Cher Frère François,



Merci pour votre réponse du 6 juillet à mon dernier courrier, ainsi que
pour vos encouragements.
Me voici revenu dans le monde après une semaine passée à Solesmes, du 12
au 19 août. Voici quelques premières impressions.
Je suis arrivé le 12 août à 9 heures. L'abbaye rayonnait dans le soleil.
J'en ai fait le tour à pied, pour essayer de m'habituer ; en effet les
grands murs dominant la Sarthe, les bâtiments du 17ème siècle, ce fut un
choc. Pour moi, dans ma petite tête, un monastère ne pouvait être aussi
imposant !
Puis à 10 heures je suis allé à la messe. L'office eucharistique m'a
alors pris avec le grégorien, les silences, le "respect" avec lequel on
s'adresse à Lui. J'étais prêt pour passer huit jours à l'hôtellerie de
l'abbaye. A 14 heures, j'étais accueilli par le père Soltner. Le soir,
j'ai mangé pour la première fois au réfectoire. Après que le Père Abbé
nous eu lavé les mains, traverser tout le réfectoire, en silence, avec
tous les moines debout devant leur table est un moment d'une grande
émotion. C'est sentir pour la première fois que l'on est vraiment
ailleurs.
Pendant cette semaine j'ai assisté à tous les offices. La prière
eucharistique est d'un bienfait extraordinaire. Le dimanche 13 il y a eu
l'ordination de deux diacres. Il est rare de voir une telle joie, un tel
bonheur sur le visage d'un homme ! La louange de Marie le 15 était
emprunt d'une ferveur profonde. A 5 heures 30, les vigiles sont un
moment privilégié de la journée pour prier : pénombre de l'église, coeur
et esprit disponibles après la nuit, psaumes lentement récités… Les
complies préparent à la nuit, après l'examen de sa journée, après s'être
fait tout petit en reconnaissant notre faiblesse. L'angélus sonne et le
grand silence s'étend alors sur le monastère. Les fenêtres s'éteignent
les unes après les autres, après qu'un dernier arrosage ait préparé les
fleurs à leur repos nocturne. Le chant grégorien est un amplificateur
extraordinaire du mot, du verbe. Il habille les phrases, accentue
l'offrande, magnifie la louange. Il permet de prendre son temps pour
s'adresser à Lui. La profonde inclinaison pour le "Gloria Patri …", est
une marque de respect, de reconnaissance de notre petitesse devant Sa
Grandeur.
Les jardins des hôtes sont somptueux avec toutes leurs essences
d'arbres, d'arbustes et de fleurs. C'est une espèce de labyrinthe, dans
lequel on peut se cacher pour lire, pour discuter ou pour méditer. Une
atmosphère recueillie.
En approchant d'un peu plus prêt la vie d'un monastère, j'ai pu
constater une grande différence entre l'idée que je m'étais faite (à
partir de la règle de saint Benoît et d'autres livres) et la réalité. Ce
qui m'a tout d'abord frappé est la vie de la communauté : chacun est
attentif à l'autre, un regard, un petit geste suffit. Les plus jeunes
s'occupent des plus âgés (un moine aveugle, deux moines avec maladie
d'Altzheimer). Le Père Abbé est bien le père de toute cette communauté.
Celle-ci se retrouve pour l'Office Divin, et chante d'une seule et même
voie Sa Louange. Pour le 15 août j'ai assisté à la messe dans le choeur
de l'église et cette communion de tous était encore plus visible que les
autres jours ; la prière était une et non l'addition de 70 prières.
Une joie est visible sur tous les visages. L'abbaye de Solesmes est en
train de fonder un monastère en Lituanie. Un groupe d'environ 30
lituaniens était présent à Solesmes, dont une vingtaine de jeunes
formant une chorale. Le jour du 15 août, ils ont donné un concert, dans
un jardin, pour les bénédictins. Les hôtes étaient conviés à ce concert.
Les moines étaient assis dans l'herbe, riaient, écoutaient
applaudissaient …
Tout est fait pour que nous puissions prier : sonorisation parfaite,
livret avec les textes en latin et en français.
Pour m'aider dans mon cheminement, le père Soltner m'a présenté au père
Guy Mesnard. Je lui ai exposé quel fut mon parcours. J'ai eu la joie de
me confesser. Ensuite, le père Mesnard est venu me voir tous les jours,
pendant une petite heure. C'est un homme qui a 81 ans mais qui a un coeur
de jeune homme de 20 ans, ouvert, joyeux, avec une écoute
extraordinaire. Il m'a dit que pourquoi pas entrer à 50 ans dans une
communauté religieuse, mais il faut un temps de réflexion d'environ un
an, entre autre pour apprendre à écouter ce qu'Il veut de moi et non ce
que je veux. Il faut que je trouve à Lyon un prêtre qui m'accompagne.
Pendant cette période, la prière doit devenir plus intérieure,
l'eucharistie une source d'énergie plus fréquente. Il faut également que
je me mette au courant des enseignements de l'Église, à travers Vatican
II, à travers les Encycliques et Synodes. Il faut que je devienne un
chrétien dans la vie de tous les jours.
Le jeudi après midi est le jour de la promenade pour les moines. Le père
Mesnard ayant quelques difficultés pour marcher, il m'a proposer de me
faire découvrir les jardins du monastère : jardin à la Française, jardin
anglais, petit bois, potager, verger : des splendeurs cachées derrière
les murs de la clôture. Un bonheur des yeux. Durant cette promenade le
père Mesnard m'a retracé l'histoire de Solesmes, ses joies, ses
difficultés au cours des années.

Pendant cette semaine à Solesmes, je m'aperçois que très rapidement mon
esprit s'est détaché de la vie lyonnaise pour venir à l'écoute de Dieu,
aidée par le rythme bénédictin. A aucun moment je n'ai senti le besoin
de quitter la clôture pour aller voir ce qui se passait dans le monde.
Une paix s'est très rapidement installée. Ma prière est encore loin
d'être parfaite, mon esprit est souvent distrait, la méditation n'est
pas encore quelque chose de naturel, cependant à Solesmes, de petites
étincelles pétillaient parfois. J'ai entre autre pensé à vous et priez

JP