Les "chrétiens clandestins" du Japon en voie d'extinction
vendredi 1er août 2003.



Yasutaka Toriyama, chef d'un hameau de l'îlot d'Ikitsuki, récite ses prières à Noël, à Pâques et lors de baptêmes comme l'ont fait pendant 400 ans ses ancêtres dans un Japon longtemps hostile à leur foi. Le christianisme n'est plus interdit au Japon depuis 1873 mais trois siècles de pratique dans l'ombre et coupée de ses racines ont débouché sur une forme de religion originale, un catholicisme pittoresque mêlé de bouddhisme mais aujourd'hui menacé de disparition.

M. Toriyama, professeur d'abaque de 64 ans, joue le rôle de père spirituel pour une petite communauté de ceux qu'on appelle encore les "kakure kirishitan", littéralement les chrétiens qui se cachent.

Ceux-ci sont les descendants des Japonais qui ont préservé leur foi dans la clandestinité pour échapper aux persécutions du gouvernement féodal entre le 17ème et la fin du 19ème siècle.

C'est leur religion et la vie des petites communautés qui l'observaient jadis en secret qui se trouvent en danger et M. Toriyama prie pour que les "kakure kirishitan" ne disparaissent pas à jamais de cet îlot sub-tropical pauvre et loin du Japon moderne.

"Cela me peine énormément d'apprendre qu'une autre communauté de kakure kirishitan s'est dispersée faute de successeurs", dit-il.

Ikitsuki, à l'extrême nord-ouest de l'île de Kyushu et à 1.000 km au sud-ouest de Tokyo, abrite la plus grande communauté de chrétiens de la clandestinité du pays, tout juste quelque 230 personnes. Ce chiffre a baissé de plus de 30% en six ans et ne cesse de diminuer, les jeunes quittant cette île de pêcheurs et paysans pour aller chercher du travail ailleurs.

"Je serais vraiment désolé pour nos ancêtres si les kakure kirishitan venaient à disparaître d'Ikitsuki", dit Yoshiaki Isomoto, 55 ans.

"Mais je dois dire que cette perspective peut s'avérer exacte dans 10 ans", ajoute-t-il, notant que les plus jeunes pratiquants du culte ont plus de 40 ans.

Faute de chiffre officiel, un ethnologue du musée d'Ikitsuki, Shigeo Nakazono, estime le nombre total de ces derniers chrétiens clandestins à un millier pour l'ensemble du Japon.

L'île de Kyushu est le berceau du christianisme dans l'archipel qui a vu le jésuite espagnol François-Xavier débarquer à Kagoshima (sud) en 1549, suivi par d'autres missionnaires.

Avec plus de 300.000 fidèles au début 17ème siècle, les Japonais représentaient la plus grande communauté chrétienne d'Asie de l'époque.

Mais le succès de la foi connut une fin brutale lorsque le shogunat des Tokugawa décida de fermer le Japon aux étrangers et d'éliminer le christianisme perçu comme une menace pour son pouvoir.

Les prêtres chassés, les chrétiens japonais furent forcés d'abjurer et de se convertir au bouddhisme. Des milliers refusèrent et finirent ébouillantés vivants, crucifiés ou saignés à mort pendus la tête en bas et les oreilles coupées.

Quelque 60.000 autres choisirent une troisième voie, celle de la clandestinité, ouvertement bouddhistes mais vénérant secrètement le Christ.

En l'absence de textes religieux, les bibles ayant été détruites, le contenu de la foi et la liturgie étaient transmis de bouche à oreille par les "oyaji".

Dans ces conditions, la religion évolua d'un christianisme orthodoxe à une forme populaire "métissée", incluant des traditions et des rites locaux.

Pour échapper à la surveillance des autorités, les chrétiens vénéraient des images saintes du Christ ou de la Vierge déguisés en Japonais, avec kimonos et chignons de l'époque. Lorsqu'un chrétien clandestin mourait, des petites croix de papier étaient jetées en cachette dans son cercueil.

Cela explique que des "kakure kirishitan" refusent encore, cent trente ans après la levée de l'interdiction de leur foi, de rejoindre l'église catholique.