas un but...il est lieu de passage...il est
"traversée"...
chacun a sa terre promise... son attente à déçevoir...son espérance à éclairer...
Certains vivent cette expérience du désert dans leur
corps...
celà s'appelle vieillir... être malade... subir les conséquences d'un accident..
Ce désert là est parfois long à traverser...
D'autres vivent le désert au coeur de leurs relations...désert du désir ou désert de
l'amour...des sécheresses et des ennuis qu'on a pas appris à partager...
Il y a aussi les déserts de l'intelligence...où le plus
savant se heurte à l'incompréhensible... le plus conscient à l'impensable...
Connaitre le monde et ses matières...se connaitre soi-même et ses mémoires ne va pas
sans quelques déserts à traverser...
Il y a enfin les déserts de la Foi...le crépuscule des idées et des idoles dont on avait fait des dieux...ou un Dieu...pour rassurer nos impuissances et opprimer nos plus vives questions...
Chacun a son désert à traverser...
Il s'agira à chaque fois d'en démasquer les mirages...mais aussi d'envisager ses
miracles...
l'instant... l'Alliance... la docte ignorance..
et la féconde Vacuité...
Parfois le dégoût nous prend par la peau...
tout a saveur de poussière...
le corps est froid ou, plein de fièvres...et l'air nous étouffe...
C'est une pesanteur que l'on traîne dans l'écoulement implacable des jours...
mourir ce n'est pas ce que l'on redoute...mais vieillir...
vieillir...
et chaque jour un peu d'oreille...un peu de regard...un peu de goût m'est enlevé...
le monde se rétrécit...
pourtant tout me semble plus lointain... plus absent...
Les roches les plus dures se laissent éroder par le vent...
les corps les plus solides se laissent emporter par le temps...
...et là les marchands de jouvence ne manquent pas avec leurs crèmes, leurs"
liftings", leurs cures et leurs remèdes...leurs voyages organisés vers l'oubli...
On s'attendait au miracle...on découvre le mirage...
et chaque ride, chaque douleur est là... pour ramener à l'inéluctable...
Vieillir et refuser de vieillir va être source de tous les
mirages...
mais vieillir ...et accepter de vieillir va être source de miracles
!...
Même si c'est là un désert dont on parle peu ou dont on parle mal...la vieillesse tout
comme la maladie est un désert parfois long à traverser...
et dont on ne voit pas d'issue autre que fatale ...
Et pourtant...à travers l'acceptation de notre être comme mortel, peut s'éveiller à nous l'OASIS...
" Tout ce qui est composé sera décomposé"...
Ce n'est pas une vérité triste...c'est simplement l'évidence...
épouser cette évidence nous rend capables de vivre avec une intensité nouvelle l'INSTANT...
d'en apprécier les moindres nuances...
car ce paysage,...ce visage... ce quotidien dans son austerité... bientôt nous savons
qu'il n'en restera ...
RIEN...!
Le désert nous révèle la fugacité, la fragilité de
l'existence humaine..
.et quand on a renoncé aux mirages...
c'est à dire que l'on a renoncé à combler le vide avec des riens...se révèle le
miracle de cet INSTANT ...
Il faut avoir été privé de jambes pour
s'étonner de mettre un pied devant l'autre...
Il faut avoir été empêché dans son souffle pour s'étonner du moindre inspir...
On rencontre auprès de certains grands malades... ou de
certains vieillards des fraicheurs d'oasis...
car s'il y a de la Clarté dans le regard d'un enfant...
il y a de la Lumière dans celui du vieil homme...
une Lumière qui a vu la Nuit...
une innocence qui a traversé le désert...
une innocence qui n'ignore rien des duretés et des splendeurs de l'existence...
Ce qui manque peut-être le plus au monde
contemporain, ce sont les témoignages de "beaux vieillards"...hommes et femmes
qui ne regrettent rien de leur passé...et dont les vies brûlées ne nous écrasent pas
de leurs cendres...
mais nous transmettent la flamme ou l'étincelle...
désir de vivre jusqu'au bout...
vers l'AUTRE côté du désert...vers la SOURCE dont témoigne leur être apaisé...
ce Beau Visage qu'une longue agonie ne suffira pas toujours à démasquer...
Il n'y a pas à se leurrer...la maladie...la
vieillesse...les alentours de la mort...à tout âge...sont de vrais déserts... où la
douleur et la fatigue nous font oublier la clarté du Ciel et donnent tout son poids à
notre poussière...
Mais pourquoi le nier...au coeur de la Patience...de l'Acceptation de notre être mortel...la
Grâce de l'instant peut nous être donnée...
et à travers cette écharde d'ombre et de lumière...l'aperçu d'un
NON-TEMPS qui n'est pas un AUTRE TEMPS passé ou avenir...
mais l'issue vaste et silencieuse au brouhaha de nos atomes...
Le désert de la souffrance nous ouvre à un
autre désert...
celui que nous ne pouvons ni penser ... ni imaginer...même dans nos rêves les plus
purs...mais que nos corps parfois connaissent...quand tout à coup, dans un souffle devenu
brise...ils sentent l'étreinte du Léger...
"Pourquoi les morts sont-ils si lourds à
porter ? "se demandait Montherlant...
avant de répondre...
"ils sont lourds de toutes les paroles qu'ils n'ont pas pu
dire..."
Il y a des silences lourds qui n'en finissent
pas...
le désert est entre nous...
La distance qui nous sépare semble infranchissable...nous avons beau appeler,
expliquer... nul ne répond...
Nous sommes pourtant assis à la même table...mais s'il n'y a plus de communion...
Nous dormons dans le même lit...mais nous ne dormons plus dans les mêmes rêves...et
chaque matin, collés l'un à l'autre, nous nous retrouvons un peu plus éloignés...
Là encore sont les marchands de mirages
...sexologues ou psychologues qui vont nous proposer leurs techniques de communication...
et on communiquera étrangement avec son propre écho...
La solitude n'en sera que plus vive...et plus douloureuse la rupture...
Entre-nous c'est le désert... et ce n'est plus le beau silence de nos nuits étoilées...
Mais le froid...l'absence à fleur de peau..
les mots qui sortent de notre bouche sont des scorpions mortels...et chacun empoisonne
l'autre du venin de ses accusations...
ou de ses justifications...
Ce que peut nous apporter le désert, c'est une
prise de conscience...celle que l'autre est un AUTRE...
et dans une véritable relation on ne fait pas l'économie de la différence...
que cette dernière prenne les formes agressives du conflit...ou les formes plus
sournoises de l'ennui...
l'autre nous pèse...
il résiste à nos volontés d'appropriation...il ne se laisse pas réduire au
"même"...il n'est pas moi...il pense, il vit, il aime "autrement"...
et c'est peut-être vers cette révélation que nous conduit le désert...
la révélation de l'Altérité...
l'Autre...irréductible à mes volontés de puissance... mes possessions charnelles,
affectives ou intellectuelles..
.l'Autre conmme VISAGE...
Le désert est lieu
de différenciation...
Je ne peux être déçu qu'à la mesure de mes attentes...
J'attendais que l'autre réponde à une certaine image de l'homme ou de la femme...ou que
nous répondions ensemble à une certaine image du couple, héritée de nos parents ou de
la société...
J'aimais " une autre moitié"...la moitié qui me manquait sans doute...
je n'aimais donc que moi-même...
et je découvre un autre...qui dans son altérité n'est plus là pour combler mes
manques...obturer ma béance...
Il est assez lui-même... ou peut-être m'aime-t-il assez pour me décevoir...
pour ne pas me répondre comme un miroir... ou comme une somme de complaisances propres à
m'enfermer dans mes revendications et frustrations infantiles...
Je rencontre alors "
un autre entier" qui me force ou m'appelle à ma propre entièreté...
cette entièreté qui n'affichera jamais "complet"...qui gardera toujours une
soif pour accueillir l'autre..
.mais qui n'imposera plus ses manques et ne culpabilisera plus l'autre de ne plus le
combler...
L'épreuve du désert conduit à l'Oasis
d'une VRAIE Rencontre...
rencontre de deux libertés qui au delà des régressions fusionnelles et des impasses de
la séparation se découvrent capable d'Alliance...
Tous n'ont pas le courage de traverser ce
désert...
Aux premiers refroidissements de la pulsion... aux premières affirmations de leurs
différences irréductibles...ou à l'entrée dans la monotonie, l'ennui du quotidien, ils
déclarent: "je ne t'aime plus"...et vont voir ailleurs...
recommencer la même histoire...boire au même mirage...
au moment où la Vraie Source n'était pas loin...
au bout de ce silence... de cette incompréhension où l'on pardonne à l'autre d'être un
autre...et où enfin on va peut-être pouvoir l'aimer et le chanter dans
sa différence...
Il y a les déserts de
sable...
il y a aussi le désert des sabliers...
Le temps de la patience...instant après instant découvrir le miracle qui fonde notre
alliance...
Ce que nous apprend ce désert-là, c'est le non-attachement...
la désappropriation de l'autre...
Aimer quelqu'un c'est renoncer à l'avoir...à en faire un avoir...
Dans ce renoncement nous est donnée la joie d'être...d'"être avec"...sans
attente...sans exigence...mais non pas sans lucidité, rigueur et tendresse...
"Va vers toi-même"
disait la bien-aimée au bien-aimé dans le Cantique des cantiques...
" Va vers toi-même" est aussi la parole de Dieu à Abraham...
Va vers ton désert, comme Je vais vers le Mien...
c'est là qu' au détour des dunes nous nous rencontrerons...
à l'oasis où, délivrés de nos soifs, nous serons le puits qui affleure l'un pour
l'autre...
Il est aussi au coeur de la relation , le
désert du deuil...
deuil physique ou affectif...
"un seul être vous manque et tout est dépeuplé..."
un seul être vous manque ...et le monde est un désert...
Et quand on rentre dans la maison vide, les couloirs n'en finissent pas...et la chambre
qui résonnait de nos rires ou de nos disputes a des silences hostiles...
et "celui des deux qui reste se retrouve en enfer..."
Là aussi, il nous faut apprendre que l'autre ne nous appartient pas...
mais avant de pouvoir lui dire encore: " Va vers toi-même
!" " Va vers ta Lumière !"... le désert de nouveau est long à
traverser...
Que nous apprendra la mort sinon ce que nous
apprend déjà la solitude ?
Savoir n'exister pour personne...n'être plus rien...un grain de sable dans le sable du
temps...
Et là aussi je peux être tenté par des
mirages...
chercher à communiquer avec les morts... spiritismes..tables tournantes...écritures
automatiques.. .cela m'apportera peut-être quelques consolations...
Mais une consolation moins grande que celle de ma solitude ACCEPTEE...
ASSUMEE...
car dans cette solitude se découvre peut-être le miracle d'une autre Alliance...
d'une "relation autre"...
qui ne vit plus sous les modes de l'espace-temps...
mais sous le mode de ce que les anciens appelaient la "COMMUNION
DES SAINTS"...
...participation subtile aux qualités de ceux qui ont disparu et qui nous demandent
d'incarner davantage ces qualités...
Ainsi je n'ai pas à regretter la bonté de mon
père, ou de mon amie...
j'ai à les vivre davantage !
Je ne me laisse plus emporter par les ailes de sa présence évanouie...
je n'en suis que plus présent à la terre qui garde les empreintes de notre brève
promenade...de notre passage commun...
Aimer l'autre...c'est renoncer à l'avoir... même mort...
renoncer à ce qu'il revienne...
découvrir qu'il est toujours-là...
dans le silence qui ne nous fait plus peur...
dans un désert qui se fait hospitalier de ce que nous avons de plus précieux...
l'essentiel qui reste quand il ne reste plus rien...
Là est l'expérience de ces chercheurs
qui, au terme de nombreuses années de travail, d'investissements financiers,
intellectuels et affectifs...découvrent que tout celà ne mène à rien...
L'échec de leurs recherches va les faire entrer dans un désert difficilement
supportable...pour eux...pour leur famille...et pour leurs collègues...
Mais le désert que connaissent ces
chercheurs n'est pas toujours négatif...car il est découverte des limites de leurs
investigations ...
Ce qu'ils connaissaient du Réel...n'était pas le Réel..
....seulement une interprétation du Réel...
leur interprétation...ou celle de leurs semblables...
à travers les calculs, les concepts...et les sophistications plus ou moins grandes de
leurs instruments de perception...
Et ces limites de leurs connaissances ne sont pas obligatoirement à vivre comme un
échec..
elles sont aussi invitation à s'ouvrir à un autre mode d'intelligence...
celui de la CONTEMPLATION...
Passer de la pensée explicative, technicienne, quantitative... à une pensée
CONTEMPLATIVE...qui ne mesure pas des existants...mais se mesure à un Insaisissable...
" Je suis ivre du vin que je n'ai pas bu et que je ne boirai jamais"
Cette parole du mystique, le scientifique aussi
peut la vivre...
quand, sachant tout ce qu'il sait... il découvre...
avec la même intensité, tout ce qu'il ne sait pas...
Ce que nous savons est fini...ce que nous ne savons pas est
infini...
Au bord de cette inconnaissance, il y a une sorte d'ivresse et de vertige...
un abîme...un vin doux que tous les savants ne sont pas prêts à boire...
il leur faudrait alors accepter leurs contingences...
renoncer à leur prétention à saisir le Réel...
Humilité qui d'ailleurs fait la différence entre le scientiste et le scientifique !...
Le scientiste a l'intelligence arrêtée par ce
qu'il sait..
.ce qui est encore une belle définition de l'imbécilité...même diplômée...
Le scientifique c'est celui dont l'intelligence n'est pas arrêtée par ce qu'il
sait...mais demeure dans l'ouvert de ce qu'il cherche...
Tous ne s'aventurent pas dans ce désert...
" Ce dont on ne peut rien dire, mieux vaut le taire ! "
Il faudrait ajouter ceci: ce qu'on sait... ou ce qu'on peut dire... n'est RIEN à côté de ce que nous avons approché dans le
silence !...
Accepter que toutes nos représentations du monde ne soient que des mirages... ne
décrivant rien d'autre que les limites de nos moyens de connaissance...
que toutes nos sciences ne soient que des consensus d'assoiffés dans un désert...
où" ils croient voir" le Réel...
Hélas !, pas de science sans cette "croyance" !...
Qu'ils s'approchent un peu..
.et déjà la matière leur échappe...
et s'ils s'approchent un peu plus,...ils verront dans l'energie et la pensée un Réel plus flou encore...
Là aussi aimer...
aimer la Vérité, c'est renoncer à l'avoir !
Plus on s'en approche ... plus elle nous échappe...
ce que nous appelons de la science n'est souvent que de l'idéologie... des verbiages
pédants...équations très cérébrales qui nous privent de l'honnêteté et de la santé
d'une docte ignorance...
Mais il n'est pas besoin d'être chercheur ou
scientifique pour éprouver les limites de la simple raison...
Notre impuissance à faire face à certaines situations difficiles ou absurdes...à
soulager la souffrance de certains innocents... nous les rappelle vivement...
A quoi bon toute notre science si elle ne nous rend même pas capables de soulager notre
enfant quand il souffre...ou de sourire à ses rêves !
A côté ou au coeur de ces déserts, il y a
celui de l'analyse...
plus je cherche à me connaitre moi-même, plus mon véritable moi m'échappe...somme
ridicule de mémoires génétiques ou de mémoires acquises...
Mon désir est si peu mon désir...ma pensée si peu ma pensée...
je ne suis qu'un tissage incertain de hasards et de rencontres...mes mots sont ceux de la
tribu...et mes atomes nostalgies d'étoiles... la rumeur des mondes s'écoule dans mon
sang et je persiste à dire JE !...
Mais la vie n'est pas avare de ses bons et
mauvais coups...
les blessures narcissiques ne nous seront pas épargnées...et de nos miroirs brisés il
sera toujours difficile de reconstruire le puzzle ou le leurre d'une identité...
Plus je me découvre moi-même... plus je me découvre comme inconnu et inconnaissable...si étranger à ces étiquettes et à ces regards dans lesquels les autres pensent me reconnaître !...
Evidement JE est un autre...autre que toutes
mes illusions...
y -a-t-il d'ailleurs autre chose à perdre que des illusions ?...ce que nous oserons
appeler un Sujet c'est ce qui reste quand on a plus aucune illusion sur soi-même...
Mais qu'est-ce qui reste ?...ce JE SUIS
n'était déjà plus le nôtre... mais il résonne maintenant comme un miracle au coeur de
notre évanescence...
" Il est celui qui Est"...
et tout ce qu'on peut dire de plus le réduit à notre forme...aux limites de notre
expérience...
Dans le désert de la connaissance , l'homme se nourrit de questions...et c'est à force
de questions qu'il se rapproche de son nom...
" QUOI ?."..
Le Sphinx qui nous attend au seuil du désert sait que " l'homme" n'est pas la
réponse...mais qu'au fur et à mesure de sa traversée "l'homme " aura à
s'endurer comme question...
L'homme est une bonne question pour l'homme...une soif qui ignore ce qui l'étanche...on
ne fait pas de l'eau avec du sable...mais y a-t-il parmi les hommes un seul grain de sable
qui ne reçut jamais la visite de l'eau ?...sinon comment serait-il glaise, vase ou
poterie où se recueillent les Sources ?...
Chacun a son désert à traverser...
pour certain c'est le désert de la Foi...
Sans parler de religion, on peut mettre sa foi, sa confiance dans une personne qu'on
considèrera comme une référence...un maitre...un gourou...une autorité...
Et celle-ci se révèle tout à coup décevante...
elle ne répond plus à nos attentes...c'est à dire à nos projections...
et particulièrement cette projection du Soi...ce Soi oublié... ou mal intégré en nous
et que nous projetons inconsciement sur un être ... qui revêt alors toutes les qualités
d'une perfection qui nous manque...
Retrait des projections qui peut être salutaire et peut nous délivrer d'une aliénation
naissante...
Jésus à ce propos était radical:
"Pourquoi
m'appelles-tu bon ? Un seul est bon le Père !..."
"N'appelez personne Maître, n'appelez personne Père
!"
...et à ceux qui voulaient faire de lui le thaumaturge qui les délivrerait de tous leurs maux, Il rappelait quIil n'était pas à la source de leur guérison:
" Ta foi t'a guéri ! "
....Tu peux te servir de Moi pour te
guérir...!"...et découvrir que tu es aussi Fils de Dieu comme Moi...
surtout si tu as reçu le même Esprit que moi ...
...et tu l'a reçu...sois en sûr ! même si le Baptême est nécessaire pour te le rendre
présent...
Il accepte le tranfert jusqu'au moment où l'on veut faire de lui un chef, une idole...
" Comme on voulait le faire roi, il se retira"..
.il se retire au désert...dans la solitude et le silence...
On dit parfois de Dieu qu'Il se retire, qu'Il
nous quitte...
Ce n'est pas Dieu qui nous quitte...ce sont nos illusions, nos projections...
on ne perd pas la Foi...au contraire, on commence à y entrer en perdant toutes ses
croyances...en laissant les appuis de nos représentations...
Dans le domaine de la Foi comme dans celui de
l'amour et de la connaissance, nous n'avons que des illusions à perdre ...et l'illusion
ici s'appelle idole...
Que ce soit une personne... une idéologie... un corps de doctrine... une représentation
de l'Absolu qui tout à coup se révèle à nous comme relative...
Tout ce qu'on sait de l'Absolu,
c'est à travers des êtres relatifs qu'on le sait...
et le drame c'est que nous faisons de ces relations relatives des absolus...
comme si elles étaient l'Absolu Réel...
on cherche alors à les imposer aux autres... absolument... c'est à dire
fanatiquement...t par les armes s'il le faut...et c'est toujours d'actualité...
Là aussi aimer Dieu, c'est renoncer à l'avoir..
.à en faire un avoir de représentations, de concepts,de doctrines à imposer à ceux qui
n'en ont pas...mais qui sont peut-être plus proches de la Réalité qu'IL EST...
Ce que nous révèle le désert... c'est qu'il
y a parmi nous très peu de croyants...mais beaucoup d'idolâtres...
On dit souvent que les grandes traditions monothéistes sont nées du désert...
sans doute...
mais n'est-ce pas souvent des mirages ou des songes qui ramenés à la ville prennent des
densités de choses existantes...?
des densités d'idoles qui soi-disant combleraient le regard, le coeur et l'intelligence
de l'homme...et le délivreraient de tous ses manques..?.
Celui qui a vécu au désert sait bien que Dieu seul "n'existe pas" ( au sens du monde) ...tout le reste "existe " .....et ce ne sont que frémissements, mirages ou citadelles dérisoires, appelés un jour ou l'autre à être vaincus par le vent...
Les Pères de l'Eglise, les Pères du désert
ou les grands sages de toutes les traditions ont fait l'expérience de ce "nada"
,de ce "netti" ou de ce "Zen"...mais ils ne savent plus exactement
comment en parler...
Le désert est-ce ce qui reste de Dieu lorsqu'on L'a épuré de toutes projections
humaines ?...
Ou Dieu, est-ce ce qui reste du désert lorsqu'on l'a vidé de tous ses mirages...ou de
ses oiseaux migrateurs...ou de ses hommes toujours de passage ?...
Jean de la Croix quand il évoque ce désert
parle de nuit des sens...de nuit de l'esprit...de nuit de la foi...
Thérèse de Lisieux , au moment où elle fait cette expérience, dit qu'elle
"demeure sans appuis, mais pourtant appuyée"...et c'est là le miracle,
qu'ayant perdu tous appuis sensibles, affectifs, intellectuels ou doctrinaux elle
"demeure pourtant appuyée"...mais appuyée sur Rien, ...pas une chose...pas une
idée....pas une image...mais une vive et féconde vacuité...
Ce désert comme les autres est difficile à
endurer...c'est la perte non seulement de mes repères...mais de ce qui donnait un
fondement à mes repères...
La dévotion n'en devient pas impossible, mais inutile ou dérisoire...plus exactement
elle devient "gratuite"...ce qui veut dire '"Grâce"...
Là aussi je n'attends plus rien de l'Autre...je m'attends à LUI...
Je ne désire rien de Lui...LUI seul me suffit...
mais LUI n'est rien de ce que l'homme peut imaginer, penser, désirer...
Mais alors qu'est-il ?
Comme IL le dit lui-même à son ami Moïse: " Il EST ce qu'IL
EST "
Dieu nous ne " l'aurons pas"!
Pas plus que mes poches, notre coeur ou notre intelligence ne peuvent contenir le Souffle
du désert..
Dans la traversée du désert de la Foi...comme
dans la traversée du désert de l'intelligence...nous passons de la Vérité qu'on a...
à la Vérité qu'on est....
du dieu qu'on a... au Dieu qu'on est...
c'est à dire de l'Amour que l'on a pour un objet transcendant et qu'on tentera
plus ou moins d'imposer aux autres...à l'amour qu'on est comme sujet transcendant capable
de pardon... de tendresse... et de communion avec tous les êtres...
Ce Dieu là n'est pas objet d'amour jalousement
possédé...
mais sujet d'amour qui nous rend comme disait l'apôtre Pierre "participant à sa
Vie" ... co créateurs...et contre toute apparence nous pouvons témoigner avec nos
vies d'un " ETRE...AMOUR...INCONNU" qui fait
tourner la terre, le coeur humain et les autres étoiles...
Chaque religion est une certaine façon de
s'approprier la Grande Origine commune ...et chacun ne peut que se battre pour défendre
l'origine qu'il a...
Ou plutôt la représentation ou l'expérience de cette origine...
Il nous faudra bien un jour nous entendre sur l'origine qui nous manque...celle que nous
ne pouvons pas nous représenter ou réduire à notre expérience....car après tout ,la
traversée du désert quel que soit le niveau à laquelle nous la vivons...dans le corps,
dans le coeur ou dans nos intelligences rationnelles, intuitives ou croyantes...n'est-ce
pas la traversée, l'intégration qui nous manque ?
N'est-ce pas l'acceptation de la mort au coeur
de la vie... et le passage vers un au-delà de ce que nous appelons la mort et la vie...
un passage vers ce que nous évoquons maladroitement comme "Anastasis" (
Resurrection)... ou "vie éternelle" ( non temporelle)...
ce non-né, non-fait, non-créé sans lequel il n'y aurait
pas d'issue pour ce qui est né, fait, créé...
Oh ! il y aurait bien d'autres déserts dont il
faudrait parler...
celui de l'échec professionnel, de l'absence de réussite...l'échec de l'éducation de
ses enfants...l'échec de ses idées et de ses propres convictions...
De toutes façon nous n'échapperons jamais au
désert:
c'est ce qui restera de notre corps lorsque le temps l'aura dissous en poussière...
c'est ce qui restera de nos amours quand l'épreuve les aura déliées de leurs plus
tendres attaches...
c'est ce qui restera de nos très hautes pensées lorsque l'oubli les aura effacées...
c'est ce qui restera de nos croyances lorsque nous verrons Dieu tel qu'Il Est...
car c'est bien ce qui nous est promis:
" nous Lui serons semblables, parce que nous LE verrons tel qu'IL EST "( I Jn)...
et ...pas tel que nous Le croyons... Le pensons... L'imaginons...
Accepter notre désert c'est accepter notre
manque à être...
c'est accepter notre être comme poussière...et savoir qu'il n'y a pas de meilleur
lit...pas de plus beaux draps pour accueillir la Lumière...
L'épreuve du désert... c'est l'épreuve de la maturité...le fruit mûr qui sans hâte et sans regret quitte son arbre...
Manque et plénitude au désert demeurent indiscociablement liés...ceux qui savent endurer de telles noces mourront aussi sans doute...ils ne mourront pas sans avoir vécu...
+
Voulez-vous poursuivre encore un peu votre marche ?
ou méditer en silence un instant, les yeux fermés avant de poursuivre ?