Cher Frère François Merci à toi, …..
Alors en réponse d’amitié et pour accéder à ta demande, je te répondrai
avec le Frère Christophe de Tibhirine…
« On pourrait dire tout simplement ….
….que l’AMITIE, c’est la joie de l’autre. »
Et comme tu m’a « parlé de silence» et pour suivre en ce double sens
d’amitié et de silence.
« Comme il est beau le silence de l’amitié !» où « L’avenir entre
nous…. C’est un grand silence ouvert. »
Quelque jour avant son entrée en silence d’éternité :
« Je viens me glisser dans ta joie secrète pour faire avec toi silence
d’amitié. »
Parlant de l’écriture :
« Il faut dessiner une écriture nouvelle capable de transmettre à tous
un peu de Verbe vivant,………
écriture déchirée par des cris,
barrée par des traits de souffrance,
désorientée : où allons nous si le point n’est pas au bout !
crucifiée… et les lignes se bousculent …. Ainsi va l’histoire. Des fois
le sens échappe….
Mais le silence ouvre une issue par où la joie survient. »
Et tant et tant d’autres paroles …. Fortes, Vibrantes, Vivantes,
Vraies…… car elles débouchent
Sur le SILENCE.
Mais là c’est vrai j’en parle peu, j’en parle moins…mais comment dire le
silence ?
« Si j’ose un peu vous conseiller ….. Oh frère François, mais tu es
là pour ça, nous sommes tous là pour ce faire…. Nous devrions tous être
là les uns pour les autres pour nous aider, nous consoler
fraternellement à l’exemple de l’Ami… à vérifier (au sens alchimique du
terme) notre Foi dans des cœurs à cœurs de vie, d’âme et d’esprit.
Et
puis tu sais, depuis longtemps déjà, je me suis mis en obéissance, en
abandon : non pas placé dans l’obéissance à un supérieur, à une règle,
sinon peut être dans une autre, ou la même sous une autre forme, à
l’écoute attentive et humble de sa parole dans le silence de la prière,
à travers celle aussi de tous mes Frères, de tous les êtres y compris du
bruissement du vent dans les feuillages… En toute simplicité et
prudence...également dans la direction spirituelle et tout simplement à
travers le sacrement de réconciliation.
« Je ne sais si je sais tout de lui » et honnêtement je ne le
pense pas. .. Et qui plus est, ça ne m’intéresse pas : seul m’importe ce
que je puis en connaître, ce qu’il me donne à vivre, à aimer. Je ne peux
en connaître que ce que ma pauvre finitude en peut étreindre… que ma
lâcheté peut en accepter, que mon pauvre cœur peut en aimer, que ma
pauvre vie peut en porter… Je pense que là se situerait la limite
majeure… Limiter la connaissance de son Être à notre limite à
l’incarner, et par là, refuser son possible et son altérité à cause des
limites de notre nature : on s’inscrirait là dans une démarche de contre
foi, profondément matérialiste, avec la tentation inhérente de
circonscrire son Être à ce que l’on pourrait en connaître, ou en
décrire, donc à notre être et ses formes les pus évoluées comme la
pensée, l’imaginaire, voir même les formes les plus élaboré issues de
notre égo : idolâtrie narcissique !
Mais l’Amour est là, brûlant, fou de partage d’étreinte, de
connaissance qui nous entraîne toujours plus loin dans sa lumière
toujours au delà de ce que nous pouvons porter introduisant la faille,
le déséquilibre, la douleur dans la paix et qui permet d’avancer, chaque
fois d’un pas de plus. C’est vrai qu’il nous dit « en marche » qu’il
nous « envoie » constamment vers un ailleurs…
La marche est une parabole à elle toute seule où équilibre et
déséquilibre s’embrasse dans le mouvement pour nous amener au de là,
dans le temps, dans l’espace et dans notre être… Ce qui nous permet de
le redécouvrir, de le « voir » autrement, d’un autre point de vue (la
fable de l’éléphant) mais surtout, avec des yeux à chaque foi plus
intelligents, moins craintifs, plus aimants, mais encore et par dessus
tout, plus dépouillés, moins «projetant », comme un miroir plus propre
: mieux reflétant…. Car quelque soit le point de vue d’où l’on «
observe l’éléphant »… si l’on y voit mal, on le percevra tout aussi
mal, quelque soit la multiplicité des points de vue et distanciations
adoptés.
Donc : vaines sont les différentes approches de la réalité…à partir
de points de vue constamment différents. Car de ces différents points de
vue on est toujours le même… qui regarde… qui désire voir…
Donc vain est « tout désir » de voir cette réalité qui ne fait que
nous enfermer dans ce « nous même » incapable de percevoir une
quelconque réalité… Avide seulement de voir, de possession et
d’appropriation, de Pour Voir, de PouVoir.
Réalité qui ne peut s’apercevoir que dans la mesure où elle se
laisse percevoir...
Jeux des voiles, je dévoile, de l’Amour… qui se dit et s’écoute et
se vit au présent… dans la Naissance, dans le toujours neuf, dans
l’enfance émerveillée : elle ne peut pas être sue …connue peut être…dans
l’étreinte, la communion où toute Co-Naissance procède de l’Amour, de
son Amour, du vécu de son partage, de son Don, de sa VIE, pour une
éternelle Re-Naissance à son Être, mais : à son heure, à son temps, à
sa mesure… à l’aune de Sa Grâce, dans une pleine Re-Co-Naissance… Dans
un retour à l’unité. Le Don de YHVH
Oui ici je ne vois plus rien qu’humilité, obéissance, silence,
veille et adoration. Chant éperdu d’amour du cantique où
« l’amour est inexorable comme la mort, l’ardeur
dure comme le shéol, ses fulgurations sont fulgurations de feu, flammes
de Yah… »
Vaine curiosité abolie, dans l’Amour qui se donne à la mesure du Don
attendu, au de là de toute espérance, dans le « cœur brisé et broyé …»
que l’Amour et l’attente façonne et creuse encore à sa démesure.
Il faut bien que se vide ma cruche de son eau pour qu’il puisse la
remplir…de son eau est c’est toujours « son eau ».
Je sais dire bien des choses de lui bien au delà de ce que je peux en
réaliser dans ma vie… Mais la contemplation, la prière, l’oraison et
l’adoration, multiples expressions d’une même relation, n’est elle pas
vie elle même, action très pure indissociable de la vie : pendant que
le corps souffre, que l’intelligence travaille ou que l’esprit peine, ne
faut il pas que d’autres cellules prient et rendent grâce pour que
l’holocauste et le sacrifice soit parfait… Que la divine alchimie se
réalise non pas en simple transmutation de la matière, mais en
transmutation du matériel en spirituel, de l’action en communion, du
vieil homme en homme nouveau, de la blessure en sacrifice, de la simple
souffrance en offrande et par là même de toutes larmes en joie… et de
toutes joies en chants de grâce, d’exultation et d’allégresse… Que
l’Esprit toujours se sacrifie par son incarnation dans la lettre, dans
la chair parce que le Père nous a fait avec son Christ héritier de sa
création, serviteurs « d’amour qui donne sa vie pour ceux qu’il aime ou
qui l’aime» et à son exemple…tout Chrétien vivant de l’Esprit s’incarne
dans l’église, peut-être joie de la naissance, mais ce n’est qu’une
mangeoire et, de toute façon, début du sacrifice.
Rejoignons quelques instants Frère Christophe. En 1977 il écrivait
déjà :
Je veux aussi me donner à l’Eglise, vivre d’elle, en elle qui me donne
Jésus,
Ici dans ce pays , et me laisser configurer à Son Visage, celui de Jésus
crucifié – Vivant – pauvre, défiguré, sans beauté ni éclat, très proche,
très humain, revêtu de la lumière douce, bonne, simple… de l’Esprit. »
et peu de temps avant sa mort « Il y a eu ce vendredi …
Où la Croix m’a enseignée des choses d’en haut,
Des choses cachées au cœur de l’Amour. »
Et aussi pour répondre à tes conseils : « Un jour le visage du
Serviteur souffrant à pris demeure dans mon cœur, et je ne peux pas
l’effacer. »
Je reçoit maintenant ce visage intérieur comme une grâce… Comme un
honneur immense… Et quel honneur mon Frère, vois, il m’a rendu tout
pauvre, et c’est déjà les béatitudes…
« Tiens
Voilà des larmes à mon visage
Et ta présence qui me parle… »
«Tiens donc
mais j’crois bien
que je suis
tout amoureux
de toi
doux Jésus
me v’là bien beau »
« Car enfin mes amis
il faut qu’entre nous
cela soit bien clair je suis à lui
et sur ses pas je vais
vers ma pleine vérité
pascale. »
Oui il semblerait que je connaisse, que je vive ces choses là,
mais je n’ai pas la prétention de les posséder. Si parfois il me laisse
le rejoindre ici et là, c’est pour m’attirer toujours vers son ailleurs,
mais toujours vers lui, pour m’emmener dans son renouvellement où à
chaque pas il m’élargit. Je l’aime éperdument car s’il est toujours
autre et différent, il se fait humblement mon semblable mon « prochain
», pour me partager son Être dans cet autrement… Ouverture… Oh Amour,
qui chaque fois qu’il se cache et s’éloigne, ce n’est pas pour me faire
sentir une distance, sa différence, mais pour me faire avancer plus loin
dans la connaissance de sa vie, de son cœur. Pour m’emmener à lui, me
mettre à sa mesure à son identification. Oui, tout en lui est jeu
d’amour.
Son amour me comble et me rassasie et me laisse affamé…
Pourtant je me souviens d’une nuit, il y a déjà bien longtemps
ou l’espace d’une rencontre mon cœur à fusé dans le sien : plénitude
d’un instant, attente et quête, éveil et veille d’une vie…
« Je sais qu’il est autre au delà de toute
incarnation », comme tu dis, « hors du temps » : « de nature infinie »…
« Car sa véritable nature est nudité » oui et « absence ..»
Absence ? Non.
Et puis, si tu peux dire cela c’est parce qu’il s’est incarné, qu’il
s’est fait connaître qu’il t’a touché… et donc le terme de présence est
prééminent de toute façon à toute absence. Et dans les évangiles, sans
parler de tout l’ancien testament, nulle part je ne vois d’absence… « Je
serai avec vous jusqu’à la fin des temps…
Comment concevoir un Christ, qui nous envoie vers un partage avec
notre frère, dans un don total, qui nous rappelle constamment à
l’attention et au service du prochain, (la parabole du bon samaritain,
etc.., « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses
Amis…. vers toujours plus de proximité, briller lui par son absence… ?
Alors qu’il se définit lui même comme l’ami (L’âme moitié de la mienne
ou l’âme partagée)… Alors qu’il demande à s’incarner en chacun de nous,
à ce que chacun de nous vive de son corps et de son sang de son
Eucharistie …pour le partager à notre tour… « et vous ferez cela en
mémoire de moi… ces gestes là, mais aussi ce chemin de croix là, par
Amour pour moi, pour vos Frères. En continuité… En éternité « ce que
vous ferez à …. c’est à moi que vous le ferez… Christ de Communion. «
pour qu’ils soient tous un, comme toi, Père, en moi et moi en toi, pour
qu’eux aussi soient un en nous.. »
« Demeurez en moi, et moi en en vous.
Comme le sarment ne peut porter de fruit de lui-même
S’il ne demeure sur la vigne….. »
Pourquoi remettre une « altérité » là où il fait tout pour
l’enlever… ? Là ou il nous commande plus que la présence mais la
greffe… ?
Pardonne moi, Frère François mais dans tes conseils, là je ne sent pas
Iéshoua, Bouddha peut être…mais là mon Ami je ne comprend plus …. ?
Ce n’est pas parce que je suis aveugle que je nie l’existence du
soleil : mes Frères m’en parlent et ils me mènent au soleil et je peux
le sentir sur ma peau…
Quand j’étais en larme c’est comme une Mère qu’il est venu me
consoler, comme un Frère qu’il est venu m’épauler, et c’est un Père qui
chaque fois m’accueille.
Quand je tenais dans mes bras le cadavre de ma fille, toute fraîche
dépendue, tuée par la vanité psychiatrique et notre propre cécité, c’est
pas un Jésus de derrière les nuages qui est venu me retenir au bord du
gouffre, ni un Jésus absent, mais un ami Dieu-Homme, Dieu proche,
présent, ruisselant de sueur et de sang, semblable à ma misère, par
compassion et amour, pas une abstraction.
Jésus n’est il pas venu entre autre chose nous rendre proche le visage
de son Père, nous le partager, nous le rendre sensible, combien de fois
n’a t’il pas repris les pharisiens qui élevaient en vain le seigneur le
rendant constamment inaccessible. Ne connais-tu donc pas la souffrance
d’un Père dont les enfants rejettent l’Amour ?
Quand il m’a parlé : il l’a fait avec des mots et puis comme il sait
que je suis un peu homme il me l’a dit en paraboles, en images et chaque
fois qu’il a accompli quelque chose il a fait en sorte de me laisser un
signe … Une trace… Il s’est Incarné constamment. Alors je ne ferai pas
différemment, même si d’autres le font : je suis Jésus…(de suivre bien
entendu) J’ai pas trente six modèles.
Pourquoi me dire des « maux » d’absence alors que je revis de sa
présence après tant et tant de temps d’absence ressentie, mais qui
n’était en aucune manière la réalité de son état…mais seulement celui de
mon incapacité, voir de mon refus à me laisser conduire plus loin, à
accepter.
Allez laissons nous aller à deux doigt de logique à la manière
Rabbinique.
En célébrant mon Dieu, que je ne vois pas et que je ne sent pas,
dans l’Être et la Présence, c’est la démarche de reconnaissance parfaite
de son altérité profonde et la reconnaissance qu’il est présent, au delà
de la possibilité que j’ai de sentir sa présence… Là je sort du
moi-même, et si j’adhère à son Être que je ne sent pas, ce ne peut-être
que dans une démarche de FOI totale, surtout si grâce à cette même foi
je conforme à mon tour mon être à son Être par son dire (Sa parole)
…dans l’adhérence à sa Thora… et si ma FOI peut atteindre cette
intensité nécessaire c’est par l’AMOUR qui la sous-tend : AMOUR qui
vient tout entier de lui (Dieu nous aimé le premier) et donc si je peux
dire qu’il est Présence, ce seul est donc la reconnaissance de son Amour
et c’est ce qui à permis à l’apôtre d‘affirmer que celui qui confesse le
Christ est déjà sauvé etc…
Le définir dans une absence, c’est j’ai bien peur le circonscrire
aux limites de notre perception et cela n’offre aucun intérêt : tout au
moins pour ma part… Maintenant tu voudras peut-être me démontrer le
contraire…
//Ps : Tu me demande éventuellement de pouvoir éventuellement publier
des extraits de ma dernière lettre sur quelques listes ou forums… Tu me
fais beaucoup d’honneur… Etait-ce Ma lettre ? Etait-ce Mes mots par la
seul grâce d’être passé à travers mes lèvres… Voudrais-tu me faire
posséder même les phrases que je dis…les mots que je vis ou plutôt la
parole qui me fait vivre... Alors que le Souffle même dont je vis est
Don.
Bien sûr que si tu les veux je te les donne… mes les mots ne prennent
sens que quand on leur donne vie… Es-tu bien sûr de les vouloir…tu as eu
des mots sur l’Eglise qui m’ont fait de la peine « Ne faudrait-il pas
détruire ce monstre tentaculaire… » et sur le Christianisme qui m’ont
blessé ou tu le réduis à une quelconque tradition(Kénose). J’avais
l’impression en te lisant que tu regrettais ces autres routes possibles…
Je te garde dans ma prière… A bientôt.
Bertrand Joël