Partir,
Partir quelle que soit l'heure, c'est
toujours une sorte de crépuscule.
Derrière soi, le quai, la ville, les amis, la chaleur, la lumière.
Devant soi, ce qui n'est pas connu.
Pour un jour ou un mois, l'imprévisible, l'obscur, autrement dit, la nuit.
Et arriver, quelle que soit l'heure, c'est toujours un peu une aube.
D'abord l'heure trouble qu'ont ressentie tous ceux qui ont navigué.
La nuit n'est pas encore venue mais le soleil est couché.
On sent le froid à l'intérieur de soi. Parce qu'il fait moins chaud?
Non,
parce qu'il fait plus sombre.
C'est le moment du frisson imperceptible,
de l'inquiétude vague,
de la solitude, elle, plus précise et qui, un instant, pèse sur les épaules.
Larguons les amarres du jour.
Un léger pincement au coeur, comme quand le quai s'éloigne
et que l'amarre tombée à l'eau est remontée à bord.
Voici maintenant venir la double
traversée,
celle de la mer et celle de la nuit.
Les êtres de cette terre, les formes
familières,
les certitudes réconfortantes une à une s'estompent et disparaissent.
Voici venir maintenant la double solitude,
celle de la nuit et celle de la mer.
Seigneur, que j'aime naviguer de nuit.
Peu à peu, chacun de nos sens va retrouver une autre habileté,
une autre vie.
L'oeil, perdu d'abord, tâtonne
dans le noir
et enfin trouve son chemin.
Le blanc d'une crête de vague qui déferle lui fait signe.
Une étoile qui se balance entre deux haubans l'appelle.
La main, aveugle, va aussi trouver sa route.
La barre, dans la paume, la soutient.
La résistance de la mer, comme la tendance du bateau à lofer,
lui sont d'autres mains qui la guident.
Et l'oreille !
Son règne commence.
S'il fait beau, le bruit de l'eau contre la coque est une soie qu'on
déchire.
S'il vente, c'est le plain-chant de la mer qui s'élève.
Une écoute qui bat, une voile qui faseille, une drisse qui claque.
Vent arrière,
c'est l'orchestre avec les stridences du vent et la basse continue de la mer qui
roule sur elle-même.
Vent debout,
c'est le vacarme, tout craque et gémit, mais chaque craquement porte un nom.
Ceux qui croient que la voile c'est le
silence n'ont jamais navigué à la voile.
La nuit, tout bruit est multiplié,
renforcé, répercuté,
toute distance agrandie de la dimension du mystère :
tout contact devient surprise hostile ou geste amical.
La nuit, tout est différent et plus rien n'est indifférent.
Être seul, à la barre, de nuit, ce n'est pas la même chose non plus.
Le jour est quand même une sorte de compagnie.
Désormais, il n'y a plus que la mer et son cercle autour de vous,
plus près, plus serré, plus dur,
doublé et renforcé du cercle de la nuit.
Mais qu'elle va se peupler vite, la nuit sur la mer...
Passent dans la tête les songes demi éveillés, des souvenirs,
penser à lâcher le cunningham, des visages amis, qu'est-ce qui brinquebale
encore en bas...
Pas de vastes pensées philosophiques,
non,
au risque de décevoir les âmes romantiques.
Mais une sorte d'histoire sans queue ni tête,
pleine de photos jaunies, de détails de cuisine,
de jubilation vague, d'inquiétudes techniques soudaines et dérisoires,
de paix qui ne sait pas qu'elle est la paix.
De temps en temps, le cockpit étanche prend la parole.
L'eau qui siphonne vous interpelle, « gloubchouch bubbletchouk » ou autres
phrases qui m'ont toujours paru relever d'une langue ouralo-altaïque assez
proche du turc.
On lui répond.
On se répond aussi, car assez vite on se parle sans plus très bien savoir si
c'est en dedans de soi ou à haute voix.
Parfois aussi une autre voix dit votre nom, net, précis.
Comme elle se peuple vite, la mer déserte et la nuit où l'on est seul...
Antarès peu à peu s'engloutit dans le noir de la mer.
Dans le noir de la nuit, la Grue fidèle navigue de conserve à bâbord.
Arcturus, pierre brillante jetée de la Grande Ourse, va sombrer à son tour.
À l'Est, cette décoloration comme une maladie de peau, c'est l'aube qui
gagne.
Maintenant, on peut aller dormir.
Oui, que j'aime naviguer de nuit.
( Jean-François Deniau : La mer est ronde, folio)
Dimanche 1er Octobre
Dimanche à se coincer la bulle sous le soleil...j'ai laissé les "loupiots" faire la grasse matinée...ils savent bien où me trouver...d'ailleurs c'est à 10 pas de la maison...
Içi c'est un jour
ordinaire...il y a longtemps qu'il n'y a plus de messe dans la petite chapelle
de chaux et de bois...
la liturgie est celle de la nature
la liturgie vraie ?
Voila encore une chose
qu'il faudrait réformer... c'est fou ce que les humains refusent de remettre en
cause ce qu'ils ont reçu...
pourtant le christianisme était une dynamique de
renouvellement...
"ils " l'ont fossilisé comme la religion juive dont il disait se faire le
réformateur...
refus de remettre en
question le monde de l'école, de la société de profit ou de consommation...
refus de se remettre en cause
de concevoir que l'intellect humain ne fait pas le tour du réel...et ne saurait
comprendre le monde...
qu'un oiseau ou un dauphin conçoivent différemment
en quoi serait-ce plus... ou moins valable... puisque c'est pour eux...
et pourtant...
homo sapiens ad nauseam
est la marque de notre temps...
il est vrai que si je peux faire ce travail d'introspection c'est que j'ai
décidé de vivre différemment et de prendre le temps...
je ressent ainsi douloureusement des événements passés: des inutilités, des
temps non savourés... des oppositions évitables avec un peu plus de
"compréhension"
comme ces pleurs d'un
enfant qui nous avait tant aidé à l'aller et que nous fûmes si heureux de revoir... il
aurait voulu alors nous accompagner en mer...nous n'avions pas pris le temps de lui dire, de
lui faire comprendre que ce n'était pas possible...
ou d'une petite virée en mer
Alexandro... Esteban...
j'y ai remédié hier avec une bonne glace et un câlin
une petite visite du bateau... en attendant plus si nous restons davantage...
les gosses içi sont traités avec tant de rudesse...
Partirons nous
demain ?...ce n'est pas sûr les gosses ont besoin de décompresser et se
retrouvent... heureux
nous ferons le point ensemble demain à midi
et nous déciderons alors
carpe diem
prendre le temps...
cueillir le temps..
.Ne
cherche pas à savoir, Leuconoé, quelle fin les dieux ont assignée à l'un ou à
l'autre.
Cette connaissance nous est interdite.
N'interroge plus ces nombres magiques venus de Babylone.
Comme il est préférable d'accepter ce qui doit arriver,
que Jupiter nous accorde encore bien d'autres hivers,
ou que notre dernier soit celui-ci qui voit maintenant la mer Tyrrhénienne
déferler sur les brisants du rivage.
Tu ferais bien mieux de remplir nos coupes de vin léger
et de réduire tes lointaines espérances à la mesure de notre courte durée.
Que voulez-vous faire maintenant ?