Carnet d'aquarelles de Jess

 

16-06*3.10 pm.

Un volcan ,un petit village blanchi à la chaux aux volets colorés...
une plage déserte de sable tiède et blond aux mèches-vagueuses superbes,
un petit port de pêcheurs aux barques multicolores pas encore trop pollué par le tourisme lové à ses pieds
des habitants sympathiques à la gaîté  accueillante et sereine tel est le cadeau "d'au revoir" de José : son jardin secret ... son message qui dévoile peu à peu une amitié profonde et secrète faite de petits gestes concrets  d' attentions ciblées... et de rodomontades bourrues à la fois

Un José qui comme il me l'a avoué rêvait depuis longtemps de ce moment "ensemble"
de ce temps disponible
 que le bateau ne permet pas toujours, de par les nécessités qui y règnent et les contraintes de l'étroitesse

Ainsi le quartier libre donné à tout l'équipage pendant 48 heures  va permettre le break nécessaire... la halte attendue après  11 jours de mer  ...
nous avions tous besoin d'espace et de vie autrement... surtout les loupiots...!!


José avait loué un petite cahute blanchie à la chaux, une cuisine et une chambre carrelée qu'il tenait à nous faire partager.. ainsi q'un dîner hier soir dans l'unique restaurant de l'île
cabane de bois en bordure de plage et du port où nous nous attardâmes longuement après avoir savouré de délicieux kebab de mouton sur lit de semoule et une soupe à l'oignon... et un petit rosé ...pour José

Les habitants du coin qui  le connaissent bien échangèrent avec nous...
les gosses essayant d'entraîner mes deux loupiots pour jouer avec eux... tout en les enviant de pouvoir ainsi voyager ( s'ils savaient leur mal...) décidant Jonathan. ..mais pas Jess le réservé qui n'aime pas trop les enfants de son âge.. qui l'ont fait trop souffrir jadis au centre...
 préférant se promener seul... avec Igor, avec son carnet de croquis et sa boite d'aquarelles
la mèche au vent
 avant de nous rejoindre plus tard fatigué sur la plage...


 

 Hélas notre société matérialiste et stupide oublie l'essentiel
ces temps d'échanges et de vie suspendue...
que seul permet une vie calme et paisible..
ces manière de conduire la vie ensemble sans hâte, sans obligation autre que l'immédiate subsistance...

A voir la maturité et la sagesse des enfants de ces îles ( et de bien d'autres lieux similaires que j'ai eu la chance de parcourir) on mesure mieux la futilité de ce que l'on appelle l'école...
les enfants du lieu n'y vont point et parlent et savent pourtant d'essentiel
et sont heureux
car l'essentiel et la vie ne s'apprennent pas enrégimentés et canalisés par l'ordre social anonyme et volontiers embrigadeur ...et exploiteur...
des aveugles guidant ceux qui voient , les empêchant d'être...
car l'essentiel s'apprend au contact des adultes, des autres, de soi suivant ses choix et les circonstances de la vie...
en nouant amitié avec eux..
tout le reste est superflu... ce qui ne veut pas dire qu'on ne puisse vouloir l'apprendre mais est-il nécessaire d'aller sur la lune et de construire des engins toujours plus performants si l'on en oublie de vivre de l'essentiel ?

C'est l'épectase... à laquelle il ne convient pas de céder sans circonspection

Le progrès a-t-il repoussé nos contingence humaines ( la mort, la souffrance, les malheurs) ...certes un peu... mais à quel prix...
celui d'une nature saccagée... celui d'êtres broyés ou rejetés
N'a-t-il a créé par contre beaucoup trop de nuisances en initiant des besoins inutiles
propres à illusionner les gens et leur créer des désirs superflus

 

Le soir à la lumière des camping gaz ( pas d'électricité dans l'île... une éolienne en fournit cependant pour la mairie , le poste de police et le dispensaire, les loupiots ivres de paroles s' endormirent l'un après l'autre après avoir longtemps lutté
nous en primes chacun un dans nos bras  pour aller les déposer sur leurs matelas à même le carrelage de la  petite maison ..nous leur avions laissé la chambre sous la surveillance d'Igor et dormirions dans la cuisine...

Au loin les lumières de Hierro étaient visibles..
devant le Kalliste se balançait doucement sur son ancre....comme en une psalmodie  secrète ,invisible en harmonie avec celle de la mer ...
ou en un rêve planant et ondulant peut-être ...

Nous avons allumé José et moi un petit feu de bois sur la plage et avons poursuivi longuement  en compagnie d'une thermos de thé... et d' une bouteille de rhum...
une amitié sincère était en train de naître ... qu'il fallait amener au point de non retour
 une amitié forte et colorée car l'homme est profond et pittoresque

c'est sûr il sera là pour le retour...  ! et pour plus tard il prend date... lui aussi voudrait faire le tour du monde...???

Il m'a avoué avoir loué des vélos pour les gosses demain  et samedi il nous guidera sur les pentes du volcan où il connaît un petit ermitage abrité de verdure ...pour Jess un jour...

un Jess qui le fascine par son courage : "tu sais il est solide et profond ce gosse" ...et  "tu es tout pour lui !"

"- je sais..."

et de m'avouer aussi qu'un de ses frères était mort du sida... mais il n'en parle pas car il était de la "jaquette qui flotte"
il sait ce que vivent Jess et Nat sans jamais le dire ni l'avouer...
leurs coups de pompe et leurs angoisses...
les douleurs musculaires ou nerveuses aussi ...
leurs nausées...
les médicaments et les examens
et le sentiment de n'avoir aucun avenir stable à écrire sur terre...
et m'a assuré qu'il ferait tout.. .TOUT  pour eux   !

"...ils le savent.. ils l'ont senti " concluais-je

"-Jess veut que tu lui apprenne la mer... il sait qu'un jour il sera seul...
ce qui m'a étonné c'est qu'alors que tout vous  oppose, vous vous appréciez grandement désormais !"

"- oui, j'avoue que je me suis trompé" me dit-il avec son accent inimitable et tellement savoureux et humain
"au début je le prenais pour une petite tapette.. .un efféminé...
alors que c'est tout autre chose !
...et puis s'il se sent bi... c'est ça nature !...il a su me le dire et me le faire accepter tu sais"

"en fait ce qui me déplaisait c'est qu'il ressemble à mon frère...  comme je t'ai dis mon frère était homo
et j'aimais  pas trop...
surtout  pour mon frère !"

"...et puis vos relations me paraissaient ambiguës, mais j'ai bien compris qu'il en était autrement, qu'il en avait besoin...
que tu étais sa drogue... son médicament"

L'obscurité et l'alcool poussant à la confidence je lui ai avoué au creux de la nuit que moi aussi j'étais bi...
Qu'adolescent j'avais connu le sexe et le plaisir par l'intermédiaire d'un copain de lycée plus jeune ...
...Jérôme fils d'un grand chirurgien...
d'une grande beauté et d'un sensibilité rare
comment j'avais ressenti aux cours d'EPS  à chaque fois que je le portais sur mon dos son sexe en érection s'écrasant et roulant  avec délices sur le bas de mes reins
comment il allait jusqu'à passer sa main sur ma nuque et jouer avec mes cheveux longs
comment tout était prétexte à s'écraser sur moi
et quel plaisir j'y prenais...
j'aimais m'asseoir sur ses genoux et lui sur les miens ça nous donnait des frissons
avant que nous approfondissions d'un commun accord la chose dans les toilettes du stade des Iris.. .qui devint notre lieu de rendez vous et d'orgasme quotidien
une relations réciproque et interchangeable ou j'acceptais ses caresses mais aimais  tout autant lui prodiguer les miennes  avec délices

Nous y fîmes nos classes... plus assidûment que pour celles du Lycée , y vécurent un amour vrai , sensible, charnel et torride : j'ai un cahier intime à  jour... il faudra bien que je me décide à le publier pour dire les choses... pour expliquer le naturel et l'enchaînement des événements... et la richesse que nous en avons tiré... et la douleur de devoir nous séparer et nous cacher...

Or pas question à l'époque d'avouer sa sexualité  et surtout son homosexualité à 12 ans comme à 20 ou 30 ans même si pour lui c'était plus facile de par son milieu plus "évolué"... pour moi il n'en était pas question.. .quel progrès en 50 ans !
quelle libération !
alors j'ai du jouer, composer et faire semblant d'aimer les femmes...
avant d'apprendre de leur amour
et j'avoue que j'y ai pris goût... mais ce n'était pas ma première nature
...alors les femmes c'était souvent pour la société... la galerie... la famille...
ce qui ne m'empêchait pas de me laisser draguer par les garçons...
et d'y ressentir mon vrai plaisir, ma plénitude , mon orgasme ...

et puis j'ai décidé de partir de cette société "corsetée" ...le Japon a été pour moi une Libération Sensuelle ...

"-T'es comme Eztebe ( mon frère) ...
alors je comprends aussi  que tu sois devenu ermite
tu as converti l'impossibilité en un positivité..."

"- ouais c'est un peu ça José... disons que chez moi j'aime la frimousse , la silhouette, la personnalité, l'esprit, l'intelligence, le don.... peu importe le sexe !..."

" j'veux dire la nature sexuelle de la personne car pour ce qui est de son plaisir ... !"

il me fit un grand sourire et ses yeux brillaient ...
il savait tout cela mais il avait besoin que j'ai le courage de lui avouer...
pour justifier ce qu'il faisait pour nous...  notre amitié naissantes.. les efforts qu'elle supposait pour lui

et j'avoue que pour moi aussi

" -Tu sais quand on ne peut trouver l'amour d'un homme ou d'une femme alors on se l'imagine.."

" et ainsi naissent les religions... les divinités imaginaires... la mystique les dieux amour et tutti quanti" ajoutai-je
"ainsi ai-je pu observer chez mes oiseaux jadis ( des Canaris bien sûr) comment sans nid les parents mimaient la construction d'un nid.... y pondaient même... et se donnaient la becquée..."

Ma guitare était restée sur le bateau mais José avait son harmonica et nous avons fredonné comme deux matelots bien imbibés par le rhum ensembles... puis nous nous sommes roulés dans le sable en nous serrant très fort... comme deux collégiens...
la seule manière d'éprouver vraiment ce que l'autre a dans le corps...

Puis en riant nous n'avons pas été plus loin... nous contentant d'un spasme individuel et personnel
la pénétration entraîne  trop de choses... incontrôlables, imprévisibles
il y a les loupiots ... le voyage...et la famille de José... nous n'avons plus 12 ans ...
alors nous avons piqué une tête dans l'eau tiède et pris un bain de minuit pour nous calmer
et tourner la page... avant de nous endormir serrés l'un contre l'autre à côté du feu... comme deux frères

José désormais est entré à l'ermitage à sa manière... sans le dire... sur la pointe des pieds

 

 

 


La bande orangée du soleil et la langue mouillée d'Igor venu aux nouvelles et que je pris  un instant et dans un demi sommeil pour celle de José nous invita à aller "au radar" retrouver nos loupiots...

Jess déjà sur pied préparait le café, il sauta à mon cou pour me serrer très fort  et sentant les choses de toute sa féminité me susurra à l'oreille

"- alors toi aussi tu te mets au basque !?"

Je lui répondis d'une petite caresse dans les cheveux et sentant poindre en lui une pointe d'anxiété le serrait très fort le nez  dans les cheveux de sa nuque et sa délicieuse odeur musquée ... mêlée au parfum de Brenda ! ( sacré Jess voilà qu'elle lui fait des cadeaux !)
je lui pris aussi la main pour la frotter sur notre cicatrice complice... celle qu'un jour nous avions scellée ...entre frères de sang à l'ermitage...

"je sais..." murmura-t-il.. simplement,
 ajoutant qu'il avait simplement besoin de ça pour vivre pleinement sa journée...

un bisou "dab in the middle" finit par le rassurer tout à fait

" -dis !... faut réveiller Nat si on veut faire le tour de l'île à vélo !...
le soleil est déjà levé lui !"...

( à suivre)

ff+ ( publié avec l'accord de Jess et de José)

 

Toutes les illustrations sont tirées du carnet d'aquarelles de Jess

 

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