...croisé à Assise
J'aimerais témoigner de «l'expérience personnelle de la présence de Dieu» qui me tient à
coeur depuis que j'ai lu sur ce site les «miettes érémitiques» de frère François, ainsi que quelque-uns des beaux textes que l'on peut trouver ici.
J'avoue ne pas apprécier l'intellectualisation de la foi, généralement cela ne me parle pas, mais les miettes érémitiques de ce frère sont une réflexion profonde qui me parlent et que chacun peut recevoir selon sa sensibilité et sa culture, même si la physique quantique est pour moi inaccessible. Je dis cela pour ce qui va suivre et qui paraîtra naïf à certains, puéril à d'autres.
Dieu ? Il parle sans arrêt ! Dieu n'arrête pas de parler. mais, jamais personne ne l'écoute. (miette 1 de frère François)
Oui, c'est vrai, de même que Dieu se manifeste physiquement tous les jours mais qu'on ne le regarde pas. Et qu'Il donne des réponses que l'on n'entend pas.
C'est en lisant les miettes de frère François que j'ai repensé à ce qui m'est arrivé il y a quelques temps: j'ai croisé le regard de Jésus, j'ai reconnu Jésus, mais je l'ai renié par lâcheté, par peur des docteurs de la loi.
C'était à Assise, un an avant le tremblement de terre. J'étais partie seule sur les traces de saint François, j'habitais chez les Clarisses, leur couvent est un oasis de paix. C'était l'après-midi de la Pentecôte et les ruelles d'Assise étaient emplies de touristes et de pèlerins. Je descendais vers San Damiano et de loin, parmi la foule qui déambulait, j'aperçus un visage dont le regard retint toute mon attention. C'était un regard intense, de grands yeux noirs appartenant à une jeune fille d'environ 18 ans. Elle avait un visage de madone, une peau très brune, des cheveux bruns coupés courts et bouclés et elle portait une petite robe de coton délavée. Cette jeune fille marchait dans ma direction, seule, et ne me quittait pas du regard. J'eus l'impression d'être prisonnière de ses yeux en même temps que j'éprouvais pour elle une infinie tendresse car il me semblait que c'était une enfant qui me demandait de l'aide et. elle me semblait aussi être Jésus. Lorsque nous arrivâmes à la hauteur l'une de l'autre je faillis aller vers elle, mais la pudeur me retint. Nos regards ne s'étaient toujours pas quittés et c'est moi qui rompit le contact en détournant soudain la tête pour poursuivre mon chemin. Mais ce regard me hantait et peu après je revins sur mes pas pour tenter de retrouver cette jeune fille, certaine qu'elle était dans le besoin. Bien sûr elle avait disparu dans la foule et malgré mes recherches, je ne la retrouvai pas. Le lendemain, jour de mon retour vers la France, j'étais en attente du taxi dans la salle du couvent en compagnie d'un pasteur canadien, d'un prêtre français, d'une
soeur du Liban et d'un pasteur américain, tous retraitants comme moi et eux aussi sur le départ. C'est alors qu'apparut, on ne sait d'où ni comment, la jeune fille rencontrée «par hasard» la veille, vêtue de la même robe, ayant le même regard intense et, chose poignante, tenant à la main un ourson en peluche sale et pelé. Qui ne connaît pas le couvent des Clarisses à Assise ne peut savoir que la lourde porte d'entrée est impossible à forcer et qu'elle est en permanence sous la surveillance d'une caméra. Nul ne peut pénétrer dans le couvent sans être accrédité. D'où l'exclamation de mes compagnons qui, apercevant cette jeune fille dans la salle, s'écrièrent: «Comment cette droguée a-t-elle pu entrer ?» Curieux comme chaque être ressent différemment la situation. Moi je ne voyais qu'une petite fille perdue qui avait besoin d'aide et je remerciai intérieurement l'Esprit Saint (justement en ce lundi de Pentecôte) de m'avoir permis de retrouver celle que j'avais tant recherchée la veille. Son regard croisa à nouveau le mien et c'est vers moi qu'elle vint pour me dire en italien d'une voix très douce qu'elle avait faim, qu'elle désirait du pain et un peu d'argent pour trouver un endroit où loger. Je lui tendis aussitôt toutes les lires qui me restaient mais une meute sauta sur moi pour m'en empêcher. Une main, celle de la
soeur, arracha l'argent et le prêtre français tout autant que les deux pasteurs me firent une morale très sévère : «On ne donne pas à une droguée sinon tu l'enfermes dans son vice, tu te fais complice du fléau, etc...». Ce fut terrible, un vrai combat de mots, d'intentions, et je finis pas céder PAR PEUR des gens d'église. D'une part j'étais persuadée que ce n'était pas une droguée mais en plus ce n'était pas le moment de juger mais d'aider. Bien sûr leur intention n'était pas mauvaise, bien sûr ils argumentaient avec la raison plus qu'avec le cour, mais c'est moi qui fus lâche de reculer en acceptant leur pensée, pensée qui n'était pas la mienne. Finalement je reniais Jésus comme Pierre le fit. Sans rien dire, la jeune fille se détourna et disparut. Je ne la revis jamais. L'année suivante je retournai à Assise avec le secret et naïf espoir de la revoir : je voulais tellement réparer. Mais Assise avait subi un tremblement de terre, il n'y avait plus de clarisses, leur couvent ayant été détruit, il n'y avait plus personne dans les rues, il n'y avait qu'un chien et moi, et tous les jours à la même heure nous nous retrouvions le matin à Sainte-Marie des Anges et l'après-midi à San Damiano. Durant 15 jours j'ai eu tous les endroits où saint François a prié pour moi toute seule, et «chien François d'Assise» comme l'a si bien écrit Christian Bobin dans son ouvrage «Le Très-Bas», qui m'attendait. Depuis je ne suis plus retournée à Assise, car dans mon désert j'ai été comblée, mais je n'ai jamais oublié la jeune fille qui avait le regard de Jésus. C'est pourquoi plus tard, lorsque l'histoire s'est reproduite ailleurs avec un jeune garçon complètement exclu de la société, je n'ai pas écouté les sermons qui pleuvaient sur ma tête mais mon cour. Je ne pouvais pas renier deux fois Jésus. Et depuis le garçon va bien, il ne se drogue plus, habite une jolie petite chambre et a trouvé un travail.
Ce récit peut être pris comme un symbole, bien sûr, mais si l'on est à l'écoute de Dieu, Il nous donne des signes tous les jours, c'est ce que je nomme avec la simplicité de ma foi une expérience personnelle de la présence de Dieu, et des expériences de la présence de Dieu, nous en avons tous.
Toujours dans sa «miette érémitique» frère François écrit que l'on devrait lire les Evangiles à la Lumière de l'Esprit.
Je pense que c'est juste.
Très fraternellement.
Annie.