(...)
Pendant les vacances, j'ai beaucoup travailler sur des auteurs chrétiens. Il 
me semble que cela peut nourrir le débat en cours. 
Car je pense personnellement, et depuis longtemps, que l'hindouïsme a quelque 
chose a dire au christianisme, qu'on peut aller au-delà de la querelle entre 
Dieu immanent et Dieu transcendant.

Bede Griffiths, Expérience chrétienne et mystique hindoue, Spiritualité 
Vivante, Albin Michel
[Pendant trente-cinq ans, Bede Griffiths, moine bénédictin anglais mort en 
1993, a vécu en Inde. Conscient de la nécessaire ouverture de l'Occident et 
du monde chrétien à d'atres spiritualités, il s'est immergé dans l'une des 
cultures religieuses les plus riches du monde actuel. Son vœu le plus ardent 
était de rapprocher les hommes de cette union ultime avec Dieu dans laquelle 
l'Orient et l'Occident seraient enfin réunis.]

Découvrant en Inde le rôle du mythe (pas exactement selon le sens commun : je 
me souviens d'un théologien protestant qui disait que le christianisme était 
du "mythe en acte) comme mode d'expression de vérités qui ne peuvent 
s'énoncer autrement, il a ainsi trouvé le moyen de dire à l'homme moderne sa 
foi dans le Christ, dans l'Eglise et dans l'avenir.

P 175-176
"L'expérience mystique chrétienne naît de la contemplation de la vie et de la 
mort de Jésus de Nazareth. (…) le mythe chrétien est issu de l'expérience que 
vécurent les disciples de Jésus au jour de la Pentecôte, une expérience 
continuellement renouvelée depuis par les saints et les disciples du Christ. 
Le jour de la Pentecôte, ils furent " remplis de l'Esprit Saint " (Actes 2,4) 
et vécurent une transformation radicale. Quelque chose se produisit qui 
transforma ce groupe d'hommes faibles en une communauté de croyants qui 
partirent changer le monde. Ce quelque chose fut une expérience mystique, une 
éclosion au-delà du temps et du changement, au-delà de l'agonie de souffrance 
et de mort qu'ils venaient de vivre par la crucifixion, dans le monde de la 
Réalité absolue résumée tout entière par les Hébreux dans le nom de Dieu. Ils 
avaient fait l'expérience de Dieu, ils avaient " réalisé Brahman " dit 
l'Hindou, ils avaient " connu le Soi ", l'Esprit, la Vérité éternelle qui 
habite le cœur. Ils " parlèrent en d'autres langues (Actes 2,4), 
interprétaient cette Vérité éternelle dans les mots des hommes. Mais cette 
Parole, cette Vérité, leur était venue à travers le Christ. C'était en Jésus 
de Nazareth, l'homme qu'ils avaient aimé, qui était mort sur la croix comme 
ils pouvaient en témoigner, que cette Vérité leur avait été révélée. Voilà le 
spécifique de l'expérience mystique chrétienne. (…) Il ne s'agit plus d'une 
expérience de la Réalité absolue révélée dans le Cosmos, dans le cycle de la 
nature, ou dans le Soi humain, c'est-à-dire l'être psychique avec sa capacité 
de se transcender lui-même, mais dans une personne et un événement de 
l'histoire."

(ce qui est une grande différence avec l'hindouïsme qui fait plutôt dans 
l'intemporel)

p195
"La foi elle-même n'est pas fonction de l'esprit rationnel, mais de l'esprit 
intuitif. Elle n'est pas un accord avec des propositions logiques comme 
l'homme occidental l'a souvent pensé, mais une compréhension du mystère de la 
vérité pris comme un tout. L'esprit intuitif n'analyse pas, mais saisit le 
tout, s'ouvre au tout, lui permet de prendre possession. La foi s'ouvre au 
mystère de Dieu, à la Vérité insondable, l'autorise à posséder l'âme. Pour un 
Chrétien, la foi est donc une ouverture au Mystère de Dieu dans le Christ, 
par la médiation du mythe du Christ. Le mythe fait appel à l'imagination, au 
cœur, et transforme la personne."


ET ATTENTION, CECI EST UN PEU PROVOQUANT. Mais cela rend bien compte de la 
tension que tout croyant connaît peu ou prou. Nous avons conscience de 
l'insuffisance (et l'extrême suffisance, dans le sens d'arrogance) des mots 
pour parler de Dieu, et en même temps de la nécessité d'une interface un peu 
constuite entre nous et Dieu.
Donc ce texte a un côté post 68, on détruit tout et on recommence, il faut le 
savoir pour relativiser... Mais je le crois utile pour tenir certains excès à 
distance...

Jean Sulivan, Itinéraire spirituel
[L'auteur était prêtre, il a été un peu connu en son temps, il était dans la 
position inconfortable du révolté tout en étant du dedans...]

P 194 Le monde chrétien s'en est beaucoup pris au scientisme. Mais il y a un 
scientisme chrétien. On dégage des informations sur Dieu, les hommes, le 
monde : ainsi se constitue un savoir d'autant plus redoutable qu'il est 
considéré comme issu de la Parole de Dieu. Une classe d'éclairés organise une 
pensée que des vulgarisateurs mettent à la portée. Ce savoir est donc la 
propriété d'une classe qui en déteint les clefs. Comment pourrait-il ne pas 
faire un monde de suiveurs et de répétiteurs, quand il n'est pas rejeté comme 
un corps étranger ? Ainsi la pensée religieuse est-elle toujours au passé, 
archéologique même quand elle est moderne, pyramide funéraire, ainsi que dit 
Hegel.

P 195
Il existe une " foi " primordiale, la perception directe des limites et du 
vide, qui est ouverture à l'absolu et à l'impossible. Quand cette perception 
n'existe pas, la foi chrétienne garde quelque chose de factice et d'étranger. 
Et elle n'existe pas toujours chez les spécialistes. Le vice radical d'une 
partie de la pensée chrétienne d'aujourd'hui, c'est qu'elle reste tendue et 
volontaire. 

P 196
Toute foi militante exprimée dans la langue de transmission explicative et de 
" conviction " ne peut que susciter un athéisme de combat. En réalité cet 
athéisme veut habiter le même lieu que la foi militante. Mais il existe, nous 
l'avons vu, un autre athéisme qui refuse le terme d'athée, les yeux ouverts 
sur le néant, et qui crée une nouvelle manière d'être au monde. A cet 
athéisme répond une foi adulte, une pensée directement branchée sur la parole 
intérieure et celle de l'Evangile, en communion discrète, pensée démunie, 
nue, hors vérité, en quête de Dieu au-delà de Dieu.


P219 
Car quantités d'expériences ne sont que des préjugés de la raison, issues 
d'idées étrangères.
C'est pourquoi rencontrer Dieu c'est le renier à l'instant même. Toute 
certitude est " mise à mort " de Dieu. L'athéisme classique a ses racines 
dans les certitudes. Certitudes et négations fanatiques sont sœurs.

Le parti pris chrétien, en Occident comme partout, a été d'in-struire, 
c'est-à-dire de bourrer dedans, de gaver, à la manière de l'Education 
nationale, au lieu d'éduquer, c'est-à-dire de faire germer, sortir, 
d'enfanter à une vie nouvelle, de susciter des hommes intérieurs. Eduquer 
supposerait le dépouillement, l'oubli des catégories mentales, la confiance 
en une parole qui se parle en toute race et qui va à la rencontre de la 
Parole, le choix d'un universel concret contre le faux universel abstrait.


P 264
De même que l'intention évidente de Jésus, révélée par les textes, fut de 
ramener chaque homme en son centre, il me semble que la mission première du 
christianisme est d'arracher les hommes domptés de ce temps, marchandises de 
marché, engagés politiquement ou non, en leur proposant un espace spirituel. 
Le reste est insignifiant.


Bon, voilà du grain à moudre !

Michèle