CHRIST EST RESSUSCITÉ ! Dans la petite collection "le serpent à plume" on trouve les livres de la Bible en cahiers séparés à 10 Fr F l'un. L'épître de st Jacques dans la traduction Lemaitre de Sacy est préfacée par le Dalaï Lama. Puisse la préface vous donner envie de (re)lire l'épître!

 -- pierre

 

Extraits

 A la lecture de l'épître de saint Jacques, j'ai été frappé par les similitudes entre cette magnifique lettre de la Bible et certains textes de ma propre tradition bouddhiste, en particulier ceux d'un genre connu sous le nom de lojong, qui signifie littéralement << exercer l'esprit >. 
A l'instar des écrits lojong, me semble-t-il, cette épître donne lieu à différents degrés d'interprétation. A un niveau pratique, cependant, elle résume bon nombre de principes clés, cruciaux pour apprendre à devenir un homme meilleur. Plus précisément, elle nous enseigne comment élever notre vision spirituelle jusqu'à son apogée. 
Je me sens rempli d'humilité à la perspective de rédiger une introduction à ce passage important de la Bible. Alors que la civilisation aborde un nouveau millénaire, et que les chrétiens célèbrent deux mille ans de leur tradition, j'ai conscience que ces textes saints constituent une source intarissable d'inspiration spirituelle et de réconfort pour des millions d'êtres humains partout dans le monde. 
Inutile de préciser que je ne suis pas un expert en matière d'Écritures chrétiennes. J'ai néanmoins accepté l'invitation à commenter personnellement cette épître dans la perspective de ma tradition bouddhiste.

 Je me concentrerai en particulier sur les parties qui évoquent des valeurs et des principes également cités dans les écritures bouddhistes. L'épître commence par insister sur l'importance critique d'un engagement à direction unique sur le chemin de notre spiritualité. << L'homme qui a l'esprit partagé est inconstant en toutes ses voies >>, dit Jacques (1 : 8), car l'absence d'engagement et le doute figurent parmi les plus grands obstacles à l'accomplissement de la vie spirituelle. 
Il ne s'agit cependant pas de développer une sorte de croyance aveugle, mais plutôt des convictions basées sur une appréciation personnelle de la valeur et de l'efficacité d'un cheminement spirituel. Une telle foi naît d'un processus de réflexion et de profonde compréhension. Les textes bouddhistes la présentent à trois niveaux : la foi en tant qu'admiration, la foi en tant que certitude raisonnée, et la foi en tant qu'émulation d'idéaux spirituels nobles. 
A mon sens, ces trois distinctions sont également à l'oeuvre dans la lettre de Jacques. Celui-ci évoque le pouvoir des tendances destructrices existant naturellement en chacun de nous. Dans ces versets qui, du moins pour moi, sont les plus poignants du texte, il dit : " Ainsi, mes chers frères, que chacun de vous soit prompt à écouter, lent à parler, et lent à se mettre en colère. Car la colère de l'homme n'accomplit pas la justice de Dieu. " (Jacques, l : 19-20)
 Ce passage résume des principes majeurs pour le praticien de la spiritualité comme pour tout individu qui aspire à exprimer sa valeur humaine fondamentale. La primauté donnée à l'écoute plutôt qu'à la parole nous enseigne la nécessité de la bienveillance. Sans elle, nous nous privons en effet de la possibilité de recevoir les bénédictions et autres influences positives dont nous pourrions faire l'expérience dans notre interaction avec nos semblables. 
Ouverts et réceptifs, prompts à écouter les autres, nous devrions aussi être << lents à parler >>, car la parole est un instrument tout-puissant, parfois extrêmement constructif, mais parfois aussi profondément destructeur. Nous savons tous combien les mots les plus anodins en apparence peuvent infliger de graves blessures à autrui. Par conséquent, il paraît sage de suivre le conseil d'un célèbre texte bouddhiste lojong : << Au milieu de la multitude, surveille ta langue et pour toi seul, garde tes pensées. >> Quant à la directive selon laquelle nous devrions être << lents à nous mettre en colère >, elle nous rappelle qu'il est vital de conserver une certaine maîtrise sur les émotions négatives violentes telles que le courroux, car les actions engendrées par de semblables dispositions d'esprit sont presque toujours dévastatrices. 
C'est là un principe qu'il nous faut à la fois apprécier et tenter de mettre en oeuvre dans notre quotidien. Alors seulement, nous pourrons espérer récolter les fruits d'une existence spirituelle accomplie. Le véritable test de la spiritualité réside dans le comportement de celui qui la pratique. Certains ont quelquefois tendance à envisager la vie spirituelle comme étant avant tout introspective, dissociée des problèmes quotidiens et de la société. Une approche tout à fait erronée, de mon point de vue, et que l'épître rejette également. 
Pour Jacques, la foi qui ne se traduit pas par l'action n'en est pas une : " Que si un de vos frères ou une de vos soeurs n'ont point de quoi se vêtir, et qu'ils manquent de ce qui leur est nécessaire chaque jour pour vivre, Et que quelqu'un d'entre vous leur dise : Allez en paix, je vous souhaite de quoi vous garantir du froid et de quoi manger, sans leur donner néanmoins ce qui est nécessaire à leur corps, à quoi leur serviront vos paroles ? Ainsi la foi qui n'a point les oeuvres est morte en elle- même. >> (Jacques, Il : 15-16-17.) 
Il existe un principe similaire dans les textes bouddhistes, qui conseillent quatre étapes dans l'aide à autrui : d'abord apporter l'assistance matérielle, ensuite prononcer des paroles de réconfort, puis donner des conseils d'ordre spirituel et, enfin, illustrer son enseignement par son exemple personnel. J'admire depuis longtemps la tradition chrétienne de la charité et du travail social. L'image des moines et des nonnes consacrant leur vie entière au service de l'humanité dans des domaines comme la santé, l'éducation et le secours aux pauvres est véritablement inspirante.
 Pour moi, ce sont eux les vrais disciples du Christ, qui prouvent leur foi par des oeuvres témoignant de leur compassion. L'épître aborde aussi ce qu'un bouddhiste appellerait sans doute << la contemplation de la nature éphémère de la vie >>. Ce thème est magnifiquement formulé dans le verset suivant : << Quoique vous ne sachiez pas même ce qui arrivera demain. Car qu'est-ce que votre vie ? Sinon une vapeur qui paraît pour un peu de temps, et qui disparaît ensuite. >> (Jacques, IV : 14-15.) 

Dans le contexte bouddhiste, la contemplation de la nature éphémère de la vie confère une dimension d'urgence à notre spiritualité. Même si nous connaissons la valeur de la pratique spirituelle, nous avons néanmoins tendance à nous comporter au quotidien comme si nous devions vivre longtemps. Or, ce sentiment erroné de la pérennité de notre existence constitue l'un des principaux obstacles à une spiritualité dévouée. Plus important encore, d'un point de vue éthique, c'est ce postulat de la pérennité qui nous pousse à essayer de satisfaire ce que nous considérons comme les désirs et besoins << légitimes >> de notre " individualité ". Ce faisant, nous ignorons l'impact de notre comportement sur les autres. Nous sommes même tentés de les exploiter pour parvenir à nos fins. A cet égard, la contemplation profonde de la nature éphémère de la vie introduit une note de réalisme sain dans notre rapport au monde, en ce qu'elle nous aide à ramener les choses à leurs justes proportions.
 L'épître de saint Jacques présente également un plaidoyer passionné en faveur du respect pour les pauvres. De même, elle juge sévèrement la vanité et la suffisance des riches et des puissants. Certaines des critiques portées à leur encontre ont peut-être une signification historique, mais elles n'en soulignent pas moins un principe spirituel important : ne jamais oublier l'égalité fondamentale de tous les êtres humains.
 Un véritable praticien de la spiritualité sait apprécier ce que je décris souvent comme notre << spiritualité essentielle >>. En cela, je fais référence à la qualité fondamentale de l'indulgence, qui existe naturellement en chacun de nous sans discrimination de sexe, de race, d'éducation sociale ou religieuse. 
En dénonçant les attitudes méprisantes envers les pauvres, l'épître de saint Jacques nous montre de manière persuasive la nécessité de revenir à une évaluation plus profonde de notre nature humaine, et celle aussi de nouer avec nos semblables des relations fondées sur cette humanité essentielle.
Je dis souvent aux gens que lorsque je rencontre quelqu'un pour la première fois, j'ai d'abord le sentiment de rencontrer un autre être humain. Que cette personne soit considérée comme << importante >> ou pas ne compte pas à mes yeux. Ce qui compte avant tout, c'est sa générosité constitutive. Assurément, du point de vue de la seule humanité, il n'existe aucune justification à la discrimination. Dans le langage de la Bible, nous sommes tous égaux devant la Création. Et dans le langage du bouddhisme, nous sommes tous également motivés par la quête du bonheur et le refus de la souffrance. De plus, nous avons tous le droit de combler ces aspirations basiques. Par conséquent, si nous établissons réellement des relations avec nos semblables en reconnaissant le principe de notre égalité essentielle, les considérations liées à la richesse ou à la pauvreté, au niveau d'instruction, à la couleur de la peau, au sexe ou à l'appartenance religieuse deviennent forcément secondaires.

 Ce texte de la Bible écrit il y a deux mille ans nous rappelle aujourd'hui qu'un grand nombre de nos valeurs spirituelles fondamentales ne sont pas seulement universelles, mais aussi éternelles. Tant que la nature humaine demeurera inchangée - dans son désir de trouver le bonheur et de surmonter la souffrance -, ces valeurs resteront appropriées pour nous, à la fois en tant qu'individus et en tant que société. J'aimerais conclure en évoquant mon ami Thomas Merton, un moine catholique de l'ordre des Cisterciens, qui m'a dévoilé la richesse de la tradition chrétienne. C'est à lui que je dois ma première véritable appréciation de la valeur de l'enseignement chrétien. Depuis notre rencontre au début des années soixante, je consacre une grande partie de mon temps et de mes efforts à développer une compréhension plus grande parmi les adeptes des principales religions du monde. Et c'est à ce noble objectif que je dédicace les mots que j'ai écrits ici. 

Dalaï Lama

Le 2 mars 2000 

Traduit de l'anglais par Isabelle Maillet