Il y a un moment où il faut savoir dire « assez ».
(Je signale que c'est le sens des trois lettres JHV, que les Hébreux interprétaient en JAHVE et nous en JEHOVAH, nom du Dieu de la Genèse.)

Un bateau n'est jamais tout à fait prêt.
 Une liste d'armement, jamais parfaite.
Un ouvrier électricien traîne encore à bord pour vérifier un circuit.
 On n'a pas trouvé de manivelle pour le moteur,
ni de saucisses en boîte pour aller avec les lentilles.
Chacun s'est plus ou moins installé dans cette vie hybride,
 mi à bord, mi à terre, au rythme des courses et des bricolages.

 Le départ, retardé plusieurs fois, tend à n'être plus qu'une vague justification mythique.
 Cela pourrait continuer des jours encore.
 Il faut savoir dire « assez » et décider :
 « On part demain à 10 h 30. Voilà. C'est tout. »

On ne partira pas à 10 h 30, parce qu'on n'aura trouvé l'ouvre-boîte indispensable qu'à 14 heures, certes.
 Mais on partira quand même dans la journée, à 17 h 15.

Le bateau disparaît sous les sacs de voile.
 Les colis de vivres s'entassent sur les couchettes avec les bagages de chacun, qu'aucun n'a rangés.
 Il semble impossible de caser une manille, encore moins de la retrouver.
Que cinq ou six personnes puissent s'insérer, coucher et vivre dans ce bric-à-brac où on peut à peine circuler, paraît simplement fantasmagorique.
 Cela ne fait rien, il faut partir.

Voilà les fruits et les neufs, dernières emplettes ; à fourrer dans le seau du bord, sur la valise de la dame invitée, peu importe.
Il faut partir.

 Pour qui est cet équipet, à qui est cette couchette, où est ma brosse à dents?
 Peu importe, on verra, plus tard, en mer,
 il faut partir.

Une longue expérience montre que tout finit par trouver sa place, et qu'il y a beaucoup plus de place qu'on ne pense.
 Tout se tasse, tout se range peu à peu, naturellement.
 Dans quelques jours, le bateau paraîtra presque vide, chacun y ayant ses habitudes.
L'important maintenant est de s'arracher au quai, à la terre.

Depuis dix minutes, on ne parle plus, ou à mi -voix, brièvement.
La fatigue sans doute,
 mais aussi une sorte de crainte déférente, comme lors d'une cérémonie religieuse.
 Doucement, brièvement, le skipper peut faire part de quelques instructions.

- Tu rentres une des deux haussières à terre. L'autre, en rappel, et tu laisseras filer.
 D'abord enlever le traversier. On va partir sur le foc, en se tirant sur l'ancre. Dès que c'est dérapé, l'artimon pour nous faire lofer un peu.
Attention aux deux voisins, et à cet autre devant, sur son tangon. Toi, tu débordes.

Un officieux sur le quai renvoie l'haussière. L'autre file. On déborde.
 Le bateau lentement se tire sur l'avant, puis s'arrête.
Le guindeau est bloqué (toujours). Il faut reprendre la chaîne à la main.
 Saleté de vase. Ça va, ça ne va plus.
 L'ancre ne vient pas.
 Le bateau de gauche a mis son mouillage dessus. Pas de cris, surtout pas. (On a le droit de jurer un peu entre ses dents.)
L'artimon. On lofe. On tourne autour du mouillage.
 Attention à déborder à l'arrière. Attention, il y a un câble dans l'eau.
Ça y est, c'est clair devant. Etablir l'artimon. Borde le foc, comme ça. L'ancre est à bord.
 On part.

Moment religieux.
 Chacun, naturellement, se tait.
Si pendant vingt minutes il a fallu se battre avec des mouillages enchevêtrés, c'était la dernière épreuve, c'est évident.
Chut.

 Rentrer les défenses. Hisser la grand-voile.
Voici les feux de sortie, le rouge, le vert.
Sur le musoir, des pêcheurs lèvent un sourcil ; ils ont peur qu'on dérange leurs bouchons.
Ne pas déranger les bouchons.
Des touristes font de grands « au revoir » de la main.
Ne pas répondre aux grands « au revoir » ou si, discrètement.
Prudence. Discrétion. Pas de bruit.
On part.

Pour qui va en mer, c'est la règle. Trop d'impétuosité, de forfanterie, et la punition sera sévère, rapide.
 Qui a oublié qu'un bateau sans erre se couche sous la risée et dérive latéralement, pour avoir bordé trop tôt et trop impérativement, se verra empêtré dans le gréement de son voisin, la bôme dans les haubans, maudit et ridiculisé.
 Non,
l'écoute à la main, doucement, très doucement prendre le vent, arrondir la toile.

 Qui aura voulu donner aux amis du quai une trop belle image déchirera son spi sous la rafale à contre que gardent pour dernier adieu toute baie, tout abri quand on en sort.

 Qui aura cru, en ce moment si attendu, pouvoir chanter, gueuler, respirer à pleins poumons, triompher, ne dégagera pas sa CQR du corps-mort du voisin  ou ira s'échouer, tout penaud, sur le banc rocheux bien connu des pédalos et des baigneurs, qui frange la passe;
trop connu,
si connu qu'on n'y pensait plus dans l'euphorie des amarres larguées.
 Il en est des exemples fameux.

Non, pour le départ, silence, respect.

 Les paroles indispensables, rien d'autre.
 « Tu peux rentrer le yankee. Tu mets le génois, sur l'autre bord. Choque un peu la grand-voile. »

 Le bateau prend sa gîte.
Commence alors la chanson fredonnée des filets d'eau le long de la coque.

On est parti.

 On peut commencer à ranger.

(Jean-François Deniau  La mer est ronde Folio éditeur)




Mardi 3 Octobre

 

Bonjour à tous,

Et bien nous avons décidé de lever l'ancre à midi : le vent est là, l'équipage reposé et détendu...
le temps de faire la check-list pour voir si le Kalliste est en forme et de tout remettre en ordre dans la maison de José
le temps des derniers messages et téléphones aussi...
le temps d'embarquer des fruits, des crudités...et des bananes... et de l'eau fraîche
le temps des dernières étreintes aussi...
des larmes contenues par des lignes de cils et qu'on s'efforce de ne pas laisser couler
et qui cependant échappent sur le côté
donnant une traînée salée semblable à ceux des embruns qui bientôt frapperont nos visages tanés
et aux yeux des allures de plénitudes hagardes et étonnées d'après l'amour
mais nous repasserons...  c'est sûr !
c'est notre chemin, notre porte  pour le Pacifique

Déjà Igor fait le tour du pont et inspecte les bas fond...par peur d'un passager clandestin qui viendrait lui chiper sa réserve de" nonos"
le temps pour chtimi de regagner la tranquillité du mat...et faire de l'exercice dans les hauteurs ..;sans mordiller les pavois svp !...merci !

La météo est bonne , même si le vent est NE ... nous naviguerons au près...la Kalliste adore ça
...malgré peut-être des zones de "pétole" ( sans vent) d'ici 3 jours quand nous serons ( peut-être) au large du Portugal... ( ne pas confondre avec pécole qui à Marseille veut dire : pet du cul qui se décolle)
Mais il vaut mieux rentrer car après il risque de faire frais...et nous ne sommes pas équipés ni en chauffage , ni en vêtements chauds ( choses qu'il faudra prévoir pour de futures aventures)...et puis il faut penser à renouveler le stock de médicaments ! dont la consommation n'a pas faiblie

Nous avons une pensée de profonde amitié et solidarité pour tous ces pauvres hères qui plus loin dans l'île d'à côté cherchent refuge en jouant à cache cache avec les gardes côtes des pays nantis de pseudo-liberté...
qui ne songent plus qu'à se fermer comme des huîtres, enfants gâtés et égoïstes oubliant ce qu'ils doivent aux fils de ces damnés et autres esclaves que leurs parents ont ruiné et pillé...et que l'accueil sans réserve de l'autre est le premier geste d'humanité

ou est passé la pensée grecque?
où est passé le christianisme dont l'Europe s'onane d'avoir comme racine ?

des coquilles vides ??? car qu'est-ce que des idéologies qui ne sont pas appliquées
des incantations, des légendes, des mythes
cartes de visites jaunies
blasons rouillés écaillés
bientôt rangés dans les malles des souvenirs avant d'être balancé à la décharge

la fin de l'occident a sonné... peut-être plus tôt qu'il ne peut le penser...

Demain Jess reprend le bureau... vous le retrouverez avec joie j'en suis sûr

à bientôt

ff+

 

 

 

Que voulez-vous faire  maintenant ?

retourner au bulletin

continuer

retourner en arrière

aller au sommaire